Avec 30 ha concernés par une aire d’alimentation de captages (AAC) fortement dégradée, l’EARL de Saintignon, à Baslieux (54) a un enjeu « eau » important. En 2012, l’agence de l’eau Rhin-Meuse et la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle ont lancé une MAEC (mesures agroenvironnementales et climatiques) pour améliorer la qualité de l’eau potable de la zone. Laurent Pierçon décide d’y souscrire, et s’engage donc à respecter la contrainte de réduction progressive de l’utilisation de produits phytosanitaires qui en découle. « L’idée est de répondre à une demande sociétale, tout en gardant un bon niveau de production et en étant rentable », explique-t-il. Après la fin de la MAEC en 2017, les pratiques qu’il avait mises en place sur ces 30 ha ont été transposées au reste de la ferme. L’exploitation est maintenant engagée dans le réseau des fermes Dephy.

Autre élément qui a motivé ses changements de pratique : l’impasse de la gestion des résistances des adventices vis-à-vis des herbicides, dont l’offre est de plus en plus réduite. Dans la zone, c’est la pression vulpin qui est la plus importante. L’agriculteur indique : « Par exemple, 30 % des vulpins sont résistants à Atlantis. La question des moyens de luttes alternatives au tout chimique s’est alors naturellement posée, tout en gardant le potentiel propreté des parcelles. »

- 42 % d’IFT

Sans que cela ne représente une fin en soi pour lui, le fait de faire évoluer ses pratiques a engendré une diminution de l’IFT (indice de fréquence de traitement) de son système de culture. Il se situe désormais à 42 % en dessous de l’IFT moyen régional.

Sur la ferme, il multiplie les essais avec l’appui de la chambre d’agriculture pour connaître ce qui fonctionne ou non sur ses terres. « L’idée est de me faire la main sur les techniques alternatives avant que la réglementation ne m’impose un changement de pratique brutal. » Parmi les techniques adoptées : le désherbage post-levée en micro-doses sur colza, et l’allongement de la rotation, avec du soja notamment.

Désormais, le désherbage de la crucifère se fait entièrement en post-levée, ce qui lui permet de ressemer une orge si le colza pose des problèmes de levée, problématique bien présente depuis quelques années. Il utilise principalement de l’Alabama, qu’il applique en dose réduite : 0,25 l/ha à 0,4 l/ha, au lieu de 2,5 l/ha autorisés. Le raisonnement de la dose se fait en fonction de l’état de salissement des parcelles. S’il estime que plusieurs passages seront nécessaires, il dose à 0,25 l/ha, et espace ses passages de dix à quinze jours, en fonction des stades des adventices. La dose est plus élevée si un seul passage est a priori nécessaire. Seul passage systématisé sur ses colzas : un Kerb Flo à pleine dose, le seul produit qui garde une bonne efficacité sur les graminées. L’IFT herbicide varie ainsi de 1,3 à environ 2. « Cela dépend des parcelles, et des années. Tout est une histoire d’observation », explique-t-il. « Il est préférable de passer d’un raisonnement systématique à une agriculture d’opportunités », précise Laurent Pierçon Accompagné par la chambre d’agriculture et participant à des groupes d’échange avec d’autres agriculteurs, il passe du temps à surveiller l’état sanitaire de ses parcelles pour éviter les traitements systématiques. « Un peu comme pour la surveillance sanitaire d’un troupeau », compare-t-il. Cette année, par exemple, il n’a pas traité le colza contre le charançon du bourgeon terminal.

Zéro phyto sur soja

La gestion sanitaire passe également par un allongement de la rotation (lire encadré). Cultiver du soja lui permet de diversifier son assolement, et par la force des choses réduire l’IFT du système de culture car il ne nécessite pas ou peu de produits phytosanitaires. Cette année, Laurent Pierçon expérimente même le zéro phyto sur cette culture en la binant. Le soja ne nécessite pas d’investissement particulier car il se sème et se récolte avec du matériel traditionnel. La récolte est valorisée en alimentation animale, en mélangeant la mouture avec de l’aplati d’orge ou d’épeautre, qui absorbe l’huile. Cela lui permet de valoriser ses animaux sous l’appellation « nourri sans OGM », pour laquelle la demande est forte. La prochaine étape sera la diminution des charges de mécanisation. Il souhaite tester l’année prochaine le semis direct de maïs sous couvert de féverole-avoine.

Hélène Parisot