Pour évaluer la qualité de travail de leurs distributeurs d'engrais minéraux, les constructeurs ne pouvaient jusqu'ici avoir recours qu'à un seul outil: le passage au banc de contrôle dit transversal. Le principe de ce dernier est de recueillir le matériau épandu sur une zone transversale au déplacement de l'engin d'épandage, pour éditer la classique courbe caractéristique d'épandage. La limite principale de cette approche est que cette courbe est une représentation très simplifiée de l'épandage. Elle matérialise les quantités globales de fertilisants épandues transversalement à un point donné de la trajectoire de l'épandeur. Cela revient à additionner toutes les quantités de la nappe sur une colonne. La conséquence est qu'il est impossible de remonter aux caractéristiques propres de la distribution. C'est-à-dire la forme de la nappe distribuée au sol, les densités locales, les distances et les angles moyens de projection. Il est donc difficile d'appréhender l'effet de différents types d'engrais. Car sachez-le, selon leur forme, leur densité, leur friabilité, les caractéristiques d'accélération de ces engrais sur un disque rotatif muni d'une pale sont différentes, comme leurs angles de sortie. Résultat: des portées de projection variables. Ainsi, à réglages identiques, un ammonitrate très sphérique ne sera pas distribué au même endroit qu'un KCL.
Une image spatiale de la nappe en 1'30
Tout cela rend difficile et fastidieuse pour les constructeurs l'élaboration des tableaux de réglage précis de tous leurs matériels en couvrant les gammes d'engrais proposées.
La seconde limite de la courbe transversale est d'obliger, pour tester les distributeurs de grande largeur, à disposer de halls de tests aux dimensions impressionnantes et donc coûteux. Ainsi, avec certains appareils dont la distance entre les passages atteint à l'heure actuelle 44 à 48 m (ce qui implique une projection sur près de 90 à 100 m), il faut un bâtiment de 100 m de large sur 60 à 80 m de long sans poutres porteuses à l'intérieur et avec des conditions d'ambiance maîtrisées: absence de vent, hygrométrie et températures stables, etc. Il existe un seul bâtiment de ce type en Europe. Il se trouve au Danemark.
Forte de ces limites, une équipe du Cemagref a imaginé un nouveau dispositif de mesure des performances des épandeurs. Baptisé Cemib (Cemagref Mineral Bench), ce banc d'essai unique en Europe et breveté devrait être bientôt opérationnel sur le site de Montoldre (Allier). «Nous sommes partis du constat suivant: même sur un épandeur de grande largeur, jamais l'engrais n'est éjecté à une distance supérieure à 40 m du disque d'épandage, explique Emmanuel Piron, son concepteur. D'où l'idée de dessiner la nappe d'épandage totale en faisant tourner l'épandeur sur lui-même autour de l'axe du disque. On peut ainsi éditer la nappe distribuée secteur angulaire par secteur angulaire en utilisant une pesée instantanée synchronisée de tous les bacs collecteurs constituant le banc, ces derniers étant positionnés à poste fixe sur 40 m de long.» De cette façon, le futur banc d'essai du Cemagref sera à même, en 1 minute à 1 minute 30, d'établir une image spatiale de la nappe d'épandage. Et ce, pour un ensemble de réglages et un type d'engrais donnés.
A partir de cette nappe, les constructeurs pourront bien sûr disposer des traditionnelles courbes transversales et courbes des coefficients de variation obtenues avec les bancs d'essai actuels. Mais surtout, ils pourront déduire une masse d'informations essentielles pour peaufiner le réglage de leurs matériels (voir le
(153.47 Ko)). En effet, ce nouveau matériel sera en mesure de dessiner les contours de la nappe au sol, mais surtout les différences de densité de produit à l'intérieur de celle-ci. «A partir de ces résultats, il sera possible d'obtenir une édition instantanée des caractéristiques de la portée de projection de l'engrais, ainsi que l'angle de projection, deux éléments déterminants de la distribution d'épandage», précise Emmanuel Piron. Les constructeurs pourront tout aussi aisément analyser l'impact de différentes vitesses de rotation du disque, longueurs de pales ou encore inclinaison du distributeur. De la même façon, ils pourront connaître le comportement de différentes natures d'engrais et être ainsi encore plus pertinents dans leurs conseils aux utilisateurs.
Dans la lignée du Cemib, le Cemagref a déjà en projet de lui construire à Montoldre un frère jumeau, le Cemob (Cemagref Organic Bench). Fonctionnant sur le même principe, celui-ci sera destiné aux épandeurs d'engrais organiques, comme son nom l'indique.
Recherche en cours sur des capteursEn parallèle avec son nouveau banc d'essai, le Cemagref conduit des travaux sur le développement de différents types de capteurs d'état. Objectif : être en capacité de mesurer en temps réel les vitesses, les directions ou les quantités d'engrais à la sortie du disque rotatif des épandeurs d'engrais minéraux. Plus concrètement, le Cemagref travaille dans le cadre d'une unité mixte de recherche l'associant à l'Enesad de Dijon, sur un système d'imagerie installé en sortie de disque. Dans un premier temps, ces données d'imagerie serviront à alimenter les modèles de prédiction de la répartition spatiale des nappes d'engrais validés grâce au banc d'essai Cemib. Dans un second temps, on peut ainsi imaginer que ce type de capteurs embarqués sur des épandeurs permettra d'optimiser l'épandage au niveau des parcelles. En effet, avec ces nouveaux outils, l'opérateur aura la capacité de régler objectivement sa machine au travail. |