« Mes prairies n'ont pas été retournées depuis 1964 ! », assure Henri Chastanet. Il n'empêche que ses 85 hectares situés à La Porcherie, dans la Haute-Vienne, fournissent toujours une production de qualité à l'ensemble du cheptel de l'exploitation, constitué de 46 vaches limousines et de 6 poulinières pur-sang arabes.

Et la quantité ne fait pas défaut non plus. Excepté lors de gros accidents climatiques, comme la sécheresse de 2003, Henri n'achète pas de foin. Aussi ne ménage-t-il pas ses efforts pour préserver la productivité de ses surfaces en herbe.

« Avant tout, je maintiens le chargement à un niveau relativement faible, insiste-t-il. Autour de 1,1 UGB/ha, de manière à ce que les animaux ne piétinent pas trop le sol. » Car qui dit piétinement, dit trous dans le sol, baisse de rendement et apparition d'espèces indésirables.

Cette précaution est d'autant plus importante que les prairies sont utilisées été comme hiver par l'ensemble du troupeau. Seuls les vêlages ont lieu en bâtiment, mais les animaux ne restent que très peu de temps à l'intérieur. Même si les sols sont sableux et portants dans l'ensemble, Henri veille à ce qu'ils ne soient pas « matraqués ».

Surveiller la météo

« S'il pleut beaucoup pendant l'hiver, je déplace les râteliers tous les jours », indique-t-il. Par temps plus sec, c'est tous les deux jours. Dans tous les cas, cela prend peu de temps. Henri y a veillé lorsqu'il a construit ses râteliers. Munis d'essieux et de roues, ils s'attellent depuis la barre carrée sans descendre du tracteur.

Les périodes neigeuses sont les plus redoutées. « Il faut être vigilant lors du dégel car les sols sont détrempés. Je fais tourner les animaux plus rapidement sur les parcelles et j'évite les endroits les plus argileux et humides. » En résumé, la gestion s'effectue au jour le jour en fonction de la météorologie.

C'est également vrai pour la conduite estivale. Tout au long de l'année, les lots de quinze animaux tournent sur un îlot composé de quatre parcelles.

Au début de l'hiver, toute la surface entre dans la rotation. A partir de la fin de janvier, les bovins n'accèdent plus qu'aux prairies destinées à la fauche, soit 36 ha en 2009. Puis ces parcelles sont retirées du circuit dès la fin de mars, pour être récoltées entre juin et juillet selon les années.

Les rendements moyens obtenus sont constants d'une année sur l'autre et s'affichent autour de 4 tonnes de matière sèche par hectare (t de MS/ha).

Fortes croissances au pâturage

« Mes prairies n'ont pas été très affectées par les sécheresses estivales, constate Henri. Elles sont vite reparties avec le retour des pluies. J'appréhende cependant un déficit hydrique printanier, qui pourrait causer plus de dégâts. » Le pic de production fourragère correspond avec les plus forts besoins du troupeau.

Jusqu'à l'âge de 4 mois, les veaux n'ont que du lait et de l'herbe. A partir du mois de mai, ils commencent à être complémentés. Au total, chaque animal consomme 280 kg d'aliment en moyenne, mâles et femelles confondus. Le GMQ moyen des mâles atteint 1.410 g/j, soit 300 g de plus que la moyenne de la race.

Dans la mesure du possible, les parcelles fauchées alternent chaque année avec celles qui sont pâturées. Mais seulement 50 ha sur les 85 ha sont mécanisables. « L'alternance limite l'apparition des adventices, remarque Henri. En fauchant les espèces indésirables avant la montée à graines, on évite leur dissémination. Cela permet aussi de mieux répartir l'apport d'engrais organique dans le temps. »

Après examen de la flore, les adventices sont d'ailleurs rares. La flore est variée et abondante. « Je "traque" les espèces comme la bardane, poursuit-il. Elle peut provoquer des infections chez les jeunes mâles en se collant sur le fourreau. Heureusement, elle apparaît de façon très localisée et assez rarement.

Tout comme les chardons ou les rumex, tout aussi indésirables. J'utilise un débroussaillant en traitement local pour les éliminer ou j'effectue un passage de gyrobroyeur. Il faut surtout éviter la dissémination des graines. Celles du rumex restent présentes dans le sol et peuvent germer au cours des cent ans qui suivent si elles sont touchées par un sabot ou un outil ! »

Hersage une fois par an

Les apports fertilisants sont assurés essentiellement par les déjections des animaux. Seules les parcelles fauchées reçoivent un engrais ternaire (12-6-20) à raison de 125 kg/ha à la fin de l'hiver. Pour maintenir le pH, 3 t/ha de marne sont apportées tous les trois ans sur toute la surface. Cette formule se compose de fines particules qui améliorent la capacité du sol à retenir l'eau.

Henri passe aussi une herse à prairies sur toutes les pâtures une fois par an. Elle a une fonction d'émoussage et d'ébousage. « J'attends toujours que le temps soit favorable, insiste-t-il. C'est-à-dire pas trop sec pour étaler les bouses molles de façon homogène. Et pas trop humide pour ne pas compacter le terrain.

J'envisage aussi d'acheter un modèle plus large pour gagner en efficacité. Avec un modèle de 7 mètres, je pourrai passer plus facilement dans les petites fenêtres de beau temps qui me sont offertes. Cela me coûtera moins cher en carburant et j'améliorerai l'autonomie de mon exploitation. »

 

 

 

1. Des Râteliers pratiques. « Mon père a conçu les râteliers. Ils s'attellent depuis la barre carrée sans descendre du tracteur », explique Henri Chastanet.

2. Parer aux adventices. L'alternance fauche-pâturage limite la prolifération de certaines espèces indésirables.

3. Déplacement fréquent. Pour éviter le piétinement, le râtelier est déplacé deux fois par jour quand il pleut.

 

Flore multi-espèces 

Graminées et légumineuses cohabitent sur l'ensemble des parcelles. Parmi les plus fréquemment rencontrées figurent le ray-grass anglais, le brome, la fléole, la fétuque élevée, le ray-grass italien et le dactyle, qui côtoient le trèfle blanc, le trèfle incarnat, le sainfoin et la luzerne.

 

 

Expert : ERIC POTTIER, de l'Institut de l'élevage

« L'hivernage en plein air dégrade peu le couvert »

 

« Bien maîtrisé, le pâturage hivernal a peu de conséquences sur la dégradation de la prairie. Une étude réalisée il y a quelques années sur 23 parcelles du Limousin, de la Dordogne et de la Charente l'a démontré. Si, en novembre, 2 % de la surface de ces parcelles sont dégradés, au cours de la période hivernale, cette surface dégradée augmente, pour atteindre un peu plus de 10 % en moyenne. Cette évolution n'est pas alarmante pour autant, car la prairie va se refaire d'elle-même au cours de la saison de pousse.

 

Sur ces mêmes prairies, la part de la surface dégradée s'élevait à plus de 12 % à la fin de l'hiver précédent. Cela ne les a pas empêché de tomber à 2 % à la fin de l'automne suivant.

"L'intensité" de la dégradation n'est pas non plus préjudiciable. Sur l'échelle qui compte dix niveaux et qui prend en compte aussi bien la surface dégradée que la profondeur de dégradation ou la part des mauvaises herbes, la prairie descend de deux échelons au cours de l'hiver. Ce qui reste acceptable dans la mesure où cela se rattrape.

Toutefois, la dégradation est variable d'une exploitation à l'autre : trois sont à moins de 1,8 % alors que cinq dépassent 30 % de superficie dégradée. Cette variabilité s'explique par les différentes conduites mises en oeuvre par les éleveurs.

Le chargement joue aussi un rôle. En dessous d'une utilisation de 600 UGBj/ha (nombre d'UGB présents par jour × nombre de jours), la surface dégradée varie peu avec le nombre de jours de pâturage.

Au-delà de cette valeur en revanche, la dégradation est liée à la durée. Quant à la qualité de la flore, elle reste bonne. Elle est constituée de graminées à 70 %, de trèfle blanc à 14 % et d'espèces diverses comme le pissenlit et le plantain lancéolé. Pour limiter le piétinement, le foin peut être déroulé au sol à différents endroits d'un jour à l'autre.

Cela n'occasionne pas plus de gaspillage. L'entretien et la fertilisation jouent eux aussi un rôle important sur le bon état du couvert. La pratique du pâturage tournant lent semble par ailleurs limiter l'impact des animaux. La stratégie à adopter varie en fonction de la météo et de la portance des sols.

Dans certaines situations, il est parfois préférable de sacrifier une parcelle car la remise en état d'une prairie très dégradée est très difficile, assure-t-il. Notons aussi que les prairies permanentes sont mieux adaptées que les autres. Leur feutrage en surface, entre autres constitué de quelques centimètres de matière organique, leur assure une protection. »