Au même titre que l'air et le soleil, l'eau est une ressource naturelle vitale. Sur notre planète, l'eau est à 97,5 % salée. Sur les 2,5 % restants d'eau douce, l'essentiel est présent dans les glaciers de l'Antartique et du Groënland sous une forme inexploitable.
L'eau douce accessible renouvelée annuellement est estimée à 40 000 km3, ce qui laisse 6 500 m3 par an et par habitant pour couvrir les besoins humains (domestiques, industriels et agricoles). Cette quantité serait suffisante si elle était bien répartie. Ce qui est loin d'être le cas. Quelques pays disposent de ressources pléthoriques : l'Islande avec 500 000 m3/an/habitant, le Canada (90 000 m3), le Brésil (45 000 m3) ou encore la Russie (30 000 m3). D'autres, au contraire, sont très mal lotis comme Singapour (150 m3) Malte (124 m3) et le Koweit (7 m3).
DROIT D'ACCÈS À L'EAU
Ces inégalités pèsent sur les populations les plus pauvres. « L'eau a un rôle central pour atténuer la pauvreté », relève le deuxième rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau. Plus d'un milliard de personnes n'ont pas un accès suffisant à l'eau potable et 2,6 milliards sont dépourvues d'assainissement. L'ONU a élevé l'accès à l'eau au rang de droit fondamental.
Ricardo Petrella, président de l'Institut européen de recherche pour la politique de l'eau, voit dans la situation dramatique des laisssés-pour-compte de l'eau un scandale social mondial : « Ce n'est pas la rareté de l'eau mais la pauvreté qui est la cause du non-accès à l'eau », s'insurge-t-il, en plaidant pour la mise en place d'un pacte mondial qui ferait de l'eau un patrimoine commun de l'humanité.
L'eau n'est pas inépuisable. La croissance démographique, l'évolution des modes de consommation des populations conduisent à une raréfaction de la ressource qui fait dire à certains experts que nous sommes confrontés à une crise mondiale de l'eau. Les prélèvements sur l'eau n'ont cessé d'augmenter, parfois dans des conditions déraisonnables (nappes surexploitées, ouvrages hydrauliques sur des grands fleuves provoquant des réductions sensibles du débit...). De grandes zones aquifères se tarissent : depuis 1960, la mer d'Aral a perdu la moitié de sa surface. La quantité moyenne d'eau disponible par habitant, qui était de 17 000 m3 en 1950, chutera à moins de 5 000 m3 en 2025.
« L'humanité entière gaspille et doit se préparer à une ère d'économie drastique en gérant mieux et en consommant moins », écrit Franck Galland dans son ouvrage « L'Eau géopolitique, enjeux, stratégies ». Les usages concurrents sur l'eau (boisson, hygiène, production de biens agricoles ou industriels) attisent les tensions entre les usagers.
Selon Alexandre Thaite, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, « pour gérer les conflits internes, les gouvernants disposent d'une marge de manoeuvre réduite car les politiques de l'eau sont étroitement dépendantes des secteurs de l'énergie et de l'agriculture ». Il faut de l'énergie pour mobiliser de l'eau et l'eau sert aussi à produire de l'énergie. Selon lui, les tensions viennent des politiques agricoles : « Dans les pays majoritairement ruraux, l'agriculture est un facteur de stabilité sociale. Toute tentative pour rationaliser ce secteur présente des risques de déstabilisation. Le problème vient également de la volonté de nombreux pays de maintenir un haut niveau de production, parfois au détriment de toute rationalité hydrique. Ainsi, l'Espagne consacre 22 % de l'eau provenant du dessalement à des productions alimentaires destinées à l'exportation. »
NOURRIR LE MONDE
Devant les contraintes de développement, pour satisfaire les besoins liés à la croissance démographique et économique, les responsables politiques recourent à une gestion de l'offre (barrages, exploitation des nappes, dessalement) parfois au-delà du raisonnable et en dépit des inconvénients environnementaux, énergétiques et sociaux que ces travaux hydrologiques suscitent.
Le véritable enjeu de l'eau concerne l'agriculture. Le secteur agricole représente 70 % des prélèvements et 90 % de la consommation mondiale de l'eau. En 2050, nous serons près de 9 milliards d'êtres humains. Pour faire face à cette augmentation de population, il faudra doubler la production alimentaire, estime la FAO, et augmenter les surfaces irriguées de 30 %. Actuellement, si les surfaces irriguées ne représentent que 20 % de la SAU mondiale, elles fournissent 40 % des produits agricoles. L'amélioration de la productivité hydrique de l'agriculture est une des clés. L'amélioration des capacités de l'agriculture pluviale dans de nombreux pays peut également y contribuer. La notion d'eau virtuelle nous fait comprendre comment les échanges internationaux de produits agricoles ont un impact direct sur la gestion de l'eau des pays soumis à rationnement.
L'eau virtuelle est la quantité d'eau nécessaire à la production d'une denrée alimentaire ou d'un bien industriel. Or, l'écrasante majorité des échanges mondiaux d'eau virtuelle est liée au commerce agricole. Ainsi, les pays du Maghreb et du Moyen-Orient importent, sous forme de céréales, l'équivalent de 30 % de leurs ressources en eau. Une situation qui fait dire à Alexandre Le Vernoy (du Groupe économie mondiale de Sciences-Po) dans un article du « Monde » publié le 24 janvier 2006, que l'eau est une chance pour l'agriculture française. Une façon rationnelle d'utiliser les flux d'eaux virtuelles des pays qui disposent des ressources pour utiliser plus efficacement l'eau vers les pays les moins efficaces en termes de productivité hydrique.
COOPÉRATION OU GUERRES
Les causes de tensions peuvent dépasser le cadre d'un Etat : les plus grands fleuves traversent plusieurs pays, quand ils ne servent pas de frontière, des nappes phréatiques peuvent s'étendre sur plusieurs Etats. Il existe presque autant de bassins hydrographiques transfrontaliers que de types de fromages en France. Les guerres au XXIe siècle éclateront à cause de l'eau, prédisent certains experts. Au Moyen-Orient, l'Egypte est en concurrence exacerbée avec le Soudan et l'Ethiopie, pays d'amont, sur la question du partage des eaux du Nil qui fournissent au pays des pharaons 98 % de ses besoins.
Avec son projet Anatolie Sud-Est (construction d'une vingtaine de barrages et de centrales électriques), la Turquie contrôle le Tigre et l'Euphrate. Des eaux tout aussi vitales pour la Syrie et l'Irak. La Chine, avec ses 1,3 milliard d'habitants, doit faire face à une situation préoccupante de pénurie et de qualité d'eau. Elle a fait du Tibet, château d'eau de l'Asie, une zone stratégique. Les projets d'aménagements hydrauliques concoctés par les autorités de Pékin inquiètent les puissants voisins : la Russie à propos du fleuve Amour et l'Inde au sujet du Brahmapoutre et de l'Indus.
Ces tensions ne dégénéreront pas nécessairement en conflits. Dans son ouvrage, Franck Galland remarque même qu'un litige frontalier « peut se transformer en coopération durable pour le partage de la ressource et la préservation de sa qualité ».