Depuis la commercialisation des premières semences génétiquement modifiées en 1996, les cultures transgéniques ne cessent de gagner du terrain. Elles couvraient 148 millions d'hectares dans le monde en 2010, en hausse de 10 % par rapport à 2009, selon l'Isaaa (International service for the acquisition of agri-biotech applications). Le passage de 1,7 million d'hectares à 148 millions d'hectares en quinze ans (soit une multiplication par 87) fait des OGM « la technologie végétale la plus rapidement adoptée dans l'histoire de l'agriculture moderne », selon le président-fondateur de l'Isaaa, James Clive, qui prévoit par ailleurs « que 40 nouveaux pays adoptent des OGM avant 2015 ». Ce succès phénoménal tient-il du miracle ou du mirage ?
Le caractère de tolérance aux herbicides a toujours été le plus répandu. En 2010, 83 % des OGM cultivés dans le monde présentaient ce caractère, soit seul (61 %), soit en association avec d'autres caractères (22 %). Il a séduit en masse des agriculteurs désireux de faire des économies d'herbicides et/ou de simplifier le travail du sol. Il est clair que les OGM tolérants aux herbicides ont favorisé l'adoption de pratiques culturales simplifiées, notamment en Argentine (lire ci-dessous). En matière d'herbicides, le bilan est aujourd'hui plus contrasté.
L'évaluation des impacts agronomique, économique et environnemental des variétés tolérantes aux herbicides a fait l'objet d'un rapport scientifique commun du CNRS et de l'Inra, publié en novembre dernier, à la demande des ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie. Il relate que les promesses en termes de réduction de doses d'herbicides appliquées semblent tenues les premières années, mais que « les enquêtes récentes réalisées aux Etats-Unis montrent que le différentiel de consommation d'herbicides [entre variétés Roundup Ready et variétés non tolérantes aux herbicides], initialement en faveur des variétés tolérantes aux herbicides, régresse en quelques années et devient défavorable pour le soja et le coton ». L'apparition d'adventices résistantes au glyphosate depuis plusieurs années a, en effet, entraîné les agriculteurs à traiter plus souvent ou à plus fortes doses et à recourir à d'autres herbicides, en plus du Roundup (lire l'encadré p. 47).
GESTION DES RÉSISTANCES
Le problème des adventices résistantes au Roundup est suffisamment sérieux pour que Monsanto ait créé un site dédié à la gestion de ces résistances pour les agriculteurs américains (www.roundupreadyplus.com). Les farmers qui se connectent ont accès à un certain nombre de publications sur le sujet et à des conseils agronomiques ciblés par région de production. Mieux : en entrant leur code personnel et le nombre d'hectares cultivés pour chaque espèce Roundup Ready (RR), ils peuvent calculer le montant de la prime à laquelle ils pourront prétendre. Car Monsanto prend désormais en charge les dépenses d'herbicides supplémentaires engagées pour lutter contre les mauvaises herbes résistantes au Roundup.
Au-delà des Etats-Unis, des adventices résistantes sont désormais couramment rencontrées dans la plupart des pays où des plantes RR sont cultivées à grande échelle (Brésil, Argentine, Australie, Afrique du Sud...). Pour sauver leur technologie, la stratégie des firmes serait d'empiler sur une même plante des gènes de tolérance à divers herbicides. En août dernier, aux Etats-Unis, Dow Agroscience annonçait avoir soumis à l'évaluation le premier soja cumulant des résistances à trois herbicides, glyphosate, glufosinate et 2,4-D.
Le deuxième trait le plus répandu dans le monde est la résistance aux insectes. L'introduction d'un gène Bt dans l'ADN des plantes leur permet de produire une toxine pour se défendre contre certains insectes. L'Inde a imposé récemment un moratoire sur l'aubergine Bt (lire l'encadré p. 50) mais cultive du coton Bt depuis une dizaine d'années. Son introduction en 2002-2003 a permis le doublement de la production en cinq ans, faisant du pays le deuxième producteur mondial de coton et un grand pays exportateur.
« Plusieurs sociétés produisent et vendent des semences Bt, même si Monsanto détient 75 % du marché indien, indique Philippe Beyriès, conseiller agricole à l'ambassade de France. Les royalties représentent 15 à 25 % du prix de ces semences, qui coûtent environ deux fois plus cher que les variétés traditionnelles. Le taux d'adoption de la technologie est très élevé (87 %), facilité par le fait que des variétés hybrides, donc rachetées à chaque saison, étaient déjà utilisées par les producteurs. On enregistre également une diminution de 40 % de l'utilisation d'insecticides même si, dans certains districts, il a été constaté le développement de résistances qui pourraient limiter l'intérêt de ces semences OGM. »
Des résistances aux insectes sont également apparues dans les champs de coton Bt de certaines provinces chinoises, où il est cultivé depuis 1998. En 2008, une équipe de scientifiques chinois publiait dans la revue Science une étude montrant les bénéfices apportés par le coton Bt pour contrôler les populations d'insectes cibles, y compris dans les champs de coton non OGM situés à proximité.
En septembre 2010, pratiquement la même équipe publiait une nouvelle étude dans la même revue, décrivant cette fois l'augmentation des populations d'insectes non-cibles dans le coton et les autres cultures, en relation avec l'augmentation des surfaces en coton Bt. Un phénomène que les auteurs expliquaient par la baisse d'utilisation des pesticides dans le coton Bt.
Le phénomène d'apparition de résistances n'a pas épargné l'Afrique du Sud, qui a commencé à cultiver des variétés Bt en 1997. L'Institut national de la biodiversité l'explique notamment par le fait que la toxine Bt est inégalement répartie dans les différents tissus de la plante, ce qui amène les insectes à être exposés à des doses sublétales. De même, la pollinisation croisée entre maïs Bt et non Bt pourrait aboutir à la production de plants ayant de faibles teneurs en toxine Bt. « Nous avons rencontré une résistance à la toxine Mon 809 il y a deux ans, explique Chis Schoonwinkel, agriculteur sud-africain qui cultive du maïs Bt depuis dix ans. Monsanto nous a expliqué que le gène était arrivé à la fin de son cycle d'utilisation, qui est plus ou moins de dix ans. Quand une infestation est détectée dans du maïs Bt, Monsanto fournit habituellement l'insecticide pour contrôler le problème. »
L'une des grandes promesses de certaines variétés plus récentes de maïs Bt était de contrôler la chrysomèle. L'été dernier, le docteur Aaron Gassmann, de l'université d'Iowa, a mis en évidence l'apparition de populations de chrysomèles résistantes à une toxine Bt (la protéine Cry3Bb1) dans certains champs. « Il y a toujours un très petit nombre d'allèles résistants dans les populations de chrysomèles, explique le docteur Michael Gray, agronome à l'université de l'Illinois. Si les producteurs sèment du maïs plusieurs années dans la même parcelle, sans rotation avec d'autres cultures ou avec d'autres hybrides Bt exprimant des protéines Cry différentes, on peut s'attendre à un accroissement des résistances dans le temps. » Pour le chercheur, cependant, le maïs Bt va continuer à offrir des bénéfices économiques et environnementaux. D'autant qu'« il existe d'autres hybrides Bt exprimant des protéines Cry différentes et pour lesquelles aucune résistance n'a été mise en évidence ». Pour l'instant...
DES PRATIQUES À REVOIR
Si les OGM ne semblent plus toujours à la hauteur de leurs promesses, leur taux d'adoption ne fléchit pas. Bien au contraire. Ce succès peut s'expliquer d'abord par le fait que la technologie en elle-même n'est généralement pas remise en cause. Scientifiques et semenciers s'accordent pour montrer du doigt les pratiques des agriculteurs. En particulier la monoculture combinée à l'utilisation exclusive de glyphosate pour contrôler les adventices, qui accroît la pression de sélection sur ces dernières. Il en va de même pour les populations d'insectes, avec la monoculture de plantes Bt exprimant toutes la même toxine. En outre, tous les agriculteurs ne respectent pas l'obligation de semer des « zones refuges » de maïs non Bt à proximité ou au sein de leurs champs de maïs OGM (ces zones limiteraient le développement de résistances, en permettant aux insectes non résistants qui s'y développent de s'accoupler avec les éventuels insectes résistants qui pourraient apparaître dans les parcelles Bt).
La fidélité des agriculteurs aux OGM est parfois encouragée par de véritables politiques de soutien aux biotechnologies. Aux Etats-Unis, la mise en culture de certaines variétés transgéniques permet ainsi de bénéficier d'une réduction de cotisation sur des programmes d'assurance récolte. Le contexte social a également son importance. En Argentine, où l'opinion publique se désintéresse de la question, la monoculture de soja RR continue de progresser en dépit de l'apparition d'adventices résistantes. Enfin, les OGM de demain ne seront pas ceux d'aujourd'hui – ou du moins pas seulement. Il est donc permis d'espérer que les nouvelles générations d'OGM ne se heurteront pas aux mêmes problèmes que les cultures RR et Bt. Déjà, des caractères autres que la tolérance aux herbicides et le gène Bt existent, comme la pomme de terre Amflora en Europe et le maïs alpha-amylase aux Etats-Unis, dont les traits transgéniques visent à optimiser la transformation industrielle. A côté de ces OGM mineurs, de nouveaux caractères pourraient connaître un engouement comparable à la tolérance aux herbicides ou à la résistance aux insectes. Les Etats-Unis viennent d'autoriser le premier maïs tolérant à la sécheresse. D'ici quatre ans, un manioc résistant à un virus, promettant un triplement des rendements, devrait être disponible pour les paysans africains (lire l'encadré p. 49). Des aliments bio-fortifiés, des plantes efficientes en eau ou en azote sont dans les cartons de nombreux laboratoires. Pour ne parler que des végétaux...