À qui profite l’opacité sur les revenus par filière ? La question était soulevée par les membres l’association Mars (Mouvement agricole et rural solidaire), un think-tank de l’agriculture, réuni à Paris le 17 janvier 2017. Depuis 2015, Agreste, le service de la statistique du ministère, ne présente plus, au mois de décembre, les prévisions de résultats par production pour la campagne écoulée. D’un commun accord, l’Administration et la profession ont décidé d’arrêter les traitements des comptabilités du Rica par filière, et de se contenter d’un chiffre agrégé pour la branche agricole calculé par l’Insee.

 

Jusqu’en 2014, l’émotion à l’approche des résultats était vive, aussi bien chez les agriculteurs (« Combien gagne mon voisin ? ») que chez les citadins (« Combien gagnent-ils, eux qui manifestent ? »). À l’échelle individuelle, ces déballages indiscrets mettaient mal à l’aise. Mais à l’échelle nationale, ils permettaient de juger l’impact des politiques ou de les orienter. À l’échelle syndicale, ces éléments argumentaient les revendications ou les critiques.

Approche macroéconomique

En 2012, les mauvaises prévisions hivernales ont dépassé les bornes. La filière céréalière, « suspectée » d’un revenu de 72 100 € en décembre 2012, n’engrangeait finalement qu’un revenu de 56 700 €, a-t-on établi en décembre 2013. Trop tard, le mal était fait. Tollé général dans une filière dont la prospérité surestimée aurait justifié une redistribution des soutiens vers la filière animale. Du coup, pour éviter les futurs conflits entre filières et les erreurs de diagnostic (la volatilité des cours rend les prévisions très périlleuses), la décision a été prise de se cantonner à l’approche macroéconomique.

 

Le flou est-il préférable à l’imperfection ? Peut-être, comme avec la baisse de 7 points des cotisations de MSA décidée au début de 2016, qui a profité à toutes les productions et n’a pas été ciblée sur les filières les plus en difficulté.

 

Aujourd’hui, il n’est plus question de « revenu », mais de produits et de charges, en termes de volumes et de prix, d’après les informations collectées en juin et des pronostics des marchés. On obtient une création de valeur ajoutée en millions d’euros, et une évolution du résultat de la branche agricole par chef d’exploitation.

 

Pour 2016, l’Insee prévoit ce résultat en baisse de 26 % par rapport à 2015. Il faudra attendre un an, soit décembre 2017, pour avoir les revenus définitifs de 2016 par filière. Est-ce suffisant pour ajuster les politiques publiques ? Un expert du groupe Mars a eu envie de citer l’économiste Thomas Piketty : « L’absence de données statistiques bénéfie rarement aux plus défavorisés… »

 

Pourtant, rien n’a empêché l’Idele-Institut de l’élevage, par exemple, de publier des préestimations de revenus sur les filières du lait ou de la viande en 2016. Comme quoi, il est possible d’avoir des indicateurs rapides de situations de terrain. Si on le veut vraiment.