Avec des sols sableux à faible potentiel, hydromorphes l’hiver et séchants l’été, l’exploitation de Samuel Legrand et de Sébastien Châtelet est confrontée à de fortes turbulences. Naturellement limités en zone intermédiaire, les rendements ne cessent de baisser et les marges se compriment sous l’effet des prix qui stagnent et des charges qui augmentent. Depuis 2017, le blé plafonne à 40 q/ha en moyenne, alors qu’il se situait à 58 q/ha les dix dernières années.
Une réflexion sur la conduite des cultures
Les récoltes deviennent aléatoires : en 2020, avec un peu de pluie au bon moment, le tournesol a réalisé sa moyenne historique, alors que semés un mois plus tôt, les pois et l’orge de printemps ont été désastreux. « Cette situation nous a amenés à nous interroger sur la conduite et la valorisation de nos cultures, pointent ces jeunes agriculteurs installés respectivement en 2007 et 2015 en tant que hors cadre familial. En continuant le système classique, nous allions droit dans le mur. »
Huit à douze cultures par an
Initialement en colza, tournesol, blé, blé, orge, la rotation a été allongée sur sept ans et les îlots ont été redéfinis pour réduire les risques sanitaires et climatiques. Des cultures de printemps et d’été ont été introduites pour casser le cycle des mauvaises herbes. Les marges sont calculées à la culture, mais aussi à la rotation. « 15 q/ha en sarrasin génèrent peu d’argent, en revanche, si derrière le blé est plus propre et bien valorisé grâce à la certification HVE 3, il a un intérêt. C’est une réflexion globale. »
Les exploitants ont saisi toutes les opportunités, en mesurant l’impact potentiel de la nouvelle activité sur les charges de mécanisation. Quand elle est possible, l’entraide est privilégiée. Aussi, pour le chanvre, les chantiers sont effectués avec trois autres fermes. La presse pour la paille a été achetée avec un voisin. Le matériel en propre se limite à la traction ainsi qu’à un pulvérisateur et à un distributeur d’engrais. Le reste est en copropriété ou en Cuma.
Parallèlement, les associés ont réfléchi à d’autres activités possibles. Écartant les énergies renouvelables (trop loin des réseaux pour le photovoltaïque, trop de logistique pour la méthanisation), ils ont fait des études de marché sur les légumes de plein champ, et sur le développement des asperges. L’absence d’irrigation, la lourdeur des investissements nécessaires, l’embauche de salariés les ont dissuadés de concrétiser ces projets. Le dépôt d’un permis de construire pour un poulailler s’est heurté à une forte opposition locale.
In fine, Samuel et Sébastien se sont rabattus sur la transformation d’une partie de leurs céréales en farine traditionnelle sur meule de pierre. « L’investissement était limité à 75 000 €, et la valeur ajoutée intéressante. » Deux ans après le lancement de l’atelier, 12 t de graines sont écrasées chaque année, soit un tiers de l’objectif (35 t, le maximum autorisé par la loi). Les quatre types de farines (blé, sarrasin, épeautre, seigle) sont vendus en sacs de 25 kg aux boulangers, aussi bien qu’en petits contenants (1 et 5 kg) aux GMS locales et magasins de producteurs.
Atelier farine
Le premier confinement au printemps 2020 a boosté la transformation. « L’atelier farine ne représente que quelques pourcentages de notre chiffre d’affaires mais les perspectives sont bonnes, analysent les agriculteurs. Une partie de la grande distribution évolue positivement. Quand le blé standard est payé 210 €/t, le transformer en farine n’apporte rien. Cependant, le marché est loin d’être toujours aussi bon. Nous lancer dans cette nouvelle activité contribue à lisser nos résultats. »
Un seul regret : la perte d’une UMO (unité de main-d’œuvre) sur la ferme (lire l’encadré p. 28). « Malgré tous nos efforts, il n’est pas possible économiquement de fonctionner à trois. L’an dernier, l’assurance récolte, la diversification dans nos cultures, et les nouvelles sources de revenu (transformation farine HVE) nous ont sauvés. Mais rien n’est acquis. » A. Bréhier