Tensioactifs, solvants, composites, résines, lubrifiants, encres, détergents, peintures, vernis, colles, plastiques, produits cosmétiques... De nombreux produits chimiques de notre quotidien contiennent des biomolécules fabriquées à partir de matières premières biosourcées, c'est-à-dire issues de la biomasse (végétaux, par exemple). A titre d'exemple, 10 % des lubrifiants et 11,4 % des détergents sont produits en France en partie ou totalement avec des matières biosourcées, selon une étude réalisée par le cabinet de conseil en innovation Alcimed pour le compte de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et publiée en avril 2015. Ce chiffre atteint 40,4 % pour les tensioactifs (1) et 45,8 % pour les encres (emballage et imprimerie).
HUILES VÉGÉTALES
- L'utilisation de ces biomolécules est amenée à progresser. Le contexte politique actuel est plutôt favorable (lire l'encadré page 44). « Il y a une réelle volonté en France de faire de la chimie du végétal un axe fort du développement économique », confirme Gilles Ravot, directeur général de la SAS-Pivert, l'un des deux instituts pour la transition énergétique, avec l'Ifmas (Institut français des matériaux agrosourcés) centrés sur la valorisation des agroressources. Créée en 2012 dans le cadre du programme des Investissements d'avenir, la société (2) vise à concevoir la bioraffinerie oléagineuse du futur et à accélérer le développement de la filière de la chimie verte en France. « Nous avons pour ambition de soutenir la valorisation des agroressources et d'aider les chimistes à se tourner vers de nouvelles matières premières, explique Gilles Ravot. Nous utilisons essentiellement du colza et du tournesol et nous intéressons à d'autres plantes comme la cameline. Elle permet d'obtenir des acides gras différents pour la fabrication de nouveaux intermédiaires de synthèse. Nous commençons aussi à travailler la valorisation des tourteaux. »
Parmi les applications développées figurent la production de nouveaux polyols d'origine végétale dédiés à la fabrication de polymères comme le polyuréthane (destinés à la fabrication de plastiques ou d'additifs pour lubrifiants) ou la création de tensioactifs. L'objectif est que ces produits innovants arrivent sur le marché d'ici quatre à cinq ans. Ils se substitueront aux produits pétroliers s'ils sont plus performants techniquement (composites et bioplastiques plus légers, peintures sans solvants...). Ils doivent présenter un avantage économique, d'où l'intérêt de développer de nouveaux procédés industriels.
- Autre projet se basant sur les huiles végétales : Napapi. Porté par Bostik, l'Iterg et le laboratoire de chimie des polymères organiques, il a permis de mettre au point un procédé de synthèse de polyuréthane pour la fabrication d'adhésifs et de colles pour les secteurs industriels et domestiques. Un marché mondial de 30 milliards d'euros, selon l'Ademe. Les huiles végétales proviennent essentiellement du tournesol à haute teneur en acide oléique.
- L'essor de la chimie verte concerne aussi les céréales. L'amidonnier Roquette a annoncé le démarrage, à Lestrem (Pas-de-Calais), d'une nouvelle unité industrielle de production d'isosorbide à très grande pureté, un dérivé de l'amidon de blé ou de maïs sans concurrent dans la chimie conventionnelle. Elle permettra d'élargir les débouchés de ce composé déjà utilisé dans la fabrication de produits transparents et résistants comme les biberons, lunettes, hublots de lave-linge, ainsi que de jeux de construction pour enfants et revêtements de sols pour écoles, hôpitaux... Marchés visés : l'automobile, l'électronique, la téléphonie.... « Un polymère dérivé d'isosorbide a été retenu pour la fabrication d'écrans de smartphone afin de remplacer le verre », détaille Christophe Rupp-Dahlem, vice-président recherche et développement en chimie chez Roquette. D'une capacité de 20 000 t, cette nouvelle usine de taille industrielle sera la plus grande au monde de fabrication d'isosorbide, les autres n'étant qu'au stade pilote.
COPRODUITS LIGNOCELLULOSIQUES
- Par ailleurs, le projet Raffiblé porté par ARD (Agro-Industrie, recherche et développement) et l'université de Reims (avec un financement de l'Ademe) s'intègre dans une démarche de bioraffinerie en ciblant la valorisation industrielle des coproduits lignocellulosiques du blé, les pailles et les sons. L'objectif est de développer un procédé de conversion de ces ressources en tensioactifs destinés au marché de la détergence, aux coût et impacts environnementaux réduits. « Le prix de revient est compétitif et le procédé permettrait de consommer 80 % d'énergie en moins par rapport à l'existant », souligne l'Ademe.
Des travaux ont également été réalisés afin de valoriser le résidu généré au cours du procédé de production des tensioactifs, et contenant des proportions variables de cellulose et d'amidon.
- La biomasse végétale va aussi être utilisée dans le cadre du projet Biobutterfly, porté par la société Simorep (groupe Michelin) dans le cadre des Investissements d'avenir. Il vise à ouvrir de nouvelles voies de production de butadiène, réactif chimique d'origine fossile nécessaire à la fabrication des caoutchoucs synthétiques destinés en majorité au secteur des pneumatiques. Ce nouveau type de butadiène sera produit à partir d'alcools issus de la biomasse par fermentation.
Alors bientôt des pneus à base de blé ou de betterave ? Pas avant cinq ans en tout cas.
(1) Introduit dans un liquide, il en abaisse la tension superficielle, ce qui augmente ses propriétés mouillantes.(2) Dont Sofiproteol est actionnaire, avec le Pôle de compétitivité industries et agroressources, le Crédit agricole, l'UTC...