Le potentiel de terres cultivables au niveau de la planète serait de 3,3 milliards d'hectares, selon les estimations du centre de recherches international IIASA et de la FAO. Seulement 1,5 milliard d'hectares seraient aujourd'hui cultivés.

Les autres ne sont pas sans usage pour autant : 1 à 2 milliards de personnes y habiteraient et la moitié est couverte de forêts. Si 80 % de ces terres se trouvent en Afrique et en Amérique latine, il y en a aussi en France.

« Si les salaires étaient très bas et la terre très bon marché, ces espaces seraient aussi une proie potentielle pour les investisseurs, comme nous le constatons en Europe de l'Est », rappelle Michel Merlet, le directeur de l'Agter (lire ci-dessous).

 

Michel Merlet, directeur expert d'Agter (1) : "Donner plusieurs choix de développement aux pays du Sud"

« L'évolution rapide des prix sur certains marchés est à l'origine d'importantes prises de contrôle ou de manifestations d'intérêt d'achats ou de locations de terres. Les investisseurs recherchent des placements liés à des projets de production agroalimentaire ou d'agrocarburants. Assumer le contrôle du foncier est souvent nécessaire pour sécuriser ces opérations. C'est aussi un moyen de maximiser le retour sur investissement. Des prix d'acquisition ou des loyers extrêmement bas et l'absence d'impôts sur le foncier leur permettent de capitaliser la “rente foncière”.

Cette notion de rente vient du fait qu'une partie des richesses produites est liée au “capital naturel“ et n'est imputable ni au travail du producteur, ni à l'efficacité du capital mis en oeuvre. Une même quantité de travail et de capital utilisée sur deux terrains différents ne produit pas les mêmes quantités de biens. La différence, la “rente différentielle”, peut être prélevée par le propriétaire foncier.

C'est la capture de cette richesse naturelle qui est au coeur des enjeux, car les terres convoitées sont souvent considérées comme “domaniales” lorsqu'elles sont gérées avec des droits coutumiers. La vente ou la cession en location de longue durée aboutit à une “privatisation” d'espaces jusqu'à présent “communs”.

C'est pourquoi je pense qu'il est indispensable d'engager la discussion sur la nature même des droits de propriété et d'usage, sur les systèmes de gestion et de régulation qui seraient nécessaires, ainsi que sur la redistribution de la rente foncière. Rappelons qu'en France, la création du statut du fermage a bien permis à la fois de sécuriser le droit d'usage, tout en préservant les droits de propriété.

Même quand il existe déjà des droits formalisés sur la terre dans certains pays du Sud, leurs détenteurs les cèdent, volontairement ou après avoir subi des pressions, car il n'existe pas de mécanismes de régulation des marchés fonciers ni de contrôle des structures.

Quelle que soit la situation, les habitants ne peuvent “concurrencer” les gros entrepreneurs nationaux et les “investisseurs” étrangers sans une longue période d'adaptation. Ils n'ont ni les moyens techniques et financiers pour améliorer leur productivité, ni la possibilité d'entrer en relation avec des marchés lointains, ni celle de répondre à des normes de plus en plus exigeantes.

Mais on connaît des exemples de situations dans lesquelles ces obstacles ont été surmontés. Cela a été le cas en Europe au sortir de la guerre, et en particulier en France. Les dirigeants de l'époque auraient pu opter pour des concessions à quelques grandes firmes américaines et transformer tous nos paysans en ouvriers agricoles ou en chômeurs.

Mais l'agriculture européenne moderne s'est construite sur des mécanismes de coopération entre les producteurs et un effort conjoint des organisations paysannes et des Etats, qui ont mis en place des politiques agricoles capables de permettre l'expression du potentiel des producteurs familiaux.

Pourquoi cette voie ne pourrait-elle pas permettre aux pays du Sud de sortir durablement de la pauvreté ? »

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(1) Association pour l'amélioration de la gouvernance de la terre, de l'eau et des ressources naturelles.