Prairies dévastées. Un plan de chasse a été mis en place chez Jean-Pierre Sarrasin après l'explosion, en 2008, de dégâts de sangliers dans ses prairies et ses cultures.

C'est le ras-le-bol chez Jean-Pierre et Jean-René Sarrasin, agriculteurs à Saint-Nicolas-lès-Cîteaux et Fénay, dans la Côte-d'Or. La recrudescence des sangliers occasionne des pertes dans leurs cultures et leurs prairies depuis plusieurs années. En 2007, sur 46 hectares de prairies, plus de la moitié (25 ha) a été ravagée et a donné lieu à indemnisation. En 2008, les dégâts ont explosé: Jean-Pierre et Jean-René ont dû clôturer leur silo d'ensilage.

Dans la Côte-d'Or, au cours de la dernière campagne, les pertes de récoltes ont progressé de 58% pour le blé et de 76% pour l'orge. Elles ont été multipliées par trois pour le maïs grain, par six pour le maïs ensilage et par cinq pour le tournesol. A ces dommages causés aux cultures et prairies, s'ajoutent des questions sanitaires, sept sangliers ayant été dépistés positifs à la tuberculose. «Pour toutes ces raisons, nous réclamons une baisse draconienne des populations», souligne Jean-Luc Loison, président de la commission en charge des dégâts de gibier à la FDSEA.

La Fédération départementale des chasseurs et la DDA semblent avoir pris la mesure de l'inquiétude des agriculteurs. Le nombre de bracelets accordés a été augmenté de 45%. «Au moins, nous avons été entendus. Mais nous ne savons pas si cette mesure se révélera efficace car les plans de chasse ne sont pas assez contraignants», explique Jean-Luc Loison.

«Non-assistance à agriculture en danger»

Dans certains départements, la surpopulation de la bête noire sème la zizanie entre les chasseurs et les agriculteurs. Dans le Rhône, qui a connu un automne difficile en 2008, en particulier dans certaines zones comme les monts du Beaujolais, les agriculteurs sont excédés par les dégâts croissants causés par le gros gibier. Les autorisations de prélèvements accordées aux sociétés de chasse n'ont pas empêché l'explosion des populations. A la mi-octobre, le ton est monté et les relations se sont tendues entre représentants des agriculteurs et des chasseurs pour aboutir à deux dépôts de plainte: l'une émanant de la FDSEA pour «non-assistance à agriculture en danger», l'autre déposée par la Fédération départementale des chasseurs pour «graffitis injurieux». Depuis, les dispositions prises en liaison avec l'Administration (organisation de six battues de décantonnement autour des réserves non chassées de la cantinière et de Brou) ont permis de renouer le dialogue.

Chasses à haut rendement

Les effectifs de sangliers ne cessent de progresser: en vingt ans, les prélèvements ont été multipliés par dix, pour atteindre un chiffre annuel de 500.000. Pour autant, les situations peuvent être très différentes d'une région à l'autre. «A l'instigation de leurs instances nationales, certaines fédérations de chasseurs ont fait de réels efforts pour maîtriser les populations en surnombre. Il faut dire qu'avec l'augmentation des dégâts et l'explosion du prix des denrées, la facture devenait salée, confie Jean-Luc Poulain, en charge du dossier relatif aux dégâts de gibier à la FNSEA. J'espère que certains gestionnaires ne vont pas profiter de la baisse des cours pour se remettre à élever des sangliers en agrainant sans discernement au motif que l'indemnisation coûte moins cher», s'inquiète-t-il.

Car le noeud du problème, ce sont ces chasses «à haut rendement» qui, au mépris de toute règle d'équilibre cynégétique, adoptent des modes de gestion propices au développement du gibier pour satisfaire des chasseurs qui paient cher le droit de tirer. A l'encontre de ces «mauvais élèves», des dispositifs peuvent être mis en place. Une quinzaine de départements appliquent ainsi une pénalisation financière sous forme d'une taxe à l'hectare aux sociétés de chasse dont le niveau de dégâts dépasse un certain seuil. En cas de nécessité, des mesures plus coercitives, comme l'organisation de battues administratives, peuvent être décidées.

Il reste que l'agriculture n'est pas la seule à subir la prolifération du gros gibier. Les sangliers sortent des bois, s'approchent des villes au point de poser de réels problèmes de sécurité routière, voire de sécurité publique. Ils se développent aux portes de Lyon. A dix kilomètres de la place Bellecour, une centaine a été dénombrée cette année, contre une dizaine seulement en 2003. La question de l'organisation des prélèvements en milieu périurbain se pose. Dans la région parisienne, ils envahissent certains quartiers, ravagent des ronds-points, saccagent des jardins...

 

Forte augmentation attendue pour 2008-2009

L'automne de 2007 a connu une très forte glandée et fainée à l'échelon national. De ce fait, beaucoup de sangliers se sont gavés et l'effet sur les jeunes femelles nées au printemps de 2007 a été d'avancer leur période d'activité sexuelle, et donc de fécondité, qui intervient à partir de 40 kg. La période de fécondité est ainsi passée de 18 à 12 mois. Ces conditions particulièrement favorables ont provoqué des naissances à la fin de l'été de 2008. Une forme de dessaisonnement en quelque sorte. Résultat: en début de saison, il y avait des sangliers partout. Avec une population plus importante, on peut s'attendre à une envolée des dégâts sur la récolte de 2008-2009.

 

 

Interview: Benoît GUIBERT, de la Fédération nationale des chasseurs

 

«10% des territoires concentrent les trois quarts des dommages»

Quelle est l'évolution des dégâts de grand gibier au niveau national?

«Les dernières statistiques disponibles (saison de 2006-2007) enregistrent une stabilité du montant d'indemnisation en dépit d'une hausse importante (plus de 30%) du prix des denrées. Cela traduit un volume de dégâts moindre. Pour 2007-2008, les premières estimations laissent espérer une stabilité du montant des indemnisations, en dépit d'une très forte hausse des barèmes liée à la flambée du prix des céréales. Ce qui veut dire que les dégâts baissent. Depuis quatre ans, le niveau annuel d'indemnisation des dégâts de grand gibier se stabilise autour de 23 millions d'euros, dont plus de 80% sont imputables aux sangliers.

Pourtant, sur le terrain, on a plutôt l'impression que les sangliers continuent de proliférer, et les dégâts aussi! Cela ne correspond pas à la réalité. Sur les 9/10 du territoire, les choses se passent globalement bien. Le gros problème, c'est que 10% des territoires concentrent les trois quarts des dégâts. Il s'agit de zones où les gestionnaires de la chasse laissent proliférer les sangliers. Ce qui est inacceptable. Ces situations contribuent à détériorer le climat entre agriculteurs et chasseurs.

Que faire pour y remédier?

Il faut absolument convaincre les chasseurs d'augmenter les prélèvements pour peser sur les populations de sangliers là où c'est nécessaire. Il y a aussi l'argument financier: faire porter sur les «mauvais élèves» l'essentiel de l'indemnisation dont ils sont responsables. C'est à ceux qui provoquent des surpopulations (ou qui les gèrent) d'en assumer les conséquences. Car, au niveau financier, nous sommes en charge maximale. Avec une facture annuelle de 23 millions d'euros auxquels s'ajoutent 4 à 5 millions de frais d'expertise et 15 millions consacrés à la prévention, cela finit par coûter très cher. Si l'on y ajoute les prix de location de chasse qui sont de 70 millions d'euros, cela représente 110 millions d'euros pour 800.000 à 900.000 chasseurs de gros gibier.

Enfin, il faudrait revoir les règles de tir, qui sont d'une autre époque (celle de la pénurie), et qui interdisent de tirer les animaux d'un certain poids (de 40 kg à 60 kg selon les cas). Ces règles ne sont plus de mise quand le gibier est en abondance. Les chasseurs doivent revoir leurs pratiques. La seule règle de tir à respecter étant de ne pas tirer sur la bête de tête.»