La prairie se déroule dans l’immensité d’un paysage époustouflant, rendu féerique par la lumière douce du matin. L’herbe touffue et serrée, haute comme du blé mûr, a la couleur du sable chaud. Au loin, la montagne se dresse comme une frontière.

Un immense paysage époustouflant

À Sonoita, tout ne semble que désert et décor de western. « Revenez en novembre, les pluies seront tombées et ce sera vert comme en Irlande », s’amuse Ian Tomlinson, 47 ans, coiffé d’un chapeau texan. On peine à le croire, étourdi par l’exotisme de la situation tandis qu’un troupeau d’antilopes sauvages s’échappe sur le sommet d’une colline !

Un rêve de gamin

Le Mexique n’est qu’à 20 km vers le sud et Phoenix, la capitale de l’État d’Arizona, dont le cactus est l’emblème, est à 280 km vers le nord. « Il me faut bien trois jours pour faire le tour de mon domaine », explique l’éleveur dont les prairies s’étendent sur presque 90 000 ha. Ian n’est pas fils mais petit-fils d’éleveur. Son père vit dans le centre de Seattle, l’une des villes les plus libérales d’Amérique où il a grandi.

 

Ces allaitantes sont des black angus. L’éleveur les croise avec un charolais ou un hereford pour la conformation du futur bovin. © Jean-Paul Frétillet
Ces allaitantes sont des black angus. L’éleveur les croise avec un charolais ou un hereford pour la conformation du futur bovin. © Jean-Paul Frétillet

« J’ai fait des études de droit pour faire plaisir à mes parents, mais mon rêve a toujours été de m’installer ici, sur la ferme de mes grands-parents. Depuis 2000, j’y élève des bovins pour la viande, de la même manière qu’ils le faisaient. » À l’arrière du véhicule tout-terrain, Dakota et Tucker, les deux chiens bergers sont assis, sages et prêts à bondir. Ian empoigne sa paire de jumelles et scrute le paysage à la recherche de ses vaches. Le regard s’arrête. Il avise quatre coyotes en embuscade au loin. « Ils s’attaquent aux petits et les mères ne sont pas toujours vaillantes à les défendre. » Les 3 000 vaches allaitantes du troupeau vivent presque en liberté même si elles sont contenues par les clôtures en fils barbelés qui ceinturent les prairies naturelles. « Elles vivent toute l’année dehors et mettent bas seules », indique l’éleveur en désignant un nouveau-né, encore chancelant. Un crâne de bovin adulte gît sur le sol. Quand une vache ou un veau meurt, le cadavre est abandonné aux charognards. « Autrefois, une vingtaine de fermiers vivaient à Sonoita de l’élevage bovin. Nous sommes moins de dix aujourd’hui. Et si 300 bêtes suffisaient à l’époque pour vivre, il en faut au moins 700 maintenant. »

À l’un des points d’eau, repérable au loin par l’une de ces pompes à éolienne, un groupe d’animaux s’abreuve. Mères et veaux font étalage des différences de couleur de leur robe, au gré des croisements étudiés (charolais, black angus et hereford). Un taureau charolais, tout en muscles, s’approche. Si la race pure n’est pas la règle, la monte naturelle est une tradition. Deux cents de ces mâles massifs s’occupent des femelles de février à novembre, pour les premières naissances en mai, après l’hiver, parfois rude dans le sud de l’Arizona.

 

Au sein de la ferme, chaque cowboy possède sept chevaux, autant que de jours de la semaine, afin de parcourir les 90 000 hectares de prairies. © Jean-Paul Frétillet
Au sein de la ferme, chaque cowboy possède sept chevaux, autant que de jours de la semaine, afin de parcourir les 90 000 hectares de prairies. © Jean-Paul Frétillet

Veaux mâles et femelles, indifféremment, grandissent, d’abord au pis de leur mère, puis en paissant l’herbe des prairies. À cette saison, en février, elle est comme du foin sur pied, déshydratée par presque cinq mois de sécheresse. La diversité des espèces est grande, dominée par le blue grama, une graminée endémique de l’Ouest américain. « Les bovins sont arrivés avec les colons espagnols par le Mexique, souligne Ian. C’est finalement assez récent dans l’histoire de notre pays. La prairie n’a pas ou presque changé depuis cette époque. Nous ne faisons jamais aucun traitement, ni apport d’engrais. C’est sauvage. »

Pas d’hormone

Vers l’âge de dix mois, les jeunes bovins rejoignent la ferme où ils sont parqués dans des stabulations et engraissés à l’auge. Ils sont nourris de maïs, de mélasse et de foin. Passant de 350 à 750 kg, les animaux s’arrondissent et les muscles se chargent d’un beau gras persillé. Chaque matin, au réveil, Ian, à cheval, aidé de ses cow-boys, inspecte le troupeau et repère les bêtes qui méritent un soin particulier. « On a recours aux antibiotiques s’il le faut, mais je m’interdis les hormones car les consommateurs n’en veulent pas », assure l’éleveur. Un camion au nez spectaculaire, comme tout aux États-Unis, est en cours de chargement. Un concert de beuglements l’accompagne. Les animaux partent pour l’abattoir.

Jean-Paul Frétillet