Au fil des ans et des partages, le domaine s'était réduit à quelques centaines d'hectares de terres groupés autour d'une maison de ferme, qui constituaient le lot de Fernand, lors du dernier héritage familial. Fernand avait épousé en secondes noces, Laurence, de vingt ans sa cadette. Sa première épouse était décédée.
Est-ce à cause d'elle? En tout cas, il fit construire une maison et Laurence s'y plaisait. Elle avait participé à son élaboration, mettant çà et là sa touche personnelle. De son premier mariage, Fernand avait eu deux enfants. Il avait prévu qu'à son décès, Laurence serait l'objet d'hostilités de la part de ses enfants du premier lit. Pour parer à ces déchirements pressentis, il avait pris des dispositions post mortem. La loi du 3 décembre 2001 sur les droits du conjoint survivant n'existait pas encore. Ses dispositions testamentaires s'étaient donc appuyées sur l'article 1094-1 du code civil: il léguait à Laurence la pleine propriété de la maison édifiée en son honneur, et l'usufruit sur tout le reste de la succession. Toujours gaillard et actif, il n'y pensait pas. Mais la mort l'interpella, à l'approche des 70 ans. La guerre entre Laurence et les enfants de Fernand était déclarée. De réunions chez le notaire en consultations d'avocats, les armes s'affûtaient. L'avenir des enfants paraissait sombre : Laurence occupait la maison, tandis que ses adversaires avaient nommé un administrateur pour s'occuper des terres. La rancoeur des enfants était d'autant plus grande que la belle-mère jouissait avec ostentation de la maison, allant jusqu'à y donner des réceptions. D'expertise en jugement, les difficultés s'étaient cristallisées. Tant que Laurence vivrait, les enfants n'auraient pas la jouissance des biens de leur père. La maison leur échappait définitivement, puisque sa valeur n'excédait pas le tiers de l'actif successoral.
Indivision et usufruit
A l'occasion de l'instance définitive destinée à procéder au partage, la question des comptes d'indivision depuis le décès de Fernand fut soulevée. En effet, tant que le partage ne serait pas définitif, Laurence et les enfants étaient en indivision sur l'ensemble de la succession. Or, la veuve survivante avait occupé et utilisé la maison à son seul profit, alors qu'elle était encore en état d'indivision. En conséquence, s'appuyant sur l'article 815-9 du code civil stipulant que «l'indivisaire qui jouit privativement de la chose indivise est redevable d'une indemnité», les enfants sollicitaient du tribunal la condamnation de Laurence à régler à l'indivision une somme correspondant à la jouissance privative de la maison. Leur position paraissait solide, mais la veuve s'y opposa fermement.
Indemnité d'occupation
La cour d'appel fit droit à la demande, au motif que Laurence pouvait prétendre à la jouissance du bien légué à compter du jour du décès, à condition qu'elle ait effectué sa déclaration d'option, dans les conditions de l'article 1005 du code civil. Autrement dit, elle aurait dû opter pour le quart en propriété et le reste en usufruit. A cela, la Cour de cassation a répondu pour censurer l'arrêt des juges d'appel que le conjoint survivant, investi de la saisine sur l'universalité de l'hérédité (article 724 du code civil), a, dès le jour du décès et quelle que soit l'étendue du legs consenti, la jouissance de tous les biens composant la succession. La jouissance est exclusive de toute indemnité d'occupation. La Cour de cassation a confirmé ce qu'elle avait déjà jugé, il y a quelques années: l'héritier saisi de l'universalité de la succession (et le conjoint l'est) peut prétendre à la jouissance d'un bien légué exclusive de toute indemnité. Or, en l'espèce, la veuve, de par sa possibilité de prétendre à l'usufruit général, était saisie de l'universalité de la succession, même si son legs délimité ne portait que sur la maison d'habitation.
Cette jurisprudence, déjà favorable au conjoint gratifié par dispositions testamentaires, ne peut que s'affirmer, avec le développement de ses droits d'héritage par la loi du 3 décembre 2001, et spécialement par le fait qu'il est investi d'un droit d'occupation sur la maison qu'ils avaient habitée tous les deux.
(1) Biens et droits inséparables qui composent la succession.