C’est à l’occasion d’un remembrement parcellaire que Philippe Lemey s’est posé la question de l’arrêt du labour. « J’ai retourné un chemin et un îlot en friche, et j’ai constaté qu’à ces endroits, la terre était de meilleure qualité », déclare-t-il. La levée du blé et du colza était plus belle : le sol n’avait pas été travaillé depuis plusieurs années. »

Le céréalier a arrêté le labour en 1992, une douzaine d’années après s’être installé en Gaec avec son père. Après être passé d’un labour occasionnel aux techniques culturales simplifiées (TCS) profondes puis superficielles, il achète en 2004 un semoir à disques Semeato et passe au semis direct sous couvert végétal (SDCV). Depuis 2007, date à laquelle il a racheté les parts sociales du Gaec, il gère seul 250 hectares de surfaces en céréales, oléagineux, protéagineux (Scop).

L’agriculteur rappelle les trois grands principes du SDCV : la couverture permanente du sol (par une culture, un couvert intermédiaire ou des résidus), le non-travail du sol et l’allongement de la rotation. « Pour que cela fonctionne, il faut aller au bout de la démarche et veiller à modifier sa rotation », souligne-t-il. Autre point de vigilance : le respect total du non-labour. « Même un travail à 8-10 cm de profondeur fait apparaître une rupture de capillarité, ce qui gêne la circulation de l’eau dans les deux sens. Cela détruit les galeries des vers de terre, notamment des espèces anéciques. » Celles-ci creusent des galeries verticales et profondes, importantes pour le drainage. Sur son exploitation, il dénombre 3 à 4 t/ha de vers de terre.

De bons rendements

Le taux de matière organique (MO) dans ses parcelles sableuses est passé de 1 à 3,5 %. Dans les zones argilo-calcaires, il se situe aux alentours de 6,5 à 7 %. « 1 % de MO en plus, c’est 20 % de réserve supplémentaire facilement utilisable. » Un atout en cas de sécheresse. « Aujourd’hui, mes rendements sont aussi bons, voire meilleurs que ceux de mes voisins. Dans les années où le climat est difficile, j’arrive à déplafonner les rendements de façon notable. Mon système tamponne les aléas. »

Philippe Lemey reconnaît cependant que les débuts n’ont pas été simples. « Le système a mis cinq ou six ans à se mettre en place », se souvient-il. Il m’est arrivé de devoir ressemer du colza cinq fois, à cause des dégâts de limace. » Aujourd’hui, il parle d’autorégulation de son système et tolère quelques dégâts de ravageurs ou de maladies. Il n’utilise plus d’insecticide et limite l’utilisation de fongicides en traitant à bas volumes (50 l/ha).

Pour limiter les dégâts de limaces, il applique Sluxx (solution de biocontrôle à base de phosphate ferrique) à raison de 200 kg /an sur l’ensemble de ses 250 ha, en post-semis sur le colza et en maïs. La pression des campagnols, qui peut être forte en semis direct, est limitée sur son exploitation car les bois situés aux alentours abritent des buses et du petit gibier qui régulent la population.

« Un des gros problèmes en semis direct, c’est la paille dans les sillons. Elle émet des composés allélopathiques qui inhibent la germination », explique Philippe Lemey. Pour faire face à ce problème, il a acheté, en 2014, un semoir Primera à dents, qui pousse 100 % des pailles. L’outil bourre, cependant, dans certains couverts, comme dans le trèfle blanc par exemple ou quand la rosée matinale est trop importante dans les pailles de pois ou de maïs grain.

295 heures par an

« J’utilise 32 l/ha de carburant, récolte comprise, c’est jusqu’à quatre fois moins que mes voisins. » Le céréalier passe seulement 295 h/an sur ses tracteurs, limitant ses charges de mécanisation. À cela, s’ajoute une baisse de fumure de 40 unités sur toutes les parcelles, par incorporation des légumineuses dans la rotation. « Grâce à ces économies, je suis serein dans la gestion de mon exploitation. »

Faisant partie des premiers agriculteurs à s’intéresser aux techniques de SDCV, le manque d’accompagnement a été une difficulté à surmonter. Aujourd’hui, Philippe Lemey partage son expérience avec des personnes intéressées par son système, de plus en plus nombreuses (lycées agricoles, écoles d’ingénieurs, agriculteurs, conseillers). Il regrette le manque de reconnaissance officielle du SDCV, comme cela peut se faire au Québec par exemple, avec le label Terre Vivante.

Lire aussi, en page 10, le courrier d’un autre pionnier du SDCV, Jean-Claude Quillet.