Minisommaire

1. «Ici, j'étais attendue»

La part des femmes dans l'agriculture diminue

2. «Je voyais mes projets refusés»

Moins du quart des installations aidées

3. «A chacun son Gaec»

4. «Remplacer avant de m'installer»

5. «Je laboure aussidroit que d'autres»

 

 

1. «Ici, j'étais attendue»

«Travail, famille, tout est positif», estime Nadège Couët, qui a intégré le Gaec familial de son mari.

«Depuis mes quinze ans, je savais que je rejoindrais mon mari sur l'exploitation de ses parents, à Argent-sur-Sauldre, dans le Cher.» Nadège Couët explique volontiers son parcours tout en continuant à souder les couvercles des pots de yaourt qu'elle vendra cette semaine sur les marchés. «Mes parents, qui ne travaillent pas dans le milieu agricole, n'ont pas tenté de me décourager. Ils m'ont demandé de poursuivre jusqu'au bac avant d'opter pour la filière agricole.»

Bac S en poche, elle se lance dans un BTS par alternance: «J'ai effectué tous mes stages ici.» Installée en 2002 et mariée depuis 2003, elle connaît déjà le rythme de travail soutenu de son mari et de ses beaux-parents. «Mon père, qui était fonctionnaire, travaillait lui aussi beaucoup. J'ai l'habitude.»

Tout en famille

Elle travaille surtout à la fromagerie, avec son mari titulaire d'un BTS en industrie laitière: fromages de chèvres dont le célèbre crottin de Chavignol, mais aussi de vache, yaourts aux fruits, quiches… «J'arrête les nouvelles recettes. Notre étalage est complet.» Toutes les semaines, la famille Couët propose sa production sur six marchés du Cher. Le Gaec de 123 hectares élève 40 vaches et 350 chèvres. Deux salariés assurent leur part de travail. «Je suis arrivée ici très jeune. Je suis une autre fille de la maison. Pour que je puisse m'installer, mon mari a repris un autre marché et nous avons étendu la gamme. Je travaille à plein temps. Je me lève à 6 heures et je suis au travail un quart d'heure après. Entretemps, j'emmène les enfants à la crèche et à la maternelle. A midi, je les récupère et je reprends mon activité pendant leur sieste. Nous ne sommes jamais loin. Mes beaux-parents acceptent ce rythme, trop contents de vivre auprès de leurs petits-enfants. Ils ont construit leur maison à proximité. Le soir, s'il le faut, nous terminons nos préparations. J'aime cette vie. C'est différent lorsqu'on s'installe sans parent ni projet. Ici, j'étais attendue.»

Dernière nouveauté qu'elle montre avec fierté: un camion vitrine flambant neuf et un DVD sur la vie de l'exploitation. «Au printemps, j'ai planté deux mille fleurs. Nous avons eu le premier prix départemetal de la ferme fleurie. L'image que nous donnons reflète notre travail.»

 

La part des femmes dans l'agriculture diminue

Deux départements ont organisé une réflexion sur la place des femmes en agriculture en décembre 2007: le Cher et le Morbihan.

Dans le Morbihan, c'est une tradition: tous les dix ans, les groupes de développement font le point. Toujours d'actualité : la baisse de la part des femmes dans l'agriculture (entre 1998 et 2005, elle est passée de 40 à 35%). Certes, elles ont davantage de responsabilités puisque le nombre de femmes chefs d'exploitation est passé de 20% à 27%. Mais ce sont surtout les jeunes qui manquent à l'appel. Pourtant, celles qui s'installent aiment leur métier. Sur 116 jeunes interrogées, 49% se sont installées pour la qualité de vie et 24% par goût du métier. Les trois quarts étaient salariées auparavant. Les deux tiers n'avaient aucune formation agricole. Pour satisfaire cette lacune, elles disent manquer de temps. Le département a mis au point, il y a dix ans, un brevet professionnel à temps partagé. Il expérimente une formation continue à distance. Enfin, les hommes perçoivent les agricultrices comme associées à part entière mais estiment leur temps de travail entre 6 et 8 heures, contre 10 heures pour eux-mêmes.

Dans le Cher, l'enquête de la chambre d'agriculture est une première. Les femmes interrogées parlent plus de l'agriculture comme une solution de repli parce qu'elles n'ont pas trouvé d'autre métier ou qu'elles voulaient aider leur mari. Elles souhaitent pouvoir se former davantage, soulignent le manque de temps et aspirent à trouver leur place sur l'exploitation.

 

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2. «Je voyais mes projets refusés»

Selon Carole Joliff, «s'installer en Bretagne en tant que femme, ce n'est rien, s'installer en tant que producteur de porc, c'est plus difficile.»

Carole Joliff est à la tête d'un atelier naisseur-engraisseur de 140 truies label rouge et de 70 hectares de SAU à Plougonver, dans les Côtes-d'Armor. Pourtant, rien ne la destinait à l'agriculture. «J'étais passionnée par les animaux, j'ai fait des pieds et des mains pour intégrer un Bepa.» Originaire de l'Oise, elle a ensuite passé un bac pro puis un BTS en productions animales dans un lycée agricole en Bretagne et découvert la production porcine. «En cherchant du travail, je me suis rendu compte qu'il n'était pas si facile pour une femme de trouver un emploi de technicienne.»

Manifestations

Avec son mari, rencontré entre-temps, ils décident qu'elle s'installera en porc, lui intégrant la SCEA en tant qu'associé non exploitant. Ils jettent leur dévolu sur une exploitation bovine de Plougonver. «La surface nous intéressait. Tout était à construire, avec l'intérêt de pouvoir monter un bâtiment fonctionnel pour une femme.» Mais les ennuis commencent. Un collectif anticochon se constitue sur la commune, soutenu rapidement par Eaux et rivières de Bretagne. «Premier projet refusé! Deuxième projet refusé!» Après menaces, manifestations, etc. un accord est trouvé avec les écologistes sur un nouveau projet de porcherie sur paille. C'était sans compter le collectif, qui obtient l'annulation de l'autorisation d'exploiter devant le tribunal pour vice de forme un an plus tard «alors que l'élevage est en pleine activité». Il retrouve son autorisation en 2006.

«J'ai découvert le syndicalisme avec les Jeunes Agriculteurs des Côtes-d'Armor qui m'ont soutenue dans cette affaire.» Depuis, elle en est devenue vice-présidente. A force de persuasion, elle a accepté d'intégrer le conseil d'administration à Paris. «Un engagement passionnant», mais pas toujours facile à assumer pour cette jeune maman.

 

Moins du quart des installations aidées

Si la place des jeunes femmes dans l'agriculture française se mesure au nombre d'installations aidées, la part qui leur est réservée progresse peu depuis 1990: elle est passée de 3% en 1979 à 13% en 1988, puis à 20% en 1990. Elle a ensuite stagné jusqu'en 2005 pour monter en 2006 à 23%. En nombre d'installées cependant, il n'y a pas d'embellie: elles étaient 1.900 agricultrices sur 9.500 dossiers en 1997. Elles sont 1.380 sur 6.000 dossiers en 2006. Dans une étude diffusée le 13 décembre, la MSA a comptabilisé toutes les installations (aidées et non aidées): sur 10.000 installations de jeunes de moins de 40 ans, 2.800 étaient des femmes. Près de 60% d'entre elles s'installent en société et l'EARL a leur préférence.

Selon les statistiques d'Agreste (sur des chiffres de 2003), le plein temps concerne 67% des exploitantes de moins de 40 ans. Les jeunes agricultrices sont plus diplômées que leurs aînées mais, contrairement aux hommes, elles ont opté davantage pour des études générales. Ce qui les pénalise lorsqu'elles veulent s'installer. Les deux tiers des jeunes installées ont exercé un travail hors exploitation, contre un tiers des hommes. Une femme installée sur trois est célibataire, contre un homme sur deux. Enfin, peu de femmes occupent des postes dans les organisations professionnelles. Ainsi, Carole Joliff (lire ci-dessus) est la seule femme sur les 42 membres du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs: «Faute de temps», expliquent en coeur hommes et femmes.

 

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3. «A chacun son Gaec»

Roselyne Surmont s'est installée dans un Gaec entre tiers, à 50 kilomètres du Gaec familial de son mari.

«Mon père est agriculteur, mon mari est en Gaec avec ses parents et moi dans un autre Gaec laitier, à Saint-Saturnin, dans la Sarthe, à 55 kilomètres», explique Roselyne Surmont. Après son bac pro, elle obtient un poste d'inséminatrice de volailles. «Au bout d'un an et demi, j'ai décidé de m'installer. Seule, pour être libre de mes mouvements. Mon mari a choisi son installation, moi la mienne», explique-t-elle.

C'est mieux entre tiers

Très vite, elle se rend compte que s'installer seule se révèle impossible financièrement. «J'apprends que le Gaec des Roches cherche quelqu'un. Pour moi, les Gaec entre tiers sont moins durs que les Gaec familiaux: la vie de l'exploitation se répercute moins sur la vie de famille.» Le Gaec produit du lait, des veaux gras, du cidre, des poulets de Loué et adhère à un magasin de vente directe. «Nous étions deux jeunes à nous présenter. Bien sûr, nous avons discuté de mon choix de ne pas rejoindre le Gaec de mon mari, de tout ce qui aurait pu me faire changer d'avis. Finalement, ils ont retenu les deux candidats. Dans un an, un associé s'en va, puis un autre dans cinq ans. Nous avons signé un contrat de préinstallation de six mois.»

Roselyne travaille six mois avant de s'arrêter huit mois en congé de maternité: «Lorsque j'ai repris, c'était comme si je recommençais mon installation. J'étais constamment préoccupée par mon enfant. Nous avons fini par en discuter franchement avec mes associés. Je me suis organisée différemment: je travaille à trois quarts temps. J'habite à 20 kilomètres du Gaec. Je pars travailler à 6 heures 30. Mon mari dépose notre fils chez la nourrice. Je le récupère à midi trente. Et le soir, quand je trais les vaches, il est à côté de moi dans un lit pliant. Je veux à la fois voir grandir mes enfants et travailler.» Ses beaux-parents ont fini par accepter la situation: «Mon mari constate que ce travail m'a épanouie. Et son frère l'a rejoint sur le Gaec», conclut Roselyne.

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4. «Remplacer avant de m'installer»

Angéique Vincent mûrit son projet en effectuant des remplacements d'agricultrices.

Sur l'exploitation de ses parents, Angélique Vincent appréciait déjà le contact avec les animaux, la vie au grand air. C'est pourquoi elle a suivi un bac STAE, puis un BTS ACSE. En juillet, elle a accepté un poste au service de remplacement féminin de Saône-et-Loire. Il a assuré l'équivalent de huit cents journées de travail en 2007, avec six employées. «Il a pour particularité d'être uniquement féminin», explique sa présidente, Colette Perrot. Ce sont des agricultrices qui l'ont créé en 1983, parce qu'elles devaient suivre des formations et qu'elles ne trouvaient pas de remplaçants masculins.

«Car, chez nous, dans le Charolais, aussi bien la traite que la fabrication puis la vente du fromage sont des tâches assurées par les femmes. Elles s'occupent aussi de tout ce qui concerne le plumage et le vidage des volailles.» Il arrive occasionnellement à ces remplaçantes d'aider à la préparation des repas (par exemple lorsque les hommes se réunissent entre voisins pour l'ensilage), mais elles ne prennent jamais part à d'autres activités ménagères.

Sept à leur compte

Sur la trentaine d'employées qui s'y sont succédé, sept se sont installées par la suite à leur compte. Angélique est tentée par l'aventure: «A terme, je souhaite ouvrir ma propre fromagerie, avec des chèvres et quelques vaches. Pendant cette période de remplacement, je veux affiner mon projet, puisque je travaille surtout avec des agricultrices qui confectionnent du fromage. Toutes n'ont pas exactement le même savoir-faire: par exemple, certaines traient et louchent tout à la main, d'autres non. Elles n'ont pas non plus d'équipements identiques, ni les mêmes locaux, ni la même taille de cheptel… Du coup, je réfléchis à ce qui me conviendrait le mieux, en vérifiant sur le terrain que j'aime toutes les tâches de cette profession.»

Pas encore décidée

Elle réalise aussi qu'elle aura la chance d'être son propre patron, mais avec des journées bien chargées et peu de vacances! Elle s'aperçoit qu'il lui faut encore réfléchir à l'aspect financier, à la reprise de terrain, à la constitution de son cheptel… Des questions qu'elle devra approfondir, mais pas dans l'urgence, puisqu'elle espère se former encore quelque temps en remplacement, avant de construire son propre projet.

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5. «Je laboure aussi droit que d'autres»

«Mon installation n'a pas été du tout-cuit», s'exclame Angélique Roffet.

Lorsqu'Angélique annonce son installation à Pouligny-Saint-Pierre, dans l'Indre, les réflexions ne manquent pas dans le voisinage: «J'étais salariée dans une laiterie et mon mari menuisier. Mon père exploitait 110 hectares éclatés en 60 îlots. Il approchait de la retraite et nous étions trois filles.» De quoi faire naître des espoirs d'agrandissement aux alentours. «Mon père a été surpris par ma décision, mais heureux. Le décès de mon oncle et la perspective de voir son exploitation de 50 hectares sortir de la famille ont été un électrochoc et je ne voulais plus retourner à l'usine.»

Angélique s'organise pour la garde de ses deux enfants: «Je tiens à concilier travail et famille.» Déjà titulaire d'un BTS en productions animales, elle entame son stage préalable à l'installation. Elle fait avec son père le tour de ses vingt bailleurs qui acceptent la relève. «Mais l'Administration a été moins conciliante: l'étable de mon père n'était plus aux normes pour le lait.» Angélique envisage le rachat d'une parcelle pour construire en dehors du village. «On m'a vu venir. Les prix se sont envolés.» Elle se lance dans l'élevage de vaches limousines et crée une EARL avec sa mère sur 160 hectares (110 ha de cultures et 50 ha d'herbe) « Nous avons cédé notre quota laitier en deux fois et obtenu 66 primes vaches allaitantes.»

Mauvaises surprises

Les mauvaises surprises viendront de la banque et du fisc: sa mère ayant plus de 55 ans, la banque relève les taux de prêts de 2% à 3%. «Lors de la première cessation de quotas, j'ai eu la surprise d'être taxée sur les plus-values à 27%.» En 2006, son dossier de DPU est perdu par l'Administration. Sa banque la convoque sans ménagement pour prendre un court terme de quatre mois. «Lors de ces galères, j'ai découvert les syndicats qui m'ont aidée. Je ne me suis pas laissé marcher sur les pieds.»

La Cuma lui a proposé le poste de secrétaire de son père. «Lui a rajeuni de vingt ans. Et maintenant, tout le monde peut voir que je laboure droit. Enfin, aussi droit que d'autres agriculteurs», sourit- elle.

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