Avec ou sans patates ? À la suite de l’effondrement des cours des pommes de terre et aux tensions sur le prix du lait, les associés du Gaec de la Ferme du Moulin, dans l’Eure, ont fait leur choix. L’ajout de pommes de terre entières crues à la ration est une réponse qu’ils ont trouvée pour maîtriser leurs charges durant l’épisode sanitaire de Covid-19. Ainsi, dès le début du mois de mars, lorsque les Français ont largement arrêté d’aller au restaurant et de manger des frites, les deux cents prim’holsteins de la ferme ont pris, en partie, le relais pour écouler les stocks.

« Faire la soudure » avant la nouvelle récolte d’orge

« La substitution des céréales s’est faite en deux semaines. Lors de la première, les vaches ont reçu 2 kg de pommes de terre chacune par jour, en remplacement de 0,5 kg d’orge. La deuxième, nous avons encore substitué 0,5 kg d’orge et nous sommes ensuite passés à une substitution complète de la céréale par 6 kg de tubercules, détaille Nicolas Romain, l’un des sept associés, chargé de l’alimentation du troupeau. Nous n’avons perdu ni en volume ni en qualité, constate l’éleveur, dont le cheptel produit 9 000 litres de lait annuel par vache, à 41,3 g/l de taux butyreux et 34,2 g/l de taux protéique. Le comptage cellulaire est resté stable, à 150 000/ml, ainsi que les butyriques, à 650 spores par litre. « Nous avons un atelier de transformation de yaourt, de camembert et de crème au lait cru. Nous sommes donc très sensibles à la qualité sanitaire du lait. Par ailleurs, les taux et la qualité sont nos axes majeurs d’amélioration du revenu », explique Nicolas.

Les associés ont déjà quelques années de recul sur le sujet. « Il est assez fréquent que j’introduise des pommes de terre dans la ration en remplacement de l’orge à la fin du printemps, pour faire la soudure avec la nouvelle récolte, poursuit-il. C’est aussi une période où les producteurs cherchent à « mettre à blanc leurs frigos », pour réduire également leur facture énergétique.

Cette année, leur raisonnement était peu différent. Avec un prix de marché oscillant entre 20 et 25 euros la tonne de pommes de terre, la matière sèche revient à 100 euros la tonne. Vendre l’orge pour acheter des tubercules devenait ainsi intéressant pour maîtriser les charges de l’atelier laitier. L’intérêt n’est pas seulement économique, il est aussi zootechnique. « La pomme de terre apporte une autre forme d’amidon moins acidogène que le maïs, qui est fermenté à cette époque, avec un effet bypass très intéressant, explique l’éleveur. Malgré cela, le risque de surdosage pour le rumen reste présent, du fait de la très forte appétence des tubercules. Pour éviter tout problème, la ration est distribuée en deux fois, une après chaque traite. Par ailleurs, des fibres sont apportées en quantités suffisantes, sous forme de paille broyée. »

Les vaches parviennent rapidement à éviter de laisser rouler les pommes de terre au milieu du couloir d’alimentation. Malgré tout, les tubercules sont repoussés trois fois par jour : à 10 h, 12 h et 20 h. Ils sont un peu trop riches en potassium pour les vaches, ce qui peut avoir un effet laxatif. Les éleveurs gèrent cet aspect par l’introduction de fibres dans la ration – paille et ensilage d’herbe –, qui permettent de ralentir le transit.

Limiter le temps de stockage

Pour se procurer des pommes de terre, Nicolas est à l’écoute des opportunités locales ou des courtiers. Il est très rigoureux quant à leur qualité, dont dépendra aussi la qualité du lait. L’éleveur proscrit les tubercules lavés, qu’il juge difficiles à conserver. Il ne prend que des catégories non lavées ou brossées, et exemptes de mottes de terre.

La conservation et le stockage sont un autre point de vigilance. « Nous stockons les pommes de terre en silo extérieur, souligne-t-il. Notre troupeau est grand, ce qui nous permet d’avancer rapidement dans le tas. Nous consommons une livraison d’un peu plus de 30 tonnes en environ un mois. C’est suffisamment rapide pour éviter tous les problèmes, y compris le verdissement. La pomme de terre s’intègre très bien dans notre système. Si les prix étaient toujours aussi bien orientés, j’en apporterais toute l’année. »

Alexis Dufumier