Minisommaire

- «Je suis paysan!»

- Aller au bout de ses projets

- Vivre et faire vivre Oléron

- Une pause «enfants»

- Et toujours le statut

- Un nouveau chantier: l'accueil des stagiaires

 

 

«Je suis paysan!»

Après un détour par le salariat, Sophie Lehé a pris place au sein du Gaec familial. Elle s'est engagée dans la défense de l'agriculture de son territoire.

«Lorsque mon père et mon frère m'ont demandé de revenir sur l'exploitation, l'idée de ne pas être moi aussi chef d'exploitation ne m'a même pas effleurée. » Aujourd'hui membre à part entière du Gaec familial, Sophie Lehé détient 40% des parts sociales. Mais elle a pris des chemins de traverse avant de rejoindre l'exploitation familiale à Domèvre-sur-Vezouze près de Lunéville (Meurthe-et-Moselle).

«Depuis toujours il était prévu que mon frère reprenne. Moi je donnais des coups de main mais plutôt contrainte et forcée. Je ne trouvais pas valorisant le métier de ma mère, l'état de ses mains. Aujourd'hui, j'ai les mêmes mains que ma mère et je fais tout pour que ma fille soit fière de mon métier. » Entre temps, elle a obtenu son BTS d'économie sociale et familiale, enseigné dans un lycée professionnelle, travaillé dans un hôtel restaurant. «En 1993, j'ai décidé de reprendre une formation de niveau BTA pour travailler dans les chevaux.»

Un problème de main-d'oeuvre sur l'exploitation familiale pousse alors son père à lui demander de revenir. Après réflexion, le temps de réaliser ses cinquante heures et d'obtenir un complément de quotas laitiers de 30.000 litres sur l'exploitation qui en compte désormais 420 000 litres, elle devient associée du Gaec. A 34 ans, elle fait donc partie des quelques 1.800 jeunes femmes qui s'installent chaque année : plus de 20% des installations aidées sont des installations de femmes depuis 1990 contre 6% dans les années quatre-vingts. L'exploitation compte 200 hectares et 65 vaches : « Je m'occupe de la traite matin et soir et des veaux jusqu'à ce qu'ils atteignent un an.» Dès son arrivée elle demande que soient précisés les horaires de travail. Elle attaque la traite à 7h30 quand sa fille s'apprête à partir à l'école. A 10h30 ses tâches sur l'exploitation sont terminées. Commencent alors le travail d'information, de comptabilité, les réunions diverses. Le soir elle reprend la traite et l'alimentation des veaux entre 16h30 et 19h00. «Je veux être chez moi le soir pour ma fille. En nous spécialisant chacun dans un domaine particulier nous avons gagné sur la qualité du lait, sur celle des céréales. Tous ces gains ajoutés au supplément de quota couvrent ma rémunération.» Seuls regrets : ne pas avoir pris le temps d'élaborer des règles écrites sur la conduite des tracteurs auxquels elle ne touche pas ou encore sur la durée des vacances dès son arrivée: «J'ai parfois mauvaise conscience quand je suis la seule à partir en vacances. Mais je pars chaque année une dizaine de jours.»

Présidente du CCJA depuis 1998, elle apprécie de participer au travail constructif de la commission agricole de la communauté de communes «qui entend maintenir sur notre territoire les personnes qui ont des projets de qualité». Cette responsabilité cantonale complète bien une nouvelle fonction d'administratrice à la coopérative laitière Val de Weiss: «Je ne veux pas être le pot de fleur de service mais donner un avis sur les choix d'investissement, sur les nouveaux produits.» La coopérative collecte 39 millions de litres de lait dont les deux tiers sont transformés en munster sous AOC. «Nous devons défendre cette valeur ajoutée pour qu'elle reste sur notre territoire. Cela représente un bonus de 10 centimes par litre de lait sur notre exploitation.»

Autre initiative des agriculteurs: l'organisation d'une route du lait avec visite de la fromagerie, repas en ferme auberge... D'ailleurs, elle ne désespère pas d'ouvrir un jour une ferme auberge comme elle le projetait lors de son installation. «Je ne suis pas exploitante car je n'exploite ni mes terres ni mes animaux menés en système semi-extensif. Je ne suis pas agricultrice parce que cela ne veut pas dire grand chose. Je suis paysan: je défends notre territoire. Que je sois homme ou femme n'a rien à voir là-dedans. Si demain nous ne sommes plus maîtres de notre avenir, j'arrêterai.»

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Aller au bout de ses projets

Chantal Lardière, agricultrice en Vendée, encourage les femmes à rejoindre les groupes féminins pour «dire leur projet».

Fille d'agriculteur, munie d'un CAP habillement, Chantal Lardière a commencé à travailler dans une usine de confection mais «je manquais d'air», dit-elle. A la naissance de ses enfants elle a préféré épouser le métier de son mari. «Je suis devenue conjointe d'exploitant. Et quand la MSA a proposé le partage des points entre mari et femme, j'ai choisi le statut de coexploitante. » Avec son mari elle a bâti l'exploitation actuelle: «Nous avions un petit quota de 90.000 litres. Nous avons démarré l'élevage de cailleteaux de un jour jusqu'à quarante-deux jours. Il y a deux ans, comme les enfants grandissaient et nos besoins financiers aussi, nous avons réinvesti dans un parquet de ponte de faisans et de perdrix. Nous aimons l'activité caille et gibier parce que nous l'avons créée de toutes pièces.» Depuis 1979, Chantal Lardière s'est engagée dans les groupes féminins «pour sortir de chez moi au départ, puis par passion pour mon métier: les responsabilités m'ont happée toute entière». Aujourd'hui elle est vice-présidente de la FDGéda de Vendée: «C'est l'exploitation qui adhère et non moi en tant que femme.»

Chantal Lardière a suivi et encouragé dans son département les formations «Dire son projet» depuis quatre ans. Les femmes ont besoin de ce lieu pour recoller à la source, pour dire «Je», retrouver un lieu pour exprimer leurs désirs, leurs projets parfois les plus inattendus. Nous participons à la bonne marche de l'entreprise, pas seulement à un atelier isolé. Cette formation m'a aidée à me déculpabiliser lorsque je m'absente à cause de mes responsabilités, à mieux écouter mon mari et à l'aider à réaliser un de ses rêves : des journées attelage avec les poneys pour les enfants handicapés.»

Cette formation mise au point par Trame est avant tout un lieu d'écoute et de paroles. Les exploitantes réalisent le bilan des acquis qu'elles ont développés dans la vie personnelle et professionnelle, définissent un projet de vie et donnent un sens à leurs choix personnels et professionnels. Claire Gauthier, agricultrice qui a suivi le stage, a apprécié: «Nous devons dire notre projet devant les autres. Si nous n'agissons pas ensuite, les autres nous interpellent amicalement. Pour moi qui suis en Gaec avec mon frère, il s'agissait de travailler moins, de nous organiser autrement. Aucune femme n'a remis en cause sa présence au stage.»

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Vivre et faire vivre Oléron

Christine Nadreau et les agricultrices d'Oléron font découvrir les terres de leur île à mille cyclistes.

Christine Nadreau résume à elle seule tout ce qui fait le territoire de l'île d'Oléron: en Gaec avec sa mère, aidée par son père désormais à la retraite, elle cultive 7 hectares de légumes et de fraises à Saint-Georges-d'Oléron. Elle vend de juin à septembre en direct des produits cueillis du jour dans le magasin de l'exploitation mais aussi sur le marché. Bientôt rejointe par sa soeur, qui a toujours voulu être agricultrice, elle devrait se consacrer davantage aux 20 ha de vignes de l'exploitation pour développer le pineau et le vin du pays d'Oléron car la crise du Cognac fait rage. En 1996, elle a d'ailleurs été élue, lors d'un bouleversement, au conseil d'administration de la coopérative: «C'est la première fois d'ailleurs que j'entendais "que je n'étais qu'une fille". Jamais mes parents qui ont toujours aimé leur métier, ne nous avaient parlé ainsi. » Aujourd'hui le conseil d'administration et le nouveau directeur de la coopérative veulent dynamiser ce secteur en déroute. Enfin le compagnon de Christine est lui ostréiculteur. Cette imprégnation de l'île marque aussi fortement l'initiative du groupe d'agricultrices de l'île d'Oléron qui a lancé l'opération «deux roues pour une île ». Elles avaient suivi des formations avant même que ne se mette en place le stage « Dire son projet». Christine, qui préside le Gédar (Groupe d'études et de développement agricole et rural) de Charente-Maritime, compte bien fêter le dixième anniversaire de cette opération: «Nous ferons une porte ouverte le 1er mai. Au départ nous voulions faire connaître notre métier et nos produits ; montrer que derrière la plage il y a «les gens du pays». Mais très vite nous avons expliqué qui on était, comment on travaillait. » Pour enrichir les circuits, les agricultrices s'ouvrent vite à l'autre profession phare de l'île: l'ostréiculture. «En 1998 nous avons intégré de nouveaux points d'accueil : un menuisier, un golf, un centre aquacole, une station d'épuration pour nous ouvrir encore plus à l'île.» La marque est déposée pour que n'importe quel loueur de vélo ne s'approprie pas la démarche. Deux salariés à mi-temps du 15 juin au 15 septembre accompagnent les groupes (pas plus de 25 et même 20 lorsqu'un gôuter est prévu) qui sont pris en charge à chaque étape par le professionnel: «Cela nous a appris à nous écouter, à parler aux autres sans jargon trop technique. Nous nous sommes formés pour recevoir les gens, pour proposer des circuits agréables, variés.» En 1998, l'association n'a pas tout à fait équilibré ses comptes: «Nous avons proposé sept circuits au lieu de quatre, expédié un nouveau mailing. Nous avons obtenu mille clients au lieu de sept cents mais il en faudrait mille deux cents. Cette année nous allons économiser sur les dépliants, travailler davantage avec les offices de tourisme, peut-être demander une subvention de fonctionnement aux communes. » Encouragées par le deuxième prix de la fondation Pierre-Sarrazin, elles préparent déjà la saison de 1999.

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Une pause «enfants»

Chef d'exploitation, Marie-Thérèse Gaborieau est redevenue conjointe le temps d'élever ses enfants. Elle se lance dans l'accueil de groupes.

Juste à côté du château datant des XIVe et XVIe siècles, Marie-Thérèse Gaborieau ouvre volontiers la porte de ce qui fut la métairie. Ici, à Derval (Loire-Atlantique) tout respire la présence de ses quatre enfants. «L'agriculture, c'était mon goût. Je suis née dans une ferme et j'ai toujours suivi volontairement une filière agricole.»

Munie d'un BTA, après deux ans de salariat, elle s'installe en 1982: «Je suis devenue chef d'exploitation car mon mari avait déjà réalisé une première installation.» Ils remboursent la DJA de Bernard qui devient «conjoint ayant droit». «J'ai joué mon rôle dans toute sa dimension pendant les dix ans d'engagement. Au bout de trois ans nous avions deux enfants. Et la poussette a souvent fait le chemin entre la maison et la salle de traite, heureusement à proximité.» La naissance de son troisième enfant correspond à l'arrivée d'un salarié à mi-temps pour cause d'engagements professionnels de son mari. «Quand notre quatrième enfant s'est annoncé, j'avais changé de statut. Je suis devenue ayant droit de mon mari. J'ai alors pris un congé parental, de trois ans au départ. En fait, aujourd'hui, cela fait cinq ans que je ne trais plus, sauf accidentellement. Nous avions démarré en achetant tout sur cette ferme, en louant des bâtiments en très mauvais état, en travaillant beaucoup. Je ne le regrette pas un instant mais je voulais m'engager dans la vie associative, accompagner mes enfants.»

Aujourd'hui ses enfants ont grandi et Marie-Thérèse part sur un nouveau projet: l'accueil à la ferme de groupes, avec petit-déjeuner. «Nous avons racheté les bâtiments de pierre de l'exploitation en 1997. J'ai suivi depuis une formation “innovation” en partenariat avec la chambre d'agriculture et le Cofrat (Centre de formation des ruraux aux activités du tourisme).» Elle a également rejoint un groupe de six agricultrices réunies dans l'association Accueil à la ferme en réseau. «Ce réseau nous permettra de négocier lors de la rénovation de nos bâtiments, de contacter les offices de tourisme. Aux banquiers frileux nous précisons que nous sommes sept avec sept projets.» Marie-Thérèse devrait investir 1 million de francs, dont 400.000 francs de subvention, dans un gîte de groupe.

 

TÉMOIGNAGES

La garde d'enfants pourrait créer des emplois en milieu rural

«Je couchais ma fille à 16h30, au moment de la traite, pour ne pas avoir à demander de l'aide. Lorsque l'on trayait, il fallait faire vite. Les enfants étaient à la maison.» Pour éviter cette angoisse, Mette Barrault, agricultrice avec son mari en Loire-Atlantique, fait garder ses trois enfants âgés de 6 ans, 3 ans et 6 mois par une nourrice agréée de son village «qui accepte la contrainte majeure de notre profession: nos horaires irréguliers». La MSA verse une allocation Afeama (Aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée). «Pour l'instant, l'aide couvre la totalité de notre dépense que nous aurions engagée de toute façon.»

Dans le Finistère, pendant un an les femmes du GVAF de Carhaix ont répertorié les besoins de garde d'enfants et de ménage des agricultrices du canton qui désiraient dégager plus de temps pour leur exploitation ou ne plus s'angoisser lorsque les enfants restaient à la maison. Selon Christine Corvest, agricultrice, «nous pourrions créer treize emplois surtout pour les agricultrices qui n'ont pas leurs parents à proximité. Reste à trouver le cadre juridique. Un groupement d'employeurs pose problème, car il faut s'engager. Or, les besoins évoluent suivant l'âge des enfants... La crise porcine a interrompu notre réflexion. Mais nous espérons participer activement à la création d'emploi en milieu rural.»

 

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Et toujours le statut

Après le départ de son mari en préretraite, Françoise Tessier est redevenue salariée de Gaec.

«Je ne pensais pas que la question du statut restait aussi centrale pour les femmes», s'étonne encore Françoise Tessier, l'une des instigatrices de la journée Femmes en agriculture qui a réuni plus de 250 femmes en Loire-Atlantique cet automne. Et pourtant, la conclusion d'un sondage réalisé auprès des participantes est sans appel : le thème à approfondir dans les groupes, c'est d'abord et avant tout le statut. Christine Corvest, agricultrice du Finistère, en arrive aux mêmes conclusions: «Les filles qui s'installent directement savent ce qu'elles veulent. Mais les jeunes femmes qui viennent de l'extérieur ont eu un autre travail. Elles commencent à se poser la question de leur statut quand elles décident d'abandonner leur activité extérieure, souvent après la naissance de leurs enfants.»

Le parcours de Françoise Tessier, qui a aujourd'hui 53 ans, ressemble finalement beaucoup à celui de ces jeunes femmes. Elle était secrétaire lorsqu'elle épousa son mari, agriculteur. Elle continuera à travailler jusqu'à la naissance de son deuxième enfant.

«En 1972, nous avons créé un Gaec avec mes beaux-parents et un autre couple, dont le siège de l'exploitation était distant de 5 kilomètres.» Les femmes travaillent à mi-temps sur l'exploitation. «Nous étions conjointes d'exploitation. Notre statut nous préoccupait moins que l'apprentissage du métier et l'équilibre des comptes. Mais, en 1987, après un arrêt maladie prolongé de notre associé, nous avons mesuré le danger de notre situation. Lui avait accès à des indemnités journalières pendant sa maladie. Mais nous, les exploitantes, nous n'aurions eu aucune indemnité en cas de maladie.» Les deux épouses reprennent une part du capital et deviennent associées. «Rien n'avait changé, et pourtant, tout était différent. Je me sentais un peu plus responsable.»

Son statut va changer à nouveau en 1998. «Mon fils s'est installé en 1998. Celui de nos associés était déjà là depuis le départ de son père en 1993.» Le mari de Françoise prend sa préretraite. Pour être en règle, Françoise doit dans le même temps renoncer à son statut d'associée. «Notre priorité absolue c'était la transmission de l'exploitation. Je suis devenu salariée, c'est-à-dire subordonnée. Les jeunes prennent seuls les décisions, même si parfois je donne mon avis.» Elle a dû renoncer également à ses responsabilités au service formation à la chambre d'agriculture, tout en continuant à s'occuper des groupes féminins. «Quand je vois le statut de conjoint collaborateur proposé par la loi d'orientation, je me dis que l'on est encore très loin du compte! Enfin, trop souvent, les optimisations sociales et fiscales menées tambour battant dans les exploitations oublient les femmes et leurs droits sociaux.»

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Un nouveau chantier: l'accueil des stagiaires

Depuis 1986, Sylvie Jannault, ancienne salariée d'une librairie, a repris avec son mari l'exploitation de ses beaux-parents à Erbray, près de Châteaubriant. «Je voulais concilier vie de famille et travail.» Aujourd'hui co-exploitante, elle réfléchit avec le groupe des femmes de la région de Châteaubriant sur l'accueil des stagiaires. «Avoir un stagiaire chez soi en permanence, c'est dur pour la vie de famille. Les enfants, en grandissant, ne veulent pas toujours céder leur chambre. Nous travaillons avec les artisans et les commerçants qui reçoivent aussi des jeunes pour trouver des logements de proximité.» Ces débats se multiplient.

En Vendée, les femmes de la FDGEDA ont commencé à rédiger une fiche d'accueil: les stagiaires de plus de dix-huit ans ou en stage de six mois pourraient être logés à l'extérieur. La fiche à l'état d'ébauche, suggère que les règles du stage soient clairement définies : horaires, attente des deux parties, règles de vie, absences des uns et des autres... Enfin, la commune de La Planche en Loire-Atlantique a pris les devants: elle propose des chambres aux stagiaires d'artisans ou d'agriculteurs.

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