Jamais il n'y a eu autant de médecins de France : ils sont passés de 59 000 en 1968 à 216 000 en 2011. Pourtant, on ne cesse de parler de déserts médicaux. Un département sur deux compte une densité inférieure à la moyenne nationale, avec un écart de 101,2 médecins pour 100 000 habitants en Haute- Loire à 226,9 à Paris. S'y ajoutent les inégalités entre centres-villes et banlieues ou secteur rural isolé, mais aussi le manque de spécialistes (ophtalmologistes, gynécologues, pédiatres). Les chirurgiens-dentistes, infirmiers ou kinésithérapeutes ne sont guère mieux répartis. Le nombre d'infirmiers libéraux va de 1 à 7 suivant le territoire. Revenons aux médecins. Premier écueil, le nombre de libéraux décroît : ils sont 59 % alors que les médecins hospitaliers sont 30 % et les salariés d'autres structures 11 %. La situation ne va pas s'améliorer : seul un sur dix s'inscrit en libéral à la sortie de ses études. Sur ces médecins libéraux, la A SAVOIR moitié (53 700) sont des généralistes et se consacrent aux soins de premier recours. Les autres sont spécialistes ou ont des pratiques particulières (homéopathie, acupuncture, médecine du sport). Les années à venir seront les plus délicates : les effectifs devraient décroître encore jusqu'en 2019 avant de remonter progressivement jusqu'en 2030.

Les pouvoirs publics tout comme les collectivités locales ont presque tout essayé pour attirer les jeunes médecins en milieu rural : des bourses proposées aux étudiants pour s'installer en zones sous-dotées, des allègements fiscaux et sociaux, des exonérations temporaires de taxes locales, une majoration de la rémunération. Selon le rapport de la Cour des comptes de septembre 2011, entre le manque de lisibilité des aides, leur multiplicité et les effets d'aubaine dont ont profité certains médecins, les avantages financiers n'ont pas eu l'efficacité escomptée. La Cour juge aussi que la carte des zones sous-dotées (4 500 communes et 2,6 millions d'habitants) qui donne accès à certaines aides est peu fiable. Sans compter que les médecins ruraux auraient des revenus supérieurs de 15 % à ceux des villes.

Alors comment pousser les jeunes médecins à choisir la médecine générale ? Seule la moitié d'une promotion effectue un stage en médecine générale de premier recours. Les généralistes réclament plus de visibilité à cette formation. Ils regrettent que ce cursus universitaire soit quasi exclusivement hospitalier.

Faut-il contraindre les jeunes à s'installer en zone sous-dotée ? L'Allemagne, l'Autriche, l'Angleterre la Suisse y ont recours. En France, toutes les tentatives même timides de coercition ont échoué, combattues tantôt par les futurs médecins tantôt par l'Ordre des médecins. Pourtant la formule existe pour les infirmières depuis fin 2008, avec une relative efficacité (1).

ÉCOUTER LES JEUNES

Marie-France Gérard, médecin généraliste installée à Vicherey (Vosges), exerce au sein de la maison de santé qu'elle a contribué à créer (lire page 47). Elle ne croit pas à la contrainte : « Comment obliger un jeune à exercer dans un lieu isolé alors que des postes salariés sont libres en ville ? Cela ne marchera pas. Tenons compte des demandes de ces jeunes : ils veulent concilier vie professionnelle, familiale et sociale. Ils ne veulent pas forcément habiter là où se situe leur cabinet. Même si au-delà d'une heure de route entre le cabinet et le domicile, la distance devient un véritable obstacle à l'installation. C'est à nous, médecins et enseignants, de les convaincre qu'il y a un vrai plaisir à travailler en tant que généraliste : la diversité des soins, le contact suivi avec les malades, la pratique libérale de la médecine. »

Sur le terrain, ça bouge. Les maisons de santé pluridisciplinaire introduites dans le code de la santé publique en 2007 se multiplient. Elles ont été créées pour ouvrir aux professionnels libéraux un mode d'exercice collectif. Dès que des financements publics sont sollicités, le projet doit répondre à un cahier des charges précis : au moins deux médecins généralistes et un professionnel paramédical (infirmier, kinésithérapeute…).

MAISONS DE SANTÉ PLURIDISCIPLINAIRE

Une maison de santé repose sur trois pieds : une collectivité territoriale partante, un porteur de projet (souvent un médecin chevronné qui a une vision du métier) et une structure qui accompagne (MSA...). Le projet a besoin d'une longue maturation, deux ans au minimum. « Ces établissements pourraient abriter, pour les plus dynamiques, des terrains de stage privilégiés mais aussi des lieux d'exercice pour les universitaires de médecine générale », explique Marie- France Gérard.

Gilles Roland, président de la communauté de communes des Montagnes- du-Haut-Forez (Loire) qui compte 3 900 habitants, a poussé à la création d'une maison de santé à Noirétable. Elle devrait sortir de terre l'an prochain : « Nous ne sommes pas classés en désert médical mais deux de nos trois praticiens partent bientôt à la retraite. C'est à nous de nous organiser pour proposer des services et maintenir la population. Les trois médecins vont déménager dans les nouveaux locaux, ainsi que trois cabinets d'infirmières. De la place est disponible pour un quatrième médecin et des permanences de spécialistes. C'est un investissement sur l'avenir : nous espérerons obtenir 600 000 euros d'aides de la région si notre dossier est reconnu pôle d'excellence rural. »

Selon Joël Giraud, maire d'Argentière- la-Bessée, député des Hautes- Alpes et membre de l'Association nationale des élus de montagne, les maisons de santé ne sont pas toujours suffisantes : « Dans ma commune, il ne restait qu'un médecin à un an de la retraite. Notre maison de santé subventionnée à 80 % a attiré une équipe pluridisciplinaire. Mais dans le Queyras, sur un territoire très enclavé, nous avons monté une autre maison de santé adossée à l'hôpital rural. Cette fois, cela n'a pas suffi pour attirer des professionnels. » C'est l'association de médecins Seliance, gérée par le docteur Graglia de Gap, qui assure les soins. Les praticiens effectuent deux heures de route et les frais liés au transport sont financés par la région. Un service de télémédecine permet de réaliser des diagnostics partagés. « Nous avons aussi pérennisé des emplois de l'hôpital. Des personnes à mi-temps réalisent leur deuxième mi-temps à la maison de santé. Dans quelques temps, les villes moyennes pourraient être touchées par le manque de médecins. Je ne trouverais pas scandaleux que les jeunes aient l'obligation de rester dans les territoires déficitaires pendant plusieurs années. »

Parfois certains élus se sont retrouvés avec des maisons quasi vides sur les bras. Cette précipitation s'explique à la fois par l'envie de retenir les médecins mais aussi par la crainte de se faire dépasser par la communauté de communes voisine. Cette concurrence entre territoires peut déséquilibrer l'offre existante, la concentrer exagérément et accroître pour certains malades la distance à parcourir pour se soigner (1).

Selon Gérard Testa, médecin chef à la MSA Ardèche-Drôme-Loire, il faudra une multitude de solutions pour faire face aux déserts médicaux : « Seul un praticien sur dix souhaite s'installer en médecine libérale. Le salariat est aussi un moyen d'attirer des praticiens au travers des centres de santé. » Jean- Louis Deutscher, médecin national Santé publique à la caisse centrale de la MSA, s'interroge : « Plus que de déserts médicaux, il s'agit de déserts de soignants. Il faut faciliter la vie des médecins et de l'ensemble des soignants en zones sous-dotées. Si un jeune a l'impression d'aller au goulag, il ne restera pas. Nous avons expérimenté avec Groupama, dans deux « Pays de santé » (Dordogne et Ardennes), une organisation qui pourrait préfigurer la médecine de proximité de demain. Si on facilite travail en allégeant les tâches annexes des praticiens, cela peut changer la donne. »

FACILITER LA VIE DES PRATICIENS

Jean-Michel Marcet, médecin conseil à la MSA de Dordogne, a accompagné l'un des projets : « Ici, la population est âgée. Toutes les catégories de professions de santé sont touchées par la désertification : infirmiers, kinésithérapeutes mais aussi dentistes, avant même les médecins. Tout le monde en a pris conscience au même moment. Au départ, il faut une conseillère pour le Pays de santé. Nous avons choisi une cadre infirmière chevronnée. Elle a mis en place des services à destination des professionnels pour qu'ils se concentrent sur leur coeur de métier : centrale d'achat de petits matériels, organisation de la collecte des déchets médicaux, réalisation de kits sociaux et de documents pour simplifier par exemple l'admission en maison de retraite. » Elle facilite aussi la collaboration entre les professionnels de santé et le secteur social, organise des actions d'éducation thérapeutiques (lire ci-dessous). Elle travaille en s'appuyant sur un conseil de santé qui réunit 25 membres : maires, professionnels de santé, assistantes sociales de la MSA, de l'hôpital, conseil général, élus de la MSA et de Groupama.

L'expérimentation prend fin en novembre mais l'Agence régionale de santé (ARS) va prendre le relais et étendre le pays de santé de trois à dix cantons. « Le coût de ce Pays de santé tient dans le salaire d'une coordinatrice chevronnée et à la possibilité de recourir à une diététicienne. Nous n'inventons rien. Nous permettons à la mayonnaise de prendre, parfois simplement en apportant l'information. »

DEUX PAYS DE SANTÉ

Le développement de l'exercice interprofessionnel, la coordination entre soignants appelle à instituer un autre mode de rémunération du travail de tous les professionnels de santé. Pour Christian Paul, rapporteur de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de finance de la Sécurité sociale pour 2013, cela passe par une rémunération pour partie à l'acte comme aujourd'hui et pour partie au forfait. Il propose de tenir compte du service rendu au patient. Face à la retraite annoncée de 39 000 médecins, dont 45 % de généralistes, il a demandé (et a obtenu de la ministre de la Santé Marisol Touraine) la création de 200 postes de praticiens territoriaux de médecine générale : les jeunes médecins bénéficieraient d'un contrat de deux ans avec surcroît de Chaque lundi, les membres de la maison de santé de Vicherey organisent des réunions d'échanges (au centre, Marie-France Gérard). rémunération pour exercer en zone sous-dotée.

Reste le problème supposé de la féminisation de la profession. Marie- France Gérard s'appuie sur une chronique iconoclaste du professeur de l'université Paris Descartes, Guy Vallencien, publiée le 20 octobre. Selon lui, la présence de 70 % de femmes dans les effectifs étudiants est une chance : elles réclament une meilleure répartition entre vie professionnelle et personnelle. Et c'est tant mieux. Cela oblige à s'organiser, à collaborer. Les nouvelles technologies de l'information, la télétransmission, l'imagerie médicale aideront à consulter à distance, à échanger les informations, à suivre les malades, à agir en veille sanitaire. Bref, une médecine et des soins de proximité qui ne demandent qu'à bouger.

(1) Revue Pour n° 214, Santé en milieu rural : réalités et controverses, juillet 2012.