En 1999, quand vous êtes entré au Parlement européen, vous disiez que votre avis de député était ignoré. Avec le traité de Lisbonne, la codécision s'applique à l'agriculture. Qu'est-ce que cela change ?
Tout. Avant on votait très favorablement à l'agriculture. Mais une fois qu'on avait voté, c'était les ministres qui décidaient de tout. Le Conseil avec la Commission. Maintenant, ils ne peuvent plus. Nous sommes désormais dans la négociation. On l'a démontré sur le budget, sur la Pac. Encore dernièrement, sur les actes délégués, la mise en application de la Pac, nous avons fait un bras de fer avec la Commission. Ils ont changé leur texte.
Du fait du scrutin proportionnel, aucun groupe politique n'est majoritaire au sein du PE. Alors, comment se construisent les majorités sur un texte ?
Pour réussir l'Europe, il faut travailler la vision professionnelle d'abord et après, politique. Le premier dossier qui sera mis sur la table des négociations après les élections est le dossier laitier. Il est révélateur du problème européen. La question qui se pose est d'organiser une sécurité pour les producteurs après la fin des quotas. Or, il y a une différence de vue fondamentale entre les organisations professionnelles agricoles (OPA) française et allemande. J'étais en Allemagne du Nord la semaine dernière, ils sont clairement hostiles à toute intervention. Pour eux, il n'y a que la loi du marché qui compte. Je ne le vois pas comme ça à titre personnel. Mais sans l'Allemagne, la France ne convaincra pas. Pour le lait, elle aura aussi besoin des Pays-Bas et de quelques pays de l'Est pour créer une majorité forte.
Les OPA ne travaillent pas assez ensemble. Il est temps qu'elles s'y mettent. Cinq ans – avant la prochaine réforme de la Pac – ça va aller très vite. L'enjeu est de taille car la vision des OPA se répercute sur celle de leurs députés. Si elles arrivent à dégager une majorité sur une politique, les députés le feront aussi. A défaut, chaque pays défendra alors son intérêt national. C'est vrai pour tous les dossiers : environnement, industrie, etc. Il y a des blocs qui se forment. Il faut être dans le bloc majoritaire. Depuis quinze ans que je siège au Parlement européen, nous y sommes toujours parvenu. Mais sur de plus en plus de sujets, à l'instar du lait, cela devient compliqué. A chaque fois, les OPA françaises prennent le risque de ne plus se retrouver dans les politiques votées. Elles doivent sortir d'une vision nationale pour avoir une vision européenne.
Quand vous regardez les propositions de la Commission, elle a déjà regardé ce qu'il se passe dans les OPA. S'il y a une majorité quelque part, elle fait très attention, même si bien sûr, elle fait quelques provocations dans la proposition. A la moindre divergence, ça pète. C'est ce qu'on a vu sur les actes délégués. En particulier concernant le verdissement. Comme les Etats membres étaient divisés, la Commission a fait des propositions que le PE a heureusement rattrapées.
Il y a quelques mois, le scandale de la viande de cheval a remis sur le devant de la scène le souci de sécurité alimentaire. Comme le PE s'en est-il emparé ?
Nous avons étudié le dossier sereinement. Nous avons analysé ce qu'il s'est passé, regardé si les dispositions que nous avons prises étaient les bonnes. Elles ont permis de déceler la viande de cheval. Qu'est-ce qu'il faut encore renforcer ? Nous avons les circuits d'identification, notamment vis-à-vis des contrôles vétérinaires pour lesquels nous avons eu un vote en avril.
Mais le système mis en place après la vache folle fonctionne. J'ai été très critiqué à l'époque, mais j'en suis très fier. Grâce à lui, les scandales remontent au plus tard dans les 24 heures. C'est l'essentiel. Je dis toujours, il y a 4 % d'emmerdeurs et 4 % de tricheurs et 96 % de gens honnêtes. Le tout c'est que l'on puisse très rapidement sanctionner et emprisonner les 4 % de tricheurs. Ce sont ces standards qu'il faut protéger dans les négociations sur les échanges internationaux. On veut que nos standards soient appliqués dans ces pays.
L'étiquetage n'est-il pas un passage obligé pour retrouver la confiance du consommateur ?
Je suis pour la transparence la plus totale sur ce dossier. Je n'ai pas d'état d'âme. Si les consommateurs veulent des étiquettes supplémentaires, je n'ai rien contre. Après c'est aussi une question de prix. Et sur un côté pratique, quand vous avez des mélanges de viande dans un plat préparé, si vous voulez tout inscrire, il faudra une belle étiquette ! Et qui va la lire ? Le problème c'est qu'on n'est pas aussi exigeant sur les produits importés. Il faut que les standards européens soient appliqués et respectés pour tout ce qui rentre. C'est l'enjeu des négociations. Les USA ont compris ça. Quand on discute avec Obama, on voit qu'ils ont aussi leurs problèmes internes qui remontent à l'intérieur de leur pays. Ce n'était pas encore le cas il y a dix ans. Il y a encore cinq ans on ne pouvait pas parler du poulet chloré aux USA, aujourd'hui oui. Ils ont aussi des problèmes avec leurs consommateurs.
L'Europe a-t-elle une stratégie pour son agriculture ?
Je vous remballe la question. Regardez les négociations budgétaires. Nous avons demandé au niveau de l'Europe – au PE – un budget beaucoup plus conséquent. Ce sont les Etats qui nous ont coupé les budgets ! Au niveau de notre groupe (PPE), nous avons sauvé 30 % sur le budget de l'agriculture qui aurait été rogné. Une baisse acceptée par les Etats ! Nous nous sommes battus. Après, nous faisons avec les budgets que nous avons.
La solution réside-t-elle dans des ressources propres ?
C'est notre dossier pour les cinq prochaines années. Sinon on peut arrêter. Que ce soit sur l'agriculture ou l'ensemble des dossiers européens, tant qu'on dépendra des dépenses des Etats, on ne pourra pas accuser l'Europe. Si on veut garder le budget et faire plus de politique, on prendra l'argent là où il y en le plus : sur l'agriculture. Or, c'est l'une des seules politiques communes. L'avenir de l'Europe passera par des ressources propres. Quand on voit ce qu'il se passe avec l'Ukraine, nous avons besoin d'une politique énergétique européenne, de sécurité alimentaire bien sûr pour 500 millions de consommateurs. Et il faut aussi une politique de sécurité et de défense. Avec le budget actuel, on ne peut pas faire ça.
Quel message passeriez-vous aux agriculteurs ?
Nous avons fait notre travail, notamment dans notre groupe. Les agriculteurs français dépendent de l'Europe. Je prends toujours mon exemple, j'avais une ferme de 7 ha, aujourd'hui elle est viable et rentable. Mon fils et mon gendre sont installés dessus. La Pac n'est pas que pour les gros ! Nous n'avons pas mérité les extrêmes. Il faut voter pour les partis démocrates.