De la peinture à la laiterie

Eric et Brigitte Le Crugel ont cessé leur activité de peinture pour rejoindre un Gaec laitier.

«Notre entreprise, située aux environs de Surzur, dans le Morbihan, tournait bien. Mais en raison des exigences de certains clients peu respectueux, nous avons décidé de fermer boutique en 2000», explique Eric Le Crugel. Brigitte poursuit: «Nous avions 40 ans. Nous avons mis nos envies sur la table: avoir un élevage de brebis laitières et partir plus loin dans la campagne.» Brigitte qui, adolescente, rêvait de devenir vétérinaire, assurait la comptabilité de leur entreprise. En 2001, elle s'inscrit en BPREA adulte à Vannes. Eric, déjà titulaire d'un BTA, passe le certificat de spécialisation en agriculture biologique.

Cependant, après calculs, ils ne peuvent pas s'installer seuls. «Les Adasea de Bretagne ne nous proposaient rien car notre projet de brebis laitières était trop atypique.» Aussi, lorsqu'au Salon de l'agriculture de 2002, entendent-ils parler d'un éleveur du Gard à la recherche d'associés, brebis laitières, transformation de lait et montagne, tout les séduit. Ils vendent leur maison 150.000 €. Mais, sur place, le rêve tourne au cauchemar. Grâce à un juriste de leur famille, ils arrivent à se dégager de ce mauvais pas au bout d'un an sans y laisser trop de plumes.

Progresser à son rythme

A la recherche urgente d'un point de chute, Eric appelle un couple d'amis éleveurs à Surzur: «Jean-Paul et Josiane Le Bihan nous ont appris que leur associé quittait le Gaec. Ils produisaient 427.000 litres de lait bio sur 90 hectares.» Retour en Bretagne mais, avant de se lancer, les quatre nouveaux associés suivent un stage de relations humaines. Dès l'installation, en décembre 2005, chaque associé détient 25% des parts.

Eric est optimiste: «Cette fois, nous partageons les mêmes valeurs: le bio, ne pas s'agrandir, créer de la valeur ajoutée et rechercher l'autonomie de la ferme. Après un an de mises aux normes, nous démarrons à notre rythme un atelier de transformation de lait de vache. Et je n'abandonne pas l'espoir de nous diversifier avec des brebis laitières.» Ses associés n'ont pas dit non.

 

Témoignage: CAROLE LE GOFF, maraîchère à Berné (Morbihan)

«C'est la conseillère de l'ANPE qui m'a ouvert les yeux»

Très jeune mère de famille, Carole Le Goff a abandonné ses études avant son bac. Elle a toujours travaillé et beaucoup voyagé. Jusqu'au jour où elle rejoint son nouveau compagnon, maçon à la tâche. «Il habitait une maison à Berné (Morbihan) entourée de quelques arpents de terre. Je n'y connaissais rien mais je me suis passionnée pour le jardinage.» Lorsqu'elle se retrouve au chômage à 45 ans, la conseillère de l'ANPE, au cours de son bilan de compétence, lui suggère la piste du maraîchage. Elle se forme pendant neuf mois pour obtenir un BPREA horticole. Son mari est désormais salarié sur l'exploitation. «Nous avons racheté du terrain, un peu de matériel d'occasion. Nous disposons de 5 ha de terres difficiles et nous cultivons 2,20 ha en pente. Notre apport personnel s'élevait à 15 000 €, nos emprunts actuels sont de 50.000 € sans aides, excepté un CTE sous-dimensionné. Après les emplois précaires, je suis enfin ma patronne.» Et ça marche. «Nous vendons sur trois marchés dont deux le dimanche. Les veilles de marché, nous vendons à la ferme. Malgré le mal de dos, j'adore ce que je fais. Notre projet était tardif mais réfléchi. La banque nous a tout de suite suivis.»

 

Le conseiller revient à la ferme

Philippe Lion est retourné sur l'exploitation familiale à 50 ans.

C'est un choix surprenant qu'a fait Philippe Lion en 1998. Conseiller reconnu d'un groupement de développement agricole d'Indre-et-Loire depuis vingt-sept ans, il a tout quitté pour s'installer sur la petite exploitation familiale. «J'avais fait le tour de ma fonction de conseiller en Champeigne tourangelle», explique-t-il. Pourtant, sa ferme céréalière, située à Paulmy, en Indre-et-Loire, ne compte que 68 hectares. «Je n'ai jamais voulu l'agrandir pour m'installer à temps plein. Je préférais garder une ouverture extérieure avec des activités complémentaires», précise-t-il. Même si celles-ci ne sont pas très rémunératrices.

Maire de sa commune depuis 2001, Philippe Lion consacre une vingtaine d'heures par semaine à cette fonction. Son autre activité extérieure découle de l'expertise acquise dans le cadre du GDA de Champeigne. Dès le début des années quatre-vingt-dix, Philippe Lion a orienté les agriculteurs du groupe vers les techniques culturales simplifiées.

Renouer avec ses racines

Au fil du temps, Philippe Lion est de plus en plus sollicité pour ses conseils. Il franchit alors le pas et quitte son poste de conseiller pour devenir consultant spécialisé dans le semis direct sous couvert. Il est demandé par des groupes qui vont de Poitou-Charentes à la Lorraine. A cinquante ans, il abandonne la banlieue de Tours pour s'installer dans une vieille bâtisse familiale du XVIe siècle à restaurer en intégralité, logée au pied d'un superbe château fort. «J'ai vécu plus de vingt ans en ville, je voulais renouer avec mes racines rurales. Si je ne devais garder qu'une activité, ce serait la ferme. Elle me permet de vérifier certains points précis sur le semis direct», conclut-il, toujours aussi passionné.

 

Une augmentation de 19% en quatre ans

En 2005, la MSA (1) a enregistré 16.916 nouvelles installations de chefs d'exploitation. Sur ce nombre, 7.210 personnes avaient franchi la barrière fatidique des 40 ans, l'âge maximal pour prétendre aux aides à l'installation. Loin d'être un phénomène marginal, ce mouvement a progressé de 19% entre 2002 et 2005, tandis que les installations des jeunes régressaient de 2,5%.

Les femmes représentent la moitié des installations tardives. Elles sont particulièrement concernées par les transferts entre époux. Ceux-ci concernent presque la moitié des installations de plus de 40 ans, un chiffre qui ne dépassait pourtant pas 39 % en 2004 (2).

Selon une étude de 2003 de la MSA (3), un tiers des nouveaux chefs d'exploitation de plus de 40 ans s'étaient installés sur des exploitations céréalières, un chiffre en baisse depuis 1997. L'élevage bovin se maintient, alors que progressent la viticulture et l'élevage d'ovins.

(1) Observatoire économique et social, synthèse octobre-novembre 2006.

(2) Neuf fois sur dix, c'est la femme qui prend le relais de son mari.

(3) Bilan de l'installation des chefs d'exploitation agricole. Années 1997 à 2003. Décembre 2005.

 

Après l'exportation, le mouton

Bernard Meillet a revendu son entreprise de biens d'équipement pour retrouver l'agriculture.

Bernard Meillet voulait être agriculteur. En 1978, à 23 ans, il s'installe en reprenant le fermage de son grand-père dans l'Aisne, en Brie champenoise. Mais à la fin du bail, le petit-fils du propriétaire souhaite à son tour reprendre l'exploitation. «J'ai jugé que je n'avais pas les moyens financiers de continuer, je suis devenu chevillard.» Bernard Meillet achète et revend de la viande, s'essaie à l'exportation vers l'Afrique, puis quitte le monde de la viande pour exporter, toujours vers l'Afrique, des biens d'équipement. Il crée une première entreprise en 1992. Il emploie alors une dizaine de personnes pour un chiffre d'affaires de 5 millions euros. Puis il en reprend une seconde de 120 employés cette fois, et 17 ou 18 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont le quart à l'exportation. «En 2000, j'ai cédé mes parts dans cette société. J'avais envie de redevenir agriculteur. C'est une envie qui ne m'avait jamais quitté.»

Ses enfants vivant à Paris, il cherche une exploitation par cercles concentriques à partir de la capitale. «Je voulais les voir en gardant le rythme d'un week-end sur deux et la moitié des vacances. Pour l'installation, je n'avais aucun a priori sur le lieu de l'exploitation.» Bernard Meillet finit par dénicher ce qu'il cherchait à côté de Montmorillon, dans la Vienne. «Il n'y avait aucun bâtiment, mais le parcellaire était intéressant, centré autour de l'exploitation, avec des parcelles de 25 à 30 ha chacune.» Au total, l'exploitation s'étend sur 184 ha de céréales et 10 ha d'étangs.

Des raisons physiques et de sécurité

Il ne veut plus de bovins, «pour des raisons physiques et de sécurité», et il opte pour le mouton. «Je me suis lancé sans crainte. Il y a tout autour des structures moutonnières performantes. Je ne me sens pas seul et, s'il y a un problème, je sais où m'adresser.» Il choisit ainsi d'adhérer au groupement Poitou-ovin, qui lance en ce moment une expérience de production ovine chez les céréaliers, avec des moutons île-de-France, une race plus facile à conduire. Il a aussi quatre poulinières, pour le plaisir, parce que les chevaux ont toujours fait partie de son monde.

Pour son installation, Bernard Meillet n'a rien demandé à la banque. «J'ai des prêts, mais j'ai aussi des garanties suffisantes. A cet âge, entre 45 et 50 ans, il faut s'installer avec des capitaux et réaliser les investissements très vite au départ, parce que la durée de vie au travail n'est plus que de quinze ans. C'est très peu par rapport à un jeune.»

 

Témoignage : RÉMY MOUCHE, retraité à Sainte-Soulle (Charente-Maritime)

«J'élève des limousines pour occuper ma préretraite»

Rémy Mouche est fils d'éleveurs. S'il a, tout jeune, travaillé avec ses parents, il a ensuite passé 38 ans en tant que commercial chez Néolait. Mais l'amour des bêtes ne l'a jamais quitté. Alors, quand il prend sa retraite à 58 ans, il achète une dizaine de limousines tandis que ses parents lui laissent un hectare de terre à Sainte-Soulle, près de La Rochelle. «Je suis en pleine forme et je me sentais incapable de rester à ne rien faire.» Tandis que d'autres se lancent dans le jardinage, lui se met à l'élevage. «J'ai vérifié que ça ne me coûterait pas d'argent. Mais je n'en tire pas non plus de revenus et je ne reçois aucune prime. Ce n'est pas le but. Je veux m'occuper en faisant quelque chose qui me plaît.» Le groupement Corali commercialise les mâles destinés à l'engraissement. Rémy Mouche, qui fait de la sélection, vend les femelles à des voisins. «Avec ce travail de sélection, le troupeau représentera peut-être un petit capital si je le revends. Mais encore une fois, ce n'est pas ce que je cherche. Je préfère être avec mes animaux que d'aller au bistrot…»

 

Loin de la ville, une ferme-auberge

Martine et Jean-Guy Lutz se sont installés avec l'appui de la région et du département.

«Nos trajets au quotidien se rallongeaient sans cesse. Nous habitions en zone rurale dans les Monts du Lyonnais tout en travaillant à Lyon», expliquent Martine et Jean-Guy Lutz. En 2004, Martine abandonne, à 43 ans, son métier dans le secrétariat, un domaine qu'elle n'a jamais aimé. Jean-Guy, 42 ans, quitte sans regret un poste d'enseignant auxiliaire qu'il occupe depuis trois ans après avoir été ébéniste en association. «Issus du milieu rural, nous étions tentés par le métier d'agriculteurs, même si nous mesurions les difficultés pour y parvenir.»

Exploitants en EARL

Décision prise, Martine prépare son Bepa en un an à la Maison familiale de Saint-Romain-de-Popey, dans le Rhône. Jean-Guy pose un congé parental. Ils font leurs stages ensemble et le projet mûrit: ils optent pour un élevage de volailles et une ferme-auberge. La recherche d'une exploitation commence par l'intermédiaire des Adasea et des Safer du Rhône, de la Loire, de la Haute-Loire, du Puy-de-Dôme, de l'Aveyron, de la Lozère et du Cantal. Le dossier se trouve bloqué dans le Rhône, où ils ne sont pas pris au sérieux. Il n'y a aucune réponse de la Loire. Dans le Cantal, ils participent à la session d'accueil d'actifs organisée deux fois par an par l'Adasea. «C'était en juin 2004. Les interlocuteurs professionnels de l'Adasea ont été aussi agréables qu'efficaces. Ce n'est pas évident d'être pris au sérieux lors d'une reconversion professionnelle après 40 ans», souligne le couple.

Après de nombreux allers-retours dans le Cantal, la Safer les alerte sur leur future acquisition: 10 hectares et un beau bâti à Chalvignac, près de Mauriac. Martine et Jean-Guy l'emportent sur plusieurs appels à candidature parce que leur projet ne démantèle pas la propriété et que le Cantal veut accueillir de nouveaux actifs.

Leur projet global nécessite 350.000 euros. Après des hésitations, le Crédit agricole accepte le dossier. En attendant la vente de leur maison dans le Rhône, ils obtiennent un prêt relais. La Région et le conseil général devraient leur accorder des subventions nécessaires à l'équilibre du projet.

Peu exploitée depuis quinze ans, la petite propriété exige un travail conséquent pour être remise en état. «L'idéal aurait été d'avoir dix ans de moins!», plaisante le couple. Les deux premiers poulaillers sont prêts. L'auberge, ouverte tous les week-ends, est fonctionnelle depuis août dernier avec une première salle et une cuisine très moderne et validée par la DSV. L'objectif reste la production de 500 volailles par bâtiment et 3.200 repas par an. «Nous ciblons la clientèle touristique mais aussi les gens du pays.» Leur façon de remercier ceux qui les ont accueillis.

 

Témoignages: MICHELLE ET GEORGES RODIER, agricultrice et retraité

«Je me suis installée au départ à la retraite de mon mari»

En s'installant à 58 ans au départ à la retraite de son mari sur leurs 5,5 ha de fruits rouges des Monts du Velay, à Saint-Jeures (Haute-Loire), Michelle Rodier suit la voie prise par de nombreux couples d'agriculteurs. «Je travaille depuis l'âge de 14 ans et je sais depuis longtemps que le niveau des retraites agricoles est ridicule, même si je suis au réel depuis vingt ans, souligne Georges Rodier. Notre objectif est de soigner notre transmission parce que nous croyons à la viabilité de notre affaire.» Pour faciliter ce projet, Michelle a adopté le statut d'agricultrice en 2006. Elle était auparavant salariée à Groupama. «En 2004, nous avons déjà cédé 3 ha de fruits à une jeune femme qui s'est installée dans cette production et qui en vit. L'installation tardive de Michelle nous permet de prendre notre temps et de faire les meilleurs choix, sans rupture brutale avec le domaine d'activité que nous aimons», explique Georges Rodier.