«Le changement climatique engendre de plus en plus d’à-coups dans le cycle des cultures, comme des orages violents ou des sécheresses. Nous arrivons aussi à des impasses techniques pour le désherbage, en particulier face au ray-grass et au chardon. Nous devons donc adapter notre système, faire évoluer nos pratiques », explique Dorian Sagot. À 24 ans, ce jeune agriculteur beauceron est revenu sur la ferme familiale en 2019, après de nombreux voyages. Avec son père, Alain, et Gilles Desforges, le troisième associé, ils ont décidé de tester l’agriculture de conservation. Si cette technique se développe depuis plusieurs années dans les systèmes céréaliers, elle n’est pas encore utilisée pour les légumes de plein champ, de type oignons, les betteraves et les pommes de terre. La ferme des Trois Roviers participe, avec une dizaine d’agriculteurs, à un partenariat européen pour l’innovation (PEI), sur les oignons, nommé Agrognon et animé par la coopérative BCO (Beauce Champagne oignons).

 

Pour les céréales, les exploitants ont opté pour un préparateur de sol à dents fines (12 mm), de chez Jammet. © Aude Richard
Pour les céréales, les exploitants ont opté pour un préparateur de sol à dents fines (12 mm), de chez Jammet. © Aude Richard

Un travail du sol sur 5 cm

L’objectif est de rendre le sol plus vivant et de mieux conserver l’humidité. « Aujourd’hui, il faut 200 à 230 mm d’eau par hectare pour des oignons. Avec un mulch au sol et l’augmentation du taux de matière organique, nous espérons économiser au moins un des deux tours d’eau au moment de la levée », souligne Delphine Berthet, conseillère à la chambre d’agriculture du Loiret. Cette démarche sera chiffrée jusqu’à la commercialisation. Cette année, Dorian a testé une parcelle d’oignons sans labour, mais pas encore en semis direct : « L’oignon aime la terre fine et les sols réchauffés. Difficile d’arriver à ce résultat sans travailler le sol ! Mais forcer le labour avec des tracteurs de plus en plus puissants, puis travailler la terre qui est devenue un bloc de béton n’est pas durable. Il faut changer… » Dorian teste quelques travaux du sol à une profondeur de 5 cm. Après avoir broyé les couverts (lire l’encadré), il passe un déchaumeur à disques, lors d’une gelée de janvier, puis fin mars, une herse rotative. Les graines sont implantées au semoir mono-graine par l’ETA Thomin, un entrepreneur local dans le cadre du projet. L’écart des rangs est élargi à 50 cm à la place de 28. Pour cette première année où le mulch n’est pas encore formé, les apports d’irrigation sont identiques à la parcelle labourée. Un apport de soufre élémentaire (15 kg/ha) a été localisé lors du semis. « Cet essai est très positif. Les oignons sont prometteurs en matière de rendement. Même s’il y a moins de pieds, l’état sanitaire semble meilleur. Les racines sont plongeantes et la structure du sol est saine. On voit déjà la différence lors des orages », observe Dorian. Reste à voir le rendement net à la coopérative en octobre.

 

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Les trois associés ne s’occupent pas que de leurs oignons, ils convertissent progressivement le reste de la ferme en agriculture de conservation. Ils ont ajouté quelques cultures à leur rotation qui en compte déjà une dizaine. « Nous avons introduit de la féverole dans le persil. En août, le sol est trop sec pour une bonne levée du persil, donc nous le semons fin mars, en même temps que la féverole », souligne Dorian. Le trèfle a également fait son apparition, semé sous couvert de blé dur, en avril, au milieu du tallage. La phacélie complète ces nouvelles cultures, qui sont toutes les trois vendues sous contrat de semence. Des couverts multi-espèces (moutarde d’Abyssinie, vesce, phacélie, féverole) sont introduits sur 85 % de la surface cultivable. En 2019, 20 ha ont été semés à la volée, avant la moisson, mais l’implantation n’était pas bonne. Cette année, Dorian a préféré semer juste derrière la moissonneuse. Mais l’humidité résiduelle n’était pas suffisante et l’absence de pluie (1,6 mm de précipitation sur juillet dans le Loiret à la place d’une moyenne de 59 mm) contraint fortement la levée. Reste à limiter le travail du sol. Depuis deux ans, les orges sont semées sans labour, avec simplement un passage de préparateur à dents. Cette année, les rendements atteignent 70 q/ha, le même tonnage qu’avec un labour. « La terre est plus saine, on revoit des vers de terre. Ça revient vite », remarque Dorian. Néanmoins, les « Roviers » ne sont pas encore bien équipés et, cet automne, ils ont préféré labourer les parcelles de blé. Dorian, Alain et Gilles se donnent trois ans pour parfaire leur système, mesurer l’évolution de la matière organique et investir dans des équipements adéquats. Aude Richard