Quand une culture pérenne façonne le paysage, son repositionnement bouscule tout le territoire. C'est le cas de la vigne en Languedoc- Roussillon. En cinq ans, 36 400 hectares ont été arrachés avec prime d'abandon définitif, dans le cadre d'un programme européen.
D'ici deux ans, on devrait arriver à 50 000 ha, soit 5 % de la SAU totale ; pour mémoire 72 000 ha de surface agricole ont « disparu » en France entre 2000 et 2006.
Une partie de ces terres restent en friche, en attendant un acquéreur. Les promoteurs immobiliers et les producteurs d'électricité photovoltaïque s'y intéressent de près. Pour conserver un usage agricole à ces surfaces, les agriculteurs et les collectivités locales se mobilisent.
« J'ai arraché 5 ha de vignes sur lesquels je perdais de l'argent, et, à la place, j'ai planté des oliviers, du maïs et du tournesol semence », explique Jean-Louis Portal, installé sur 59 ha à Meynes, dans le Gard.
Ces dernières années, il a aussi développé des cultures de pommes de terre, de carottes et de salades sur des terres irrigables. Aujourd'hui, il n'a plus que 15 ha de vignes sur des sols à galets où il ne peut rien faire d'autre.
Cette diversification a été possible car il s'est rapproché d'autres agriculteurs. « A huit, nous avons créé une Cuma et un groupement d'employeurs. Cela nous permet de réduire nos coûts », explique- t-il.
Des débouchés dans les fruits et légumes, il y en a encore, « à condition d'être performants sur chaque culture et de s'organiser pour regrouper des volumes et intéresser des acheteurs ».
Avec une moyenne de 30 ares par vigne arrachée, il faut d'abord penser restructuration avant d'envisager de nouvelles cultures. Pour faciliter la mobilité foncière, les organismes agricoles et les collectivités locales ont mis en place un plan d'accompagnement de l'arrachage.
Porté par le conseil régional, il est financé sur des fonds européens, régionaux et départementaux, et se décline dans des projets de territoire qui rassemblent les acteurs locaux. A ce jour, quatorze ont démarré dans les Pyrénées-Orientales, l'Aude, l'Hérault et le Gard.
Restructurer le foncier
« Depuis le début 2009, nous voyons les friches se multiplier. Elles dégradent le paysage et augmentent les risques d'incendie. Nous devons réagir vite si nous voulons préserver de l'arrachage les parcelles de vigne les plus intéressantes et faciliter la diversification », explique Jean-Luc Garrigues, vigneron et vice-président de la communauté de communes du Rivesaltais, dans les Pyrénées-Orientales.
Pour inciter aux échanges de parcelles avant arrachage, cette collectivité attribue une aide de 2 000 €/ha au cédant et de 1 000 €/ha au repreneur. Elle soutient aussi les plantations de vignes et de vergers à raison de 1 000 €/ha.
La Safer prend en charge le travail d'animation foncière. « Ces aides contribuent à faire aboutir les dossiers », souligne Hugues Andrieu, de la Safer.
Facilier la diversification
Après arrachage, des parcelles restent en friche mais d'autres sont cultivées. « Les vignerons ont le souci d'entretenir leurs terres. Ils sont prêts à y mettre du blé dur, pour lequel il y a des débouchés dans la filière régionale. Mais pour que cela soit rentable, il faut au moins des parcelles de 2 ha », rappelle Charly Fabre, de la chambre d'agriculture de l'Hérault.
Le conseil régional et les chambres d'agriculture ont réalisé soixante-seize fiches sur les cultures alternatives. Cinquante-trois sont déjà bien développées, vingt-trois autres restent plus expérimentales, comme les cultures énergétiques.
Les atouts et les contraintes du territoire ont été cartographiés pour conseiller les candidats à la diversification. Avec l'irrigation, la palette des cultures envisageables s'élargit. L'extension des réseaux qui distribuent l'eau du Rhône démarre. Des projets de retenues collinaires avancent.
Le conseil régional finance déjà le prolongement, jusqu'à Narbonne, du canal qui vient du Rhône. Il reste à régler le financement des réseaux secondaires. Avec le réchauffement du climat, même la vigne a besoin d'une irrigation d'appoint dans certaines zones, pour réguler la qualité et le rendement.
« C'est un investissement d'intérêt public, affirme Guy Giva, le président de la chambre régionale d'agriculture. C'est aussi un investissement à long terme. La crise viticole est particulièrement brutale. Nous devons gérer en même temps l'urgence pour sauver le plus possible d'exploitants, et préparer l'avenir. »
Promesses de vente ou de bail pour des projets photovoltaïquesDepuis 2008, des intermédiaires démarchent les agriculteurs et leur proposent de signer des promesses de vente ou de bail qu'ils espèrent ensuite céder à des producteurs d'électricité photovoltaïque. « La plupart des exploitations de plus de 50 ha ont été contactées. Des promesses ont été signées, mais seul un petit pourcentage de ces projets a des chances de se réaliser », estime Hugues Andrieu, de la Safer. « Ces intermédiaires jouent sur la misère des gens et les font rêver avec des loyers de 1 500 à 4 000 €/an. Attention aux désillusions. Lisez bien les contrats », conseille Claude Jorda, le président de la FDSEA des Pyrénées-Orientales. « Nous sommes favorables aux énergies renouvelables. Mais il n'est pas question de geler durant vingt ans des terres fertiles pour produire de l'électricité ! Restons prudents, prenons le temps de clarifier la réglementation et d'établir un zonage comme pour les éoliennes », affirme Guy Giva, président de la chambre régionale d'agriculture. En attendant, des projets ont déjà abouti. Deux installations fonctionnent à Lunel, dans l'Hérault, avec la société Valeco, et à Narbonne, dans l'Aude, avec EDF Energies nouvelles. D'autres sont en préparation. « Nous avons rétrocédé des terres à la mairie de Torreilles qui va les louer à Poweo. Situées dans une zone où il y a des remontées salines, elles n'intéressaient pas les agriculteurs. Par contre, dans l'Aude, nous avons préempté pour bloquer un projet photovoltaïque dans une zone où des caves particulières et coopératives étaient en train de se développer », précise Hugues Andrieu. |
Philippe Deloncle, à Rasiguères, Pyrénées-Orientales : "Je me suis diversifié dans l'arboriculture pour faire face à la crise viticole" « Il y a sept ans, quand la crise viticole a commencé, j'ai planté une première parcelle de pêchers. Je ne voulais pas me laisser emporter par les difficultés sans réagir. Aujourd'hui, je cultive 1,5 ha de vergers irrigués en plaine, et 16 ha de vignes dans les coteaux. De juin jusqu'à mi-août, je récolte des pêches, des nectarines et des abricots mûrs à point que je valorise en vente directe. Après, j'enchaîne avec les vendanges. J'ai planté en plusieurs étapes, sur des terres où la vigne avait été arrachée. Pour arriver à 1,5 ha, j'ai dû acheter quatre parcelles. La Safer m'a aidé à trouver les deux dernières, pour lesquelles j'ai touché une subvention de 40 % sur les frais de notaire, ainsi que 1 000 €/ha de la communauté de communes. C'est un coup de pouce appréciable. Tout n'est pas encore en production, mais avec le gain sur les vergers, j'éponge les pertes sur les vignes. Les prix des vins restent bas, mais je suis dans une coopérative solide et je garde espoir. L'an dernier, j'ai racheté 5 ha de vignes proches des miennes. J'aime ce métier et je veux continuer. » |