À la fin des années 2000, le Gaec de Lorioux, dans la Creuse, s’est lancé dans la production de légumineuses. Le but était d’augmenter l’autonomie de l’exploitation pour nourrir 350 chèvres. « Nous ne produisions que des fourrages où les graminées dominaient », souligne Cédric Dubreuil, associé avec Christophe, son frère, et Geneviève Barat. En incorporant de la luzerne et/ou du trèfle violet, l’enrubannage ou le foin récolté atteignent 15 à 16 % de matières azotées totales (MAT), soit 3 % de plus qu’avec les mélanges traditionnels. « À condition d’être rigoureux lors de la récolte », insistent les deux frères. Chaque année, il faut s’adapter aux conditions météorologiques.

Fauche : début bourgeonnement

Les premières parcelles de légumineuses du Gaec ont été implantées dans le cadre d’essais conduits par le programme « Herbes et fourrages du Limousin », de la chambre d’agriculture. Quatre parcelles ont été semées avec quatre mélanges différents : luzerne pure, luzerne-dactyle, luzerne-fétuque et luzerne-trèfle violet-fétuque.

« Comme pour les prairies de graminées, la fauche au bon stade est primordiale, explique Christophe. Nous visons le stade début bourgeonnement. Pour le déceler, il existe une méthode qui consiste à remonter la tige de la plante avec la main. Lorsqu’on détecte une petite boule sur 20 % des tiges, il est temps de faucher. Cette date se situe aux alentours du 15 mai chez nous. » Une fenêtre de quatre jours de beau temps est nécessaire pour récolter un enrubannage avec 60 % de matière sèche au moins, garant d’une bonne conservation. Après le bourgeonnement, l’augmentation du rendement ne concerne que les tiges. L’une des coupes est effectuée à la floraison pour que la plante reconstitue ses réserves.

La fauche s’effectue à 7-8 cm de hauteur. Ainsi, le fourrage repose sur un « coussin d’air », ce qui facilite son séchage. Cette hauteur est également nécessaire pour éviter qu’il ne soit souillé par de la terre, qui peut être à l’origine de développement de spores butyriques en cours de conservation, préjudiciables pour la qualité du lait.

« Nous utilisons une faucheuse-conditionneuse à fléaux, ajoute Christophe. Ce n’est pas l’outil idéal pour la luzerne mais il nous est difficile d’investir dans un autre matériel. » L’idéal serait d’utiliser une faucheuse-conditionneuse à rouleaux car les feuilles, précieuses pour la qualité du fourrage, sont moins malmenées. « La fauche se déroule le matin, après la « levée de la rosée et jamais lorsque le soleil est au plus fort de son rayonnement, insiste Cédric. Sinon, les feuilles fragiles tombent. »

Éviter de secouer le fourrage

Même précaution pour le fanage. Christophe et Cédric adoptent une conduite du matériel plus douce que pour les autres fourrages. La rotation des toupies de la faneuse est beaucoup plus lente : aux alentours de 450 tours par minute, contre 540 tours/minute pour le fanage des graminées. Cependant, la vitesse d’avancement du tracteur reste rapide, de l’ordre de 10 à 12 km/h.

Le lendemain du fanage, les associés andainent toujours avant que le soleil ne chauffe trop. Le surlendemain, l’andain est retourné avec précaution. « Nous visons un taux de matière sèche entre 60 et 70 %, explique Cédric. Le pressage a lieu le matin du jour suivant, avec le round-baller à courroie et à chambre variable que nous détenons en Cuma. Nous utilisons un liage filet qui limite aussi les pertes de feuilles. Il dure 10 secondes, contre 30 à 40 secondes pour un liage ficelle.

La première coupe en mai est toujours enrubannée au champ. « Nous utilisons le même film que pour les graminées, déclarent les frères. En revanche, nous doublons les couches, voire les triplons pour la luzerne. Ainsi, le risque que les tiges rigides percent le film est réduit. Même au début bourgeonnement, celles-ci sont redoutables. »

S’adapter aux conditions météorologiques

Toutes les balles sont ensuite entreposées dehors, près du hangar, les unes à côté des autres, sans se toucher. « Nous avons remarqué que des moisissures pouvaient apparaître sur les zones en contact, souligne Christophe. Les balles occupent beaucoup de place mais nous ne les empilons jamais, pour ne pas altérer leur conservation. »

Les récoltes suivantes ont lieu tous les 45 jours. En principe, elles se font en foin, lorsque le temps le permet. Si la pluie menace, les associés enrubannent. « Chaque année, nous nous adaptons aux conditions météo, aussi bien pour la récolte que pour la conduite de la culture », souligne Cédric. L’année dernière, la canicule a stoppé la pousse pendant un mois et demi. « Nous avons acheté du foin dans le Poitou, explique Christophe. Nous préférons mettre le prix pour obtenir un bon fourrage. Il contient 20 % de MAT et a coûté 235 €/t. Il est récolté vert, en balle, et séché dans un séchoir. Il est donc très riche en feuilles. » À ce prix élevé, la culture est d’autant plus intéressante sur l’exploitation.

« Elle est néanmoins délicate sur nos terres hétérogènes », observent-ils. Une faible part du parcellaire est adaptée aux légumineuses. Leur proportion varie chaque année. Après l’hiver humide, la luzerne a disparu dans de nombreuses parcelles de deuxième année. Le trèfle résiste parfois mieux. « L’association luzerne-dactyle donne des résultats intéressants, ajoute Hervé Feugère, de la chambre d’agriculture. Le dactyle peut toutefois se montrer agressif face à la luzerne. Leurs maturités sont aussi un peu décalées. Le dactyle arrive à épiaison quand la luzerne est au début bourgeonnement. L’association luzerne-fétuque tardive est davantage en phase. »