Cependant, la dégradation de la reproduction n'est pas une fatalité, même chez les hautes productrices. Des pistes s'offrent pour corriger les situations dégradées. La principale reste la voie alimentaire, afin de limiter la perte d'état corporel et le déficit énergétique en début de lactation. Viennent ensuite la surveillance et les délais de mise à la reproduction, les conditions de logement ou encore l'état sanitaire du troupeau. Enfin, la génétique, qui a contribué à la baisse de la fertilité à hauteur de 30 à 50% par une sélection sur la production, s'emploie aujourd'hui à corriger la tendance.

 

 

1. Alimentation : l'énergie avant tout

Recherche: comprendre les causes de la baisse de la fertilité

Repères: état corporel et déficit énergétique

Témoignage de Jean-Pierre Pasquet

2. Une mise à la reproduction raisonnée

Sélection génétique: les mesures correctives portent leurs fruits

Sanitaire: surveiller les pathologies péri-partum

Témoignage de Jean-Pierre Guenot

 

 

1. Alimentation: l'énergie avant tout

Reprise de la cyclicité et expression des chaleurs sont en grande partie liées à l'état corporel et au déficit énergétique en début de lactation.

L'impact de la nutrition est crucial pour la reproduction des vaches laitières. L'un des enjeux majeurs sera de maîtriser le déficit énergétique en début de lactation. La réputation d'infertilité de la prim'holstein haute productrice reste tenace. Et les nutritionnistes aimeraient la chasser. «Si les besoins de l'animal sont bien couverts, il n'y a aucune raison de ne pas avoir un veau par an», estime Jean-Philippe Rousseau, responsable des ruminants chez Sanders.

Dans l'équilibre de la ration, s'attaquer à la fourniture d'énergie reste la priorité. Les apports seront revus deux ou trois semaines avant le vêlage, avec une bonne préparation. Ils resteront élevés plusieurs semaines après. Une prim'holstein à 10.000 litres de potentiel recevra ainsi 10 ou 11 unités fourragères lait (UFL) par jour avant la mise bas. Après le vêlage, il faudra lui fournir de l'énergie concentrée, pour atteindre au moins 24 UFL.

Ajout de matières grasses

Une ration type, dans le modèle de l'ouest de la France, comporte 40% de cellulose au sens large (NDF) nécessaire au fonctionnement du rumen, de 25 à 30% d'amidon et de sucres très digestibles, 16 ou 17% de protéines et 6 ou 7% de minéraux. Dans les élevages, les besoins en énergie d'une grande majorité de vaches laitières produisant entre 35 et 50 kg de lait ne seraient pas couverts. Or elles vont d'abord synthétiser du lait en fonction de leur alimentation, au détriment de la fertilité et de l'immunité. Pour une vache à très haut potentiel, par exemple 50 litres au pic de lactation, il est possible d'ajouter de 300 à 400 g de matière grasse (MG) dans la ration pour compléter les apports d'énergie par le fourrage, notamment le maïs. Cet ajout ne se justifie pas pour des vaches à 35 litres.

C'est l'évolution des cours des MG, dont le prix relatif est bien positionné face à celui des céréales, qui a incité les éleveurs à en incorporer davantage. Faut-il privilégier les MG protégées? Pas nécessairement, car celles qui sont proposées sur le marché sont saturées et efficaces pour améliorer la production sans toucher au TB. A l'inverse, les MG insaturées sont intéressantes pour réduire en partie le TB. Les nutritionnistes recommandent donc de diversifier les sources.

Un apport complémentaire a non seulement un effet bénéfique sur l'état général en début de lactation mais influence clairement la fertilité: rapidité du retour en chaleur par la production de follicules, réussite en première IA puis survie embryonnaire. Les éleveurs disposent d'un levier simple pour rééquilibrer le profil en MG: incorporer à la ration des matières riches en oméga 3 comme le lin, mais aussi la luzerne et surtout l'herbe. En effet, pour Hélène Petit, scientifique à l'université de Lennoxville (Canada), la nature des matières grasses joue également. «L'apport de lin dans la ration améliore la fertilité de la vache laitière, grâce à une meilleure survie embryonnaire », résumait-elle lors des journées 3R en décembre 2007. Ce sont les oméga 3 contenus dans le lin qui ont un effet bénéfique sur la régulation hormonale, notamment en baissant la production de prostaglandine 2, connue pour augmenter les mortalités embryonnaires précoces. Ce qui n'est pas vrai pour les oméga 6. Or le maïs et le soja apportent plutôt des MG riches en oméga 6. La détérioration de la fertilité s'expliquerait donc pour partie par la généralisation des rations maïs-soja.

Autres critères clés

Pour tirer bénéfice des apports en énergie, les laitières ont besoin d'une ration équilibrée, que ce soit en fibres, en protéines, en vitamines, en oligo-éléments et en minéraux. Préconiser un apport moindre en protéines en début de lactation pour écrêter le pic et régler les problèmes de fécondité n'a guère d'effet. Concernant les autres nutriments, le phosphore, le magnésium, le cuivre, le sélénium et la vitamine A ont un impact positif. L'acide folique est également mis en avant: son intérêt sera certes visible, mais uniquement sur des animaux à très haut potentiel dont tous les autres besoins auront été couverts. «Ce n'est pas la peine d'ajouter un élément protégé, donc plus cher, quand il manque 3 UF», résume Jean-Philippe Rousseau. Les nutritionnistes s'intéressent aussi de plus près aux toxines et à leur éventuel impact sur la fertilité, un phénomène bien connu chez les truies.

Enfin, d'autres critères influencent également la fertilité: le poids de la génisse au vêlage, par exemple. Qu'il lui manque 50 kg et sa carrière en souffrira, car elle n'aura pas la capacité d'ingestion nécessaire à la couverture de ses besoins. Sans aller toutefois jusqu'à un excès de gras.

 

 

Recherche: comprendre les causes de la baisse de fertilité

Après le programme de recherche Génanimal (de 2002 à 2006), l'Inra et l'UNCEIA (1) poursuivent leurs travaux conjoints pour essayer de comprendre les causes de la baisse de la fertilité des vaches hautes productrices et d'y remédier. Trois zones du génome ont été identifiées pour leur impact sur la fertilité. «Nos études portent essentiellement sur des animaux sélectionnés sur un groupe de gènes (haplotype) de fertilité localisé sur le chromosome 3», détaille Joëlle Dupont, de l'Inra de Tours. Les chromosomes de 300 génisses ont ainsi été étudiés. Puis 45 génisses possédant des haplotypes différents ont été sélectionnées et inséminées à 18 mois. Les scientifiques attendent les vêlages pour ce printemps. Il s'agit d'évaluer la différence entre elles sur des paramètres de fertilité et de métabolisme: comptage des follicules, contenu des tissus adipeux en réserve d'acides gras non estérifiés... «Ces réserves sont particulièrement importantes chez les prim'holsteins hautes productrices, qui les mobilisent en début de lactation, quand leur capacité d'ingestion n'est pas suffisante pour assurer la couverture de leurs besoins.» Les chercheurs analysent aussi la glycémie ainsi que la leptine plasmatique, une hormone liée à la mise en réserve dans les tissus adipeux. Bilan d'ici à la fin de l'année.

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(1) UNCEIA: Union nationale des coopératives d'élevage et d'insémination animale.

 

 

 

REPÈRES: état corporel et déficit énergétique

Quelques repères pour vérifier si la vache est en état ou ne présente pas de déficit énergétique. Etat corporel autour de 3,5 avant vêlage.

- Limiter la perte d'état à 1,5 point après vêlage.

- Reprise d'état si possible dès 60 jours après vêlage et au plus tard à 100 jours.

- TP supérieur à 28 g/kg. Un TP inférieur à 28 témoigne d'un fort déficit énergétique.

- Rapport TP/TB supérieur à 0,7 à 30 jours post-partum.

 

 

 

 

Témoignage: JEAN-PIERRE PASQUET, éleveur à Châtillon-en-Vendelais, dans l'Ille-et-Vilaine

 

«Je ramène de l'énergie face à l'excès d'azote de l'herbe»

«Pour la fertilité, je regarde surtout le nombre de doses par IA fécondante, explique Jean-Pierre Pasquet, qui élève trente prim'holsteins. Depuis huit ans, je tourne entre 1,5 et 1,7 dose par IA fécondante et par vache pour une moyenne d'étable à 10.900 kg, avec une seule année moins bonne à 1,9. Chez mes collègues, la moyenne est plutôt à 2 doses, voire plus. Les problèmes de fertilité ne sont donc pas une fatalité chez les vaches laitières à haut niveau de production. Certains gestes en élevage sont vraiment déterminants. Au moment du vêlage, j'apporte autant d'eau tiède à la vache qu'elle le veut, sans rien ajouter dedans, ainsi qu'immédiatement après le vêlage et pas dans la journée. Elle se réhydrate et la machine se remet en route correctement. Cela facilite la délivrance et donc toute la fertilité. Je suppose que l'eau remet du poids dans la panse. Depuis que je le fais, je n'ai plus de problème de retournement de caillette. Ce n'est peut-être pas moderne ni marketing, mais ça marche!»

Le second point clé est l'équilibre de la ration, la fibrosité et le rapport énergie/azote. «Je prends le modèle de l'herbe. D'ailleurs, selon les courbes du Contrôle laitier, la fertilité ne se dégrade pas à la mise à l'herbe. Mais il ne s'agit pas de tomber dans l'excès non plus. J'apporte toujours du correcteur, de la graine de lin extrudée et un fond de maïs, même dans la ration estivale, pour ramener de l'énergie face à l'excès d'azote de l'herbe.» Pour lui, il est impossible de bien valoriser des apports tels que le lin si la ration n'est pas bien équilibrée.

 

 

2. Une mise à la reproduction raisonnée

Il est conseillé d'attendre au moins 50 jours avant d'inséminer une vache.

La reprise de la cyclicité est un préalable à toute mise à la reproduction. Selon l'enquête Nec + Repro (1), menée en 2004 dans le Rhône-Alpes, «trois quarts des vaches sont cyclées normalement entre 30 et 80 jours après le vêlage. Parmi elles, plus de la moitié ne sont pas vues en chaleur régulièrement, signale Guy Charbonnier, de la coopérative d'insémination Eliacoop. 10% des femelles présentent une cyclicité irrégulière et 17% sont en anoestrus.»

«Noter tous les événements (problèmes au vêlage, chaleurs, production, taux…) donne des informations sur la vache elle-même pour piloter la reproduction et repérer la bête à problème, conseille Claire Ponsart, de l'UNCEIA. On peut cumuler les informations sur tout le troupeau. Un événement isolé n'est pas grave, mais s'il se répète chez plusieurs vaches, il traduit sûrement un problème sanitaire ou des pratiques à corriger.»

Se fixer comme objectif de noter la première chaleur aide à repérer les femelles dont l'ovulation ne repart pas dans des délais normaux, sachant qu'une période d'anoestrus jusqu'à 90, voire 100 jours n'est pas rare, surtout si la vache n'a pas repris d'état. Enfin, enregistrer les chaleurs suivantes indique si la cyclicité est normale. La pratique se heurte toutefois à un double problème: le manque de temps, mais aussi une durée des chaleurs plus courte, une expression de plus en plus discrète, voire aucune expression.

Consacrer du temps

Une surveillance quotidienne s'impose: vingt minutes d'observation trois fois par jour. L'acceptation de chevauchement est le seul signe spécifique, mais d'autres agissements peuvent alerter: chevauchement par l'arrière ou l'avant, agitation, recherche de contacts, glaires abondantes... La présence de congénères en chaleur contribue à une expression plus forte. Au pâturage, le chevauchement est facilité. En revanche, des sols glissants, des logettes, un bâtiment sombre ou un manque de place sont autant d'éléments défavorables. Les troupeaux de grande taille compliquent aussi la surveillance. Des outils d'aide à la détection peu coûteux existent, comme les patchs de peinture ou les réservoirs d'encre. D'autres dispositifs sont également efficaces, mais plus chers: détecteur électronique, podomètre, caméra de surveillance.

«Si une vache n'est pas vue en chaleur, l'éleveur doit s'interroger, souligne Alain Chevalier, de Génoé. La surveillance est-elle correcte? La vache a-t-elle trop maigri? Si elle est en état, sans problèmes sanitaires mais n'est pas vue en chaleur plus de 60 jours après vêlage, un traitement hormonal peut-il s'envisager?» Une fois les chaleurs repérées, faut-il pour autant inséminer? L'Inra recommande de ne pas procéder à l'IA dès la première chaleur, mais d'attendre au moins 50 jours après le vêlage. La décision dépendra aussi de l'état de la vache.

Par ailleurs, «la contention lors de l'IA joue un rôle crucial, rappelle Claire Ponsart. La non-fécondation ou la mortalité embryonnaire précoce augmentent en box avec couloir, en logette avec vache non attachée et en salle de traite. Elles diminuent lorsque l'IA a lieu dans un box avec cornadis, un couloir avec antirecul, une étable entravée, une logette avec la vache tenue par l'éleveur ou attachée avec un licol.» Les transitions alimentaires ou un stress thermique sont d'autres facteurs d'échec. Si à la troisième IA, la vache n'est pas pleine, «l'éleveur doit la faire examiner, souligne Alain Chevalier. Le taureau de rattrapage ne compense que le défaut de surveillance de l'éleveur. Quant aux croisements raciaux, ils augmentent de 8 à 10% les chances de fécondation.»

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(1) Réalisée par l'UNCEIA, Eliacoop, l'Ecole vétérinaire de Lyon, les groupements de défense sanitaire et les contrôles laitiers, avec un financement du PEP Rhône-Alpes.

 

 

Sélection génétique: les mesures correctives portent leurs fruits

La sélection génétique serait responsable de 30 à 50% du recul de la fertilité des vaches. Entre 1994 et 2004, la dégradation dépassait 1% par an en prim'holsteins. Néanmoins, la fertilité semble se stabiliser depuis deux ans. Les mesures correctives portent leurs fruits. L'index de fertilité femelle des taureaux est intégré dans le calcul de l'Isu depuis 2001. «Les femelles issues de ces accouplements sont arrivées dans les troupeaux en 2004, explique Anne Barbat, de l'Inra de Jouy-en-Josas. La pause dans l'aggravation de performances de reproduction coïncide avec cette date.»

Depuis 2007, l'indexation en prim'holstein prend en compte la production laitière et des caractères fonctionnels comme la longévité, l'inclinaison du bassin, l'aspect et la profondeur du corps. «La prochaine étape sera le calcul d'un index sur le caractère "intervalle mise bas-IAP", complète Anne Barbat. Il est également possible de revoir à la hausse le poids de la fertilité dans l'Isu. L'objectif à terme étant de stopper toute dégradation. Cependant, l'héritabilité du caractère taux de réussite à l'IA est très faible, de l'ordre de 1 ou 2%, ce qui le rend difficile à sélectionner.» La génomique et la sélection assistée par marqueurs devraient néanmoins accélérer les progrès.

 

 

 

 

 

 

Témoignage: JEAN-PIERRE GUENOT, responsable du troupeau du lycée agricole de Cibeins, dans l'Ain

 

«Nous marquons tout, tous les jours»

«Nos 60 prim'holsteins sont des fortes productrices. La moyenne du troupeau est à 11;00 kg. Mais cette performance se paie par une reproduction difficile. En 2005, le taux de réussite en première IA est inférieur à 35%.» Eliacoop propose alors à Jean-Pierre de tester un outil d'aide à la décision, dans le cadre du programme Nec + Repro. «Cet outil est une simple fiche (voir l'illustration ci-dessus), explique Jacky Martin, responsable technique d'Eliacoop. Elle oblige l'éleveur à revenir au milieu de ses vaches, à les suivre individuellement et à noter tous les événements entre le vêlage et le constat de gestation.» L'objectif est d'adapter la mise à la reproduction à chaque vache. Jean-Pierre se focalise sur la surveillance et le moment de la mise à la reproduction. «J'ai peu modifié le système, la ration n'a pas évolué. Mais je suis mieux les laitières. Je marque tout, tous les jours.» Il est plus attentif à certains critères, comme le TP, l'état d'engraissement, la régularité des cycles, l'intervalle entre deux chaleurs... «Je vois mieux le moment où les vaches reprennent de l'état. J'ai aussi réalisé que j'inséminais trop tôt après le vêlage et trop tôt après la détection des chaleurs. Aujourd'hui, j'insémine au plus tôt 60 jours après le vêlage, uniquement les moins bonnes laitières. Les vaches à haut potentiel et les femelles fragiles attendent. Il vaut mieux reporter de trois semaines que gâcher une paillette. Les résultats sont là: en 2007, le taux de réussite à l'IA est remonté à 57%! Sur des fortes productrices, un veau tous les quatorze mois suffit. De plus, en améliorant la reproduction, j'ai aussi amélioré la production par vache. Comme les vaches remplissent mieux, je les garde plus longtemps. Or les meilleures lactations sont la quatrième et la cinquième.»

 

 

 

Sanitaire: surveiller les pathologies péri-partum

- Vêlage. Les risques de métrite augmentent en cas de vêlage difficile. Une extraction forcée du veau pouvant aboutir à des lésions de l'appareil génital de la vache, il est déconseillé d'intervenir si ce n'est pas nécessaire. Une non-délivrance accroît aussi les risques d'infertilité. Des écoulements suspects ou de la fièvre sont des signes d'infection.

- Hygiène. Se laver les mains et les bras et nettoyer la vulve de la vache avant toute intervention.

- Boiteries. Une vache qui boîte se fatigue, maigrit et ne chevauche pas. Les chaleurs sont moins visibles.

- Maladies infectieuses. Si des retours en chaleur dans des délais anormaux sont nombreux dans le troupeau, il peut s'agir de mortalité embryonnaire précoce. Cela laisse suspecter une maladie infectieuse (BVD, néosporose, fièvre Q, chlamydiose, fièvre catarrhale). De même en cas d'avortements. C'est au vétérinaire de prendre le relais.