Vincent et Sébastien Brehier parlent souvent d’une seule voix. D’abord, pour réaffirmer leur exigence majeure : pas de journée de travail à rallonge. Les deux frères veulent se rendre disponibles pour leurs enfants, matin et soir, et prendre trois semaines de vacances par an. Ensuite, pour veiller à la cohérence économique de leurs choix. L’organisation de l’élevage laitier découle de ces deux postulats. « Le système n’a presque pas évolué depuis quinze ans », sourient-ils. Mais tout est dans le « presque ». Car les éleveurs n’hésitent pas à bouger des leviers s’ils estiment y gagner. Mais avant de se décider, ils étudient soigneusement les conséquences en cascade d’un changement. Pour cela, ils s’appuient sur leurs conseillers et des simulations économiques, ainsi que l’expérience d’autres éleveurs. Ainsi, face à la demande de leur laiterie de livraisons régulières, les deux frères ont étudié, il y a quelques années, l’intérêt de vêlages répartis sur l’année. « Nos conseillers ont calculé un chiffre d’affaires lait de 3 000 € supplémentaires, du fait de la prime saisonnalité. » En face, une remise en cause de leur système, qui aurait coûté beaucoup plus cher. « Paradoxalement, cette somme, modeste, nous a confortés dans notre choix ! » En revanche, ils ont décidé de rajeunir l’âge au premier vêlage (voir encadré).
Taille du troupeau. « Nous avons fixé un maximum de 66 prim’holsteins, insiste Sébastien. C’est un équilibre entre le temps que nous acceptons de passer à traire, et la taille de la salle de traite, une 2 x 6 postes. Tout est fait en une heure et 10 minutes. Passer une série de vaches en plus ajouterait au moins 10 minutes de travail, matin et soir. Et l’autonomie alimentaire serait moins facile à tenir. »
Vêlages groupés. « Les vêlages se déroulent de mi-juillet à mi-janvier, résume Sébastien. Il n’y a aucune naissance avant, et aucune après. » Celles qui ne sont pas pleines en fin de période d’IA ne sont pas réformées, mais décalées au début de la période suivante, cinq mois plus tard. Elles effectuent une lactation longue. « Ce n’est pas gênant, car elles affichent une bonne persistance. Nous pouvons ainsi avoir une conduite intensive en début de lactation avec la ration hivernale, et plus extensive par la suite. » Quand arrive la saison de pâturage, la plupart des vaches sont au-delà du troisième mois de lactation, et déjà inséminées. Leur niveau de production ne décroche pas à la mise à l’herbe. « Quant aux vaches en fin de lactation, en été, on peut se permettre de les laisser dans les parcelles, même si l’herbe est rase », souligne Vincent.
Ce groupage possède d’autres avantages : constituer des lots homogènes de génisses ; assurer un vide sanitaire du logement des veaux ; élever les génisses au pâturage dès 6 mois ; aucun stade sensible (tarissement, vêlage ou début de lactation) à surveiller au moment des semis et des fauches. « Et nous sommes plus pointus dans le suivi quand le tarissement et les vêlages sont concentrés dans le temps, complète Vincent. Le fait d’arrêter, puis de reprendre, évite de tomber dans la routine. »
Dix mois de pâturage
Coût alimentaire contenu. Pointus, Vincent et Sébastien le sont aussi sur les charges. Ils surveillent chaque mois le coût alimentaire. « Nous travaillons beaucoup avec l’herbe, car c’est le moins cher des aliments. Les vaches pâturent dix mois de l’année grâce au parcellaire groupé. Nous avons fait des échanges de parcelles pour y parvenir, précise Vincent. L’ensilage (ray-grass anglais et hybride, trèfle blanc et violet) est fauché jeune. Nous ne récoltons que 2,5 t/ha, mais de bonne valeur alimentaire. » Ils apportent aussi un soin particulier au maïs : « Nous le sélectionnons sur les valeurs alimentaires, pas sur le rendement. »
La ration hivernale se compose de 12 kg d’ensilage de maïs, 6 kg d’ensilage d’herbe, 1,5 à 2 kg de colza, 150 à 200 g d’urée et 100 g de minéraux à l’auge, avec complémentation au Dac jusqu’à 3 kg de soja tanné et 2 kg de triticale aplati. Au pâturage, un fond de maïs est maintenu depuis 2014, pour éviter des vaches trop maigres au tarissement. Selon les prix du lait et des aliments, les éleveurs poussent un peu en concentrés ou pas, achètent des correcteurs moins chers, préférant le tourteau de colza au soja. Ils ont aussi réduit la quantité de minéral.
« Le gain sur le coût alimentaire a été de 12 €/1 000 l en deux ans », souligne Frédéric Tattevin, d’Élevage conseil Loire Anjou. Ils veillent aussi à ne pas dégrader les taux de matière utile du lait, qui affichent des valeurs supérieures à la moyenne. « Avec un TB à 44 g/kg et un TP à 35 g/kg, nous gagnons 35 €/1 000 l par rapport au prix à 38/32 », se félicite Vincent.
Sélection sur les taux. « Dans nos choix de reproducteurs, le TP est notre premier critère, suivi du TB, puis de la quantité de lait. Les mammites, les cellules, la reproduction ou les pattes ne sont pas une priorité. » Compte tenu de la conduite d’élevage, avec un bâtiment peu chargé et dix mois de pâturage par an, les conditions sanitaires sont bonnes.
Quelles évolutions les deux frères peuvent-ils explorer ? « Le contexte de prix actuel n’est pas motivant, admettent-ils. Néanmoins, la piste du bio est d’actualité. Nous n’en sommes pas très loin, quoiqu’un peu trop intensifs. »