Vous étudiez la cryosphère : pouvez-vous la définir ?
La cryosphère correspond à tout ce qui est fait de glace sur Terre : les glaciers de montagne, la banquise de l’Arctique, le Groenland, l’Antarctique et le permafrost (1) en font partie. Son rôle est primordial, à commencer par les glaciers de montagne : eau potable, tourisme, agriculture, hydroélectricité, nucléaire… 2 milliards de personnes dans le monde dépendent de ces châteaux d’eau de façon saisonnière. La banquise a de son côté un rôle de régulateur du climat : grâce à sa surface blanche, elle renvoie le rayonnement solaire, ce qui permet à l’Arctique de rester froid. Le permafrost, quant à lui, n’a pas un usage direct pour l’humanité mais est vital pour notre climat.
Comment est-elle impactée par le changement climatique ?
Le plus visuel est le recul des glaciers, auquel s’ajoute la fonte de la banquise, du Groenland et de l’Antarctique, nos deux calottes polaires. D’ici à 2100, les scientifiques tablent sur une montée du niveau des mers de 40 cm à 1 mètre, mais il est probable que ces glaciers géants réagissent plus rapidement. Pour donner un ordre de grandeur, le Groenland contient assez de glace pour élever le niveau des mers de 6 à 7 mètres et l’Antarctique de 58 mètres.
Plus vicieux encore est la réaction du permafrost : son dégel rend sa matière organique disponible pour les micro-organismes, qui en la consommant libèrent du CO2 ou du méthane. Ces émissions de gaz à effet de serre s’ajoutent donc à celles des activités humaines. Aujourd’hui, le permafrost émet autant que le Japon et si on franchit une hausse de 1,5 degré, il émettra autant que l’Inde.
Quelles sont les conséquences pour l’agriculture ?
Le réchauffement de l’Arctique entraîne un ralentissement des vents. Cela a pour conséquence la multiplication d’évènements climatiques extrêmes, qui peuvent rester « bloqués » à un endroit pendant des jours, voire des semaines. À cela pourrait s’ajouter l’impact, tout aussi extrême, du ralentissement des courants océaniques.
La montée du niveau des mers va entraîner la perte de terres agricoles. À l’inverse, de nouvelles surfaces pourraient devenir disponibles avec le dégel progressif du permafrost. C’est un point de vigilance à avoir car ces terres aujourd’hui non exploitées sont des puits de carbone. Pour les autres écosystèmes, il existe des points de bascule : par exemple, à +1,5 degré, on risque de déclencher l’effondrement du Groenland, même si cela prendra certainement plusieurs siècles.
Selon vous, quelles sont les solutions à mettre en place ?
Tout d’abord, il faut être clair : les objectifs politiques ne sont pas à la hauteur de la science du climat. Pour la cryosphère, dépasser une hausse de 1,5 degré, c’est déjà trop. Malheureusement, nous courons tout droit vers la pulvérisation de ce chiffre. Cela veut donc dire que d’un côté, il va falloir continuer de travailler sans relâche sur la réduction des émissions et d’un autre côté, s’adapter à des changements majeurs qui vont certainement très vite arriver.
J’aime à reprendre une citation de Robert Swan, un explorateur des pôles : « La plus grande menace pour notre planète est la croyance que quelqu’un d’autre va la sauver. » En effet, il faut dépasser ce symbole du « triangle de l’inaction » : citoyens, entreprises et politiques doivent davantage se parler et agir collectivement. Un autre point clé est l’éducation : nous, scientifiques, avons une part de responsabilité à prendre, en rendant notre science plus concrète et accessible et en démultipliant les moments de rencontre. Nous avons besoin de bien plus d’humanité et de bienveillance face au défi qui nous attend.
(1) Formé par l’accumulation de matières organiques depuis des centaines de milliers d’années, le permafrost recouvre 23 % de l’hémisphère Nord.