Depuis dix ans, les 80 laitières de la ferme du lycée agricole de Pixerécourt ne mangent que de l’herbe, ou presque. « Le système maïs-herbe-soja ne donnait pas de résultats économiques satisfaisants », explique Bertrand Cailly, le directeur de l’exploitation. Le rendement du maïs plafonnait à 8-10 t de MS/ha. La production par vache atteignait 9 500 l, mais c’était au prix de lourdes charges opérationnelles, qui engloutissaient une grande partie du revenu.
Le conseil d’administration a opté pour l’abandon du maïs et la valorisation de l’herbe. Aujourd’hui, les vaches produisent à peine plus de 5 000 l par an, mais les charges opérationnelles sont réduites. Les résultats économiques ont retrouvé un niveau convenable. La marge brute par vache laitière ou par ha de SFP est comparable à celle de notre groupe (voir ci-dessus).
S’adapter à la pousse
Bertrand Cailly et les salariés (1) ont bouleversé leurs techniques de travail. Ils ont appris à se servir efficacement d’un herbomètre. « Nous avons dû abandonner nos anciens réflexes, souligne le directeur de l’exploitation. Nous ne cherchons pas à produire plus, mais à tirer profit au maximum de l’herbe. » Les décisions sont prises quasi quotidiennement au printemps pour s’adapter à la météo. « Nous ne nous affolons pas lorsque le niveau du lait baisse dans le tank. L’augmentation de l’EBE au fur et à mesure de l’optimisation de la pâture nous a poussés constamment à parfaire notre gestion du pâturage », ajoute-t-il.
Dès le début, la ferme s’est donné les moyens de pâturer « confortablement ». L’ensemble du parcellaire a été redécoupé. Les chemins d’accès et les points d’abreuvement ont été stabilisés pour circuler (lire La France agricole du 26 mai, p. 45). Les paddocks les plus éloignés sont à 1,5 km maximum de la salle de traite. « Il nous faut 1 h au plus pour aller chercher le troupeau, explique Bertrand Cailly. C’est la limite de temps que nous nous étions fixée. En moyenne, nous passons 20 à 25 minutes pour ramener les vaches. » Pour le retour à la pâture, les animaux sont autonomes. Ils n’ont qu’une possibilité pour retrouver le paddock qui leur est attribué, grâce au système de clôture préparé à l’aller pendant que le chien les rassemble.
Les 50 ha sont divisés en 26 paddocks fixes de 1,2 à 2,5 ha. Ils sont redécoupés en fonction de la hauteur d’herbe, afin d’adapter l’offre à la demande pour 24 h, l’important étant d’offrir une herbe riche et feuillue (8 à 15 cm).
Il faut sans cesse s’adapter au temps de repousse. Ce printemps, il était de plus de 35 jours, alors qu’il avoisine souvent 21 jours. « Nous avons dû « transférer » certaines parcelles affectées aux stocks à celles du pâturage. » L’ensilage a été réalisé fin mai et les stocks sont d’ores et déjà suffisants pour l’hiver prochain, grâce à l’excédent de l’année dernière. « Avec l’herbe, il faut accepter de faire face à une production qui varie selon les années de + ou – 20 % », explique Bertrand Cailly.
Pour ne pas gaspiller et afin d’éviter les refus, la fauche de prépâturage ou « topping » a été mise en place ce printemps. Elle consiste à faucher un paddock avant la pâture des animaux. Cela se produit lorsque l’épiaison arrive trop vite. Cette fauche évite de « débrayer » un plus grand paddock. La récolte de cette surface réduirait trop le nombre de « jours d’avance ».
Les trois quarts des prairies sont temporaires et leur rendement sur l’année est d’environ 7 à 8 t de MS. Celles à dominantes fauche associent ray-grass hybride × trèfle violet, tandis que celles à dominante pâturage sont composées de ray-grass anglais diploïde et tétraploïde × fétuque élevée × fétuque des prés × dactyle × fléole × ray-grass hybride × trèfle blanc × trèfle violet. Cette diversité apporte de la souplesse d’exploitation. En fonction des années, la pousse cesse pendant quelques semaines au cours de l’été. Les animaux restent alors dans la stabulation pour ne pas abîmer le potentiel prairial. Ensilage, foin et concentrés complémentaires, en partie produits sur l’exploitation, sont distribués comme en hiver.
Vaches croisées
Le troupeau est lui aussi adapté à la valorisation de l’herbe. « Comme il n’existait pas de race spécifique, nous avons eu recours au croisement rotatif à cinq voies », indique Bertrand Cailly. Les prim’holsteins présentes initialement ont été croisées alternativement avec des taureaux montbéliards, jersiais, rouges suédois, puis normands taureau jersiais. Le but de ce croisement est d’améliorer les qualités fonctionnelles, les taux, et d’introduire le gène sans cornes. « Cette stratégie maintient un effet d’hétérosis fort pour avancer vite sur des caractères faiblement héritables », ajoute-t-il. Le but est d’obtenir de petites vaches (520 kg) qui « matraquent » moins les prairies, qui se déplacent facilement et qui peuvent faire face aux à-coups de la ration.
(1) Bernard Antoine présentait les résultats lors des journées de l’Association française pour la production fourragère, en mars, à Paris. Les autres salariés sont Blandine Dautruche et Alexancre Saridas.