L'obligation de couvrir les sols, imposée par le quatrième programme relatif aux nitrates, pourrait donner un nouvel élan au marché des intercultures. L'occasion pour de nouvelles variétés de se tailler une place au soleil.

La variété de moutarde brune Etamine, dont les propriétés technologiques n'ont pas convaincu l'industrie du condiment, pourrait notamment tirer son épingle du jeu. Alors que la moutarde blanche représente aujourd'hui 70% des couverts implantés, les caractéristiques de certaines moutardes brunes sont en effet de nature à retenir l'attention.

«Le système racinaire plus développé d'Etamine lui permet d'explorer le sol plus profondément que la moutarde blanche, affirme Hubert Pouyé, de Gen-Seeds. Ce qui en fait un piège à nitrates très efficace. Mais elle présente surtout des propriétés allélopathiques sur certains champignons du sol, grâce à sa richesse en sinigrine.»

Les différentes espèces de moutarde contiennent en effet de grandes quantités de glucosinolates (dont fait partie la sinigrine, responsable du piquant du condiment). Lors du broyage de la plante, ces composés sont hydrolysés en isothiocyanates (ITC), des molécules toxiques pour certains champignons.

«Des tests in vitro ont mis en évidence l'effet inhibiteur de la moutarde brune sur divers pathogènes telluriques dont le rhizoctone brun de la betterave, relate Françoise Montfort, de l'Inra de Rennes. Aucun effet ne s'exprimait pour la moutarde blanche, et les effets étaient très variables entre les différentes lignées brunes selon leur richesse en sinigrine.»

Des essais en plein champ sur une rotation blé/betterave ont été menés durant trois ans par l'Inra, avec une lignée de moutarde brune (1). «Dans un sol inoculé avec du rhizoctone brun, nous avons régulièrement obtenu une réduction de la maladie de 40 à 50%», rapporte Françoise Montfort.

Par ailleurs, après avoir mis en évidence l'effet assainissant de la moutarde blanche sur le piétin échaudage, l'Inra envisage de poursuivre les essais avec la moutarde brune.

Assainir les sols

Les propriétés de la plante sont exploitées par biofumigation. Un broyage fin est réalisé au stade de la floraison, lorsque la production de biomasse est optimale et que les glucosinolates sont encore accessibles (avant la mise en graines).

L'enfouissement suit immédiatement, afin que les ITC – très volatils – se répartissent dans le sol. «La biofumigation est intéressante dans le cadre de la lutte intégrée, mais certains risques sont encore mal évalués, tempère Françoise Montfort. L'enfouissement de grandes quantités de biomasse peut nuire à l'équilibre microbien du sol. D'autre part, les moutardes peuvent être affectées par des pathogènes peu spécifiques. Il faut bien veiller à ce que les risques encourus ne surpassent pas les bénéfices escomptés.»

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(1) La lignée 1420 utilisée pour les essais n'est pas inscrite au catalogue. Cependant, la variété Etamine est «très proche de cette lignée», selon l'Inra.

 

Un coût compensé par la densité

Etamine, seule variété de moutarde brune disponible sur le marché des intercultures, est commercialisée par Soufflet agriculture et Gen-Seeds. «Le coût des semences (de 10 à 12 €/kg), trois fois plus élevé que pour la moutarde blanche, est compensé par une densité de semis plus faible (3 kg/ha au lieu de 8 à 10 kg/ha)», évalue Hubert Pouyé, qui estime le coût global à35 €/ha.

Les semis, de la fin de juillet à la fin d'août, se font généralement en ligne sur sol déchaumé. Il est conseillé de rappuyer le sol. Le développement de la plante est plus tardif mais supérieur à celui de la blanche. Un broyage fin est réalisé au stade pleine floraison.

 

 

Sélection: histoire d'une reconversion

«Les moutardes brunes sont à destination condimentaire, rappelle le sélectionneur Thierry Guinet. Inscrite au catalogue en 2004, Etamine a été accusée de donner une pâte trop fluide et a été exclue de la transformation. Mais sa puissance d'enracinement et son potentiel de rendement étaient intéressants à valoriser sur le créneau des intercultures, où ses propriétés biofumigantes peuvent aussi être exploitées.»