Remplacer les vaches par des chèvres, et passer simultanément du lait conventionnel au bio, c’est le défi qu’a relevé Roland Forestier. « En 2013, le prix du lait a chuté à 320 €/1 000 l. Je n’arrivais plus à couvrir mes frais, raconte l’éleveur. Par la chambre d’agriculture de Lozère, j’ai su qu’une collecte de lait de chèvre bio se créait. J’ai foncé ! »
Financer le changement n’a pas été facile (lire l’encadré ci-dessous), mais en juillet 2016, Roland a enfin pu démarrer l’aménagement du bâtiment. « Il a fallu réaliser les travaux en deux mois, car j’avais réservé 200 chevrettes en Vendée qui arrivaient en septembre. » Il n’a gardé que les murs et la charpente, et tout refait à l’intérieur. « Les chèvres sont frileuses. J’ai isolé le toit et fermé les côtés ouverts par des panneaux translucides. Et j’ai ajouté des extracteurs d’air pour assurer une bonne ventilation et prévenir la pasteurellose. »
Pour l’alimentation, il a installé deux tapis sur lesquels il déverse les fourrages avec la mélangeuse, ainsi que deux convoyeurs qui distribuent des céréales et un correcteur azoté. En début de lactation, la ration quotidienne par chèvre comprend 1,3 kg d’ensilage d’herbe et de foin, 300 g d’orge, 200 g de maïs et 400 g de correcteur azoté à 35 % de MAT, pour une production moyenne de 4 l/jour. De mai à novembre, Roland pratique le pâturage tournant et réduit donc la ration distribuée. En 2017, en première lactation, la moyenne par chèvre a atteint 800 l. « C’est mieux que les 700 l prévus. Elles ont du potentiel génétique. Pour 2018, je table sur 900 l. »
Rester autonome
Pour rester autonome en fourrages, Roland s’est fixé un maximum de 230 chèvres. « Elles trient plus que les vaches. Je réserve le regain pour les chèvres en lactation, et la première coupe pour les taries et les chevrettes. » Dans les années à venir, il compte avancer la date d’ensilage pour avoir davantage de regains à faucher. « J’espère ainsi réduire les achats de correcteur azoté. » En bio, ce dernier coûte 770 €/t. « C’est un gros poste de dépense. Heureusement, j’ai trouvé un fournisseur qui m’a avancé six mois d’aliments, jusqu’à la première paie de lait », note-t-il. L’élevage des chevrettes revient plus cher aussi, avec un aliment à 475 €/t.
Côté cultures, Roland n’a rien changé car il n’utilisait ni engrais chimiques ni produits phytosanitaires. « Je paille plus souvent. J’ai ainsi plus de fumier à mettre sur mes prairies », apprécie-t-il. Avec les vaches, il obtenait du lisier. « Pour la mise aux normes, j’aurais dû investir dans une fosse. Avec les chèvres, je me suis juste équipé d’une poche qui réceptionne les eaux de la salle de traite, pour 5 000 €. »
Surveillance essentielle
Roland a vite constaté que les chèvres étaient plus fragiles que les vaches. « Elles tombent malades d’un seul coup, c’est déroutant. » Son épouse Mélanie, qui travaille avec lui, note que « les mammites sont plus rares, mais difficiles à soigner ». En jouant sur l’effet bouc, Roland groupe les mises bas sur mars. « À cette période, nous devons être trois pour suivre chaque chèvre. Il faut aussi prendre le temps de thermiser le colostrum avant de le donner aux chevreaux, de façon à prévenir la transmission du virus du Caev. »
La traite, avec 2 x 28 postes, ne dure que 50 minutes. « Il n’y a pas besoin de nettoyer les mamelles. Et comme les chèvres font des crottes sèches, il n’est pas nécessaire de mouiller le sol avant le début de la traite pour faciliter le nettoyage. Il suffit de passer un coup de balai après », note Mélanie. De ce fait, l’ambiance reste sèche. « C’est plus confortable », apprécie Roland. Le seul point noir, ce sont les mouches, difficiles à éliminer en élevage bio. « J’ai testé le lâchage de mini-guêpes, mais cela ne suffit pas. » La période de lactation dure dix mois, de mars à décembre. « La pause est bienvenue, mais cela fait aussi deux mois sans paye de lait, il faut le prévoir. »
Roland a signé un contrat de cinq ans avec la fromagerie de la Lémance, et des engagements de prix. « J’ai démarré à 860 €/1 000 l en 2017 et je vais passer à 900 €/1 000 l en 2018. » La laiterie étant à la recherche de volumes, elle ne lui a pas fixé de référence. « En 2017, j’ai livré 153 000 l et, en 2018, je devrais arriver à 170 000 l. »
Avec les chèvres, qui nécessitent davantage de présence, il y a du travail pour deux. Mais il y a aussi davantage de revenus. Mélanie va prochainement s’installer avec Roland. « Nous avons retrouvé des perspectives d’avenir, et nous apprécions de travailler avec des chèvres. »