Au nombre de 46, les parcs naturels régionaux couvrent 13 % du territoire français. Qui dit parc régional dit foncier : surface agricole et forestière se partagent 95 % des 7 millions d'hectares sous charte. Quelque 79 000 agriculteurs y vivent de leur activité. C'est le cas de Cédric Laboret, éleveur laitier qui préside l'Association des agriculteurs du parc régional du Massif des Bauges, en Savoie : « Le parc est un véritable outil de développement, pas une entrave. Il n'ira pas plus loin que la volonté de ceux qui sont dedans. Les actions sont menées en fonction du projet défini dans la charte et des problèmes concrets du terrain. » Les parcs sont implantés dans des territoires ruraux habités, à forte valeur patrimoniale et paysagère, mais fragiles (désertification, pression urbaine). Selon les lieux et les chartes, les agriculteurs sont concernés par les actions du parc pour la protection et la gestion de l'environnement, la préservation du foncier, l'installation, le soutien à l'agriculture durable, le développement de circuits courts, l'attribution de la marque « parc naturel régional »..., des actions de sensibilisation et d'information.

COOPÉRATIVE EN GESTION DIRECTE

Le parc régional de Chartreuse a été créé en 1995 entre Isère et Savoie. Dès sa préfiguration en 1992, les agriculteurs se sont regroupés au sein de l'association Avenir agriculture en Chartreuse qui rassemble 400 exploitants. Gérard Hanus dirige le parc depuis trois ans : « Le parc a été un levier de développement efficace pour notre agriculture de montagne. Les filières longues ne s'y intéressaient pas vraiment. Sans compter qu'avec ses trois villes, notre territoire était menacé de banalisation à cause de la pression urbaine. Nous travaillons avec les agriculteurs et les deux chambres d'agriculture sur le développement d'une agriculture qui valorise la richesse de notre territoire. » Trois chargés de mission agricole, dont deux embauchés avec la chambre, oeuvrent sur le terrain. Depuis vingt ans, le parc a accompagné la rénovation de la coopérative d'Entremont-le-Vieux. En gestion directe, elle rassemble 24 producteurs. Elle aurait pu disparaître. Elle s'est modernisée, développée, a recréé un fromage spécifique. En 2006, elle a inauguré une installation de méthanisation. « Dans la charte réécrite en 2008, nous avons décidé de mettre l'accent sur l'installation, sur le renforcement des liens entre producteurs et consommateurs, ne serait-ce que pour faire accepter les contraintes du métier d'agriculteur », explique Gérard Hanus. Le parc intervient aussi sur trois des cinq sites du réseau Natura 2000 présents sur le territoire du parc de Chartreuse (10 % de la surface du parc). « Nous intervenons sur la gestion de l'espace, donc sur la préservation du potentiel agricole. Le plan local d'urbanisme des communes du parc doit être compatible avec la charte. » Le parc travaille avec tous les acteurs concernés par le sujet : les communes et les agriculteurs sur le foncier, tous les porteurs de projets (agriculteurs, artisans...) quand il s'agit d'installation.

FAIRE COHABITER DIFFÉRENTS TYPES D'AGRICULTURE

Si, dans le parc du massif des Bauges comme dans celui de Chartreuse, les associations d'agriculteurs ont trouvé leur place, d'un territoire à l'autre, les échos sur les relations entre agriculteurs et parcs varient. Nathalie Galiri suit le dossier parcs à l'APCA : « Cela se passe bien lorsque nous avons plusieurs intérêts en commun : la préservation du foncier en zone périurbaine, la lutte contre la désertification, l'installation. Les parcs peuvent aider à contenir la pression en zone périurbaine, tirer vers le haut les productions à haute valeur ajoutée sur les territoires. Quand les frictions apparaissent, c'est toujours autour des mêmes thèmes : des prises de position contre les OGM, voire contre le maïs, des conditions d'entretien ou de construction de bâtiments hors sol, la gestion de l'eau, la priorité exclusive donnée à l'agriculture biologique. Tout l'art est de faire cohabiter différents types d'agriculture sur le territoire. Il faut privilégier une approche qui concilie environnement, économie et développement humain. Les parcs régionaux sont des territoires habités, vivants, productifs. Ils ne sont pas sous cloche. Mieux vaut trouver des champs de coopération. »

GUERRE DES CLICHÉS

De plus en plus souvent, une convention précise qui fait quoi entre parc et chambre d'agriculture pour éviter les doublons et fixer les règles de coopération. Cela marche plutôt bien, malgré quelques couacs : en 2009, la chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône a dénoncé celle signée avec le parc des Alpilles. Jean-Marc Bertrand, responsable du pôle aménagement du territoire à la chambre d'agriculture, commente : « Nous avons affaire à plusieurs visions de l'agriculture : d'un côté, de grandes familles achètent (cher) de belles propriétés, un paysage préservé. Elles entretiennent leurs terres en plantant des oliviers, sans impératif de rentabilité. De l'autre, les agriculteurs qui vivent du maraîchage dans la plaine, entretiennent par tradition des parcelles du massif en plantant des oliviers. Or, le parc refuse de voir que ce sont leurs cultures sous serre de la plaine, d'exportation parfois, qui font vivre les plantations du massif. Pour l'obtention de la marque du parc, son idéal serait que tout soit bio. Au final, les agriculteurs voient dans le parc une contrainte. Ils agissent sans demander conseil au parc. C'est une sorte de boucle maléfique. On se voit tous les deux jours mais on peine à s'entendre. C'est la guerre des clichés. »

Dans le parc de Camargue, également dans le département, les relations sont encore plus tendues : « L'agriculture n'est pas indispensable aux yeux des dirigeants du Parc, rapporte Jean-Marc Bertrand. La convention réunie pour la révision de la charte démarrait sous ce postulat : la Camargue souffre de deux activités polluantes, l'industrie pétrochimique et l'agriculture. Nous avons réagi. »

CONTRADICTIONS

Le débat sur le type d'agriculture à soutenir est récurrent. Même là où cela se passe bien. En Chartreuse, Gérard Hanus le reconnaît : « L'agriculture qui n'exprime pas le territoire n'est pas la priorité des parcs. Certains modèles industriels peuvent être très destructeurs. Il y a même une contradiction entre la logique dite industrielle et la dynamique territoriale en montagne. Sur notre territoire, nous avons un bassin de production de lait industriel. Nous intervenons auprès d'eux pour construire des bâtiments avec du bois de Chartreuse ou améliorer les abords de ferme. Si un jour, ils se posent la question de la territorialité, s'ils ont un projet, il y aura synergie. »

Agnès Alquier, conseillère à la chambre d'agriculture de l'Aude, à mi-temps sur le parc de la Narbonnaise, note encore des réticences sur le terrain : « Les agriculteurs craignent les contraintes supplémentaires en matière de construction. Leurs pratiques ont énormément évolué. Mais ce n'est pas toujours reconnu. Les réflexes de parti pris demeurent. Parfois, un manque de réalisme intervient. On a voulu réintroduire l'élevage ovin dans le parc. Or, pour s'en sortir, il faut 600 brebis et 600 hectares de parcours. Entre conflits d'usage avec les habitants, les randonneurs, les chasseurs et le problème de revenu de cette production, les tentatives ont échoué. »

PARTIR DU TERRAIN

Lucien Bourgeois, ancien économiste de l'APCA, conseille d'éviter l'indifférence entre agriculteurs et parcs. Il préside depuis quatre ans la commission agricole du parc du Morvan : « Les agriculteurs se détournaient du parc suite à des conflits sur l'eau. Or, il y a des financements pour des projets collectifs. Le risque était double : que les crédits soient monopolisés par quelques-uns et que les prairies délaissées retournent à la forêt. Nous avons proposé d'accompagner les agriculteurs volontaires pour qu'ils créent des groupes autour de projets. Quand ils ont une attitude proactive, ils peuvent les défendre. A chacun d'essayer de comprendre les objectifs de ses partenaires pour que la collaboration avance. » Cédric Laboret résume d'une boutade l'évolution de ces dernières années : « Depuis la création du parc du Massif des Bauges, nous avons “agricolisé” les écolos et “écologisé” les agriculteurs. »

Gérard Hanus poursuit de son côté : « L'agriculture portée par les parcs doit être à très haute valeur naturelle. Nous avons un impératif : être respectueux de l'environnement. Le bio n'est pas la seule réponse. Nous nous demandons toujours si c'est un levier de développement sur notre secteur. La troisième révolution agricole sera de remettre l'agronomie dans l'acte de production. Les parcs pourraient être le réseau de ces expérimentations. » « Nous sommes allergiques à ceux qui viennent nous contrôler en disant « y a qu'à » et « faut qu'on » sans connaître le terrain, reprend Cédric Laboret. Le concours des prairies fleuries qui récompense la biodiversité observée sur le terrain dans nos exploitations montre le chemin à suivre. »