«Il y a cinquante ans, on pêchait l’écrevisse dans le ruisseau des Harpies. Mon père y relâchait au printemps des truites qui, repêchées dans l’année, avaient bien grossi, se souvient Luc Delcourt, polyculteur-éleveur à Vertain (Nord). Mais au fil du temps, l’état biologique s’est dégradé. » Pour remédier à cela, la fédération de pêche du Nord a contacté l’agriculteur et a émis l’idée de remettre la rivière dans son ancien lit. La chute d’eau, créée il y a près de deux cents ans pour alimenter le moulin de la ferme, représentait un obstacle pour la continuité écologique et la migration de la truite fario, la lamproie de Planer… Or ces dernières doivent remonter les cours d’eau pour leur reproduction.

Ressource en bois énergie

Le deuxième impact concernait une stagnation de l’eau, un envasement et un réchauffement accentué. « Le moulin n’étant plus en activité, j’étais d’accord de contribuer à ce projet à condition que cela ne perturbe pas mon activité agricole. Nous avons donc trouvé un compromis avec la création de méandres qui ont coupé ma pâture en deux, ce qui a permis d’effacer ce fameux seuil mais aussi de garder un abreuvoir utilisable pour mes bêtes. » Le projet a mis plusieurs années à être mis en œuvre. Il a nécessité une étude (lire l’encadré ci-dessous) et une enquête publique en mairie. L’ensemble du dossier a porté sur 1,5 km de ripisylves. Le chantier, lui, a concerné près de 800 met a finalement eu lieu l’été 2018. La partie ancienne a également fait partie de l’étude car la ripisylve n’y était pas stabilisée.

Cette première tranche de travaux, réalisée huit ans plus tôt, a consisté à construire des abreuvoirs stabilisés, à poser des clôtures électriques moins rapprochées de la berge qu’auparavant et à planter des arbres. Le CRPF (2) a donné son appui pour le choix des espèces. Si traditionnellement dans cette zone, on trouve des aulnes, des frênes et des saules, Luc a souhaité la présence de chênes, d’érables et de charmes. « Il s’agit de ma principale ressource en bois énergie. »

Certes, une berge doit comporter des zones ouvertes, cependant l’agriculteur a depuis ajouté quelques plantations. En effet, il n’a jamais cessé d’assurer l’entretien de ses ripisylves. « J’ai toujours greffé, replanté et taillé des saules têtards. » En outre, depuis les travaux, il semble que la biodiversité se soit amplifiée. Les écureuils sont revenus et l’exploitant revoit des buses nicher depuis trois ans dans un aulne. Il laisse aussi en place les vieux arbres qui ne produisent plus car ce sont des refuges pour les pics et les chouettes chevêches.

Sur la seconde phase, visant à concevoir un contournement des Harpies (voir l’infographie ci-dessus), il a été indispensable de protéger les berges, mettre une clôture et procéder à quelques plantations. Une passerelle a été construite, et des lits de cailloux déposés à certains endroits, pour le frai des poissons. Des plantes aquatiques ont aussi été réinstallées.

Même s’il faut du temps pour que l’ensemble se stabilise, l’éleveur a très vite observé une végétation s’implanter, qui n’était pas là avant. « L’an dernier, lors d’animations pédagogiques de la fédération de pêche sur mes terres, on a constaté la présence d’alevins de chabot », se félicite Luc. Preuve que l’ouvrage a été utile !

Président du groupe d’étude et de développement agricole (Geda) Pays’en action Cambrésis, qui a mis en place diverses opérations sur les chouettes effraies, les auxiliaires, etc., Luc souhaite concilier l’agriculture raisonnée et la préservation de la biodiversité. « Je reste aussi sans cesse à la recherche de solutions pour retrouver du revenu par l’élevage, ajoute ce dernier. Nous venons, par exemple, de créer un collectif d’éleveurs pour faire de la méthanisation et ainsi valoriser nos déjections animales. Grâce à ces actions, je conserve mes ripisylves, mes prairies et je préserve la ressource en eau », confie-t-il. Céline Fricotté

(1) Formations végétales qui bordent les cours d’eau.

(2) Centre régional de la propriété forestière.