Dans la cour arborée où quelques oies et poules déambulent, un ouvrier creuse une tranchée. « Nous avons raté des réservations pendant les confinements, car notre connexion internet était trop lente pour le télétravail. Alors, nous passons la fibre », lance Frédéric Gagnot. Installé à Tournon-Saint-Martin, dans l’Indre, à la croisée du Berry, du Poitou et de la Touraine, il propose deux gîtes : un de six personnes pour les familles, et un de douze personnes, avec un dortoir pour les groupes. Les deux sont complets pour juillet et août. « Depuis début juin, nous avons beaucoup de demandes, y compris pour des week-ends ou de courts séjours. On sent le regain d’intérêt pour la campagne. Mais jusqu’à quand ? Est-ce que cela va retomber comme un soufflet après la Covid ? » À quarante-six ans, Frédéric relativise. En tant qu’éleveur bovin à plus de 50 % en vente directe, il a traversé la crise de la vache folle, celle des lasagnes à la viande de cheval… Il sait que la vente et le tourisme à la ferme connaissent des fluctuations en fonction de l’actualité.

Un « accueil paysan »
Ses parents ont restauré les gîtes attenant à la ferme dans les années 1990. Frédéric a conservé cette activité quand il s’est installé en 1997. Il a simplement troqué Gîte de France pour Accueil paysan : « Nous avons une clientèle familiale plutôt citadine, qui vient découvrir les étangs de la Brenne, mais surtout la campagne. Chacun veut son tour de tracteur. Ça tombe bien, j’ai un deuxième siège avec ceinture de sécurité ! »
Sensible à la dimension sociale, posé, Frédéric aime parler de son métier. À 360 euros la semaine pour le gîte familial et à 12 euros par personne la nuit en dortoir, les prix sont attractifs.
Cette activité génère près de 8 000 euros de chiffre d’affaires à Frédéric et à sa conjointe, qui travaille à l’extérieur tout en lui donnant un coup de main pour les hébergements. Il emploie une femme de ménage quatre heures par semaine. Il pourrait louer les logements davantage, mais ne le souhaite pas. « Avec un atelier de découpe à la ferme, les semaines de vente de viande sont déjà bien remplies, confie-t-il. Nous fermons en janvier et février et nous ne répondons pas à toutes les demandes de dernière minute, comme Airbnb. Comme le téléphone n’arrêtait pas de sonner, nous avons installé un système de réservation en ligne sur notre site, fourni par le comité départemental du tourisme de l’Indre. Ainsi, nous avons trouvé notre équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. »

Au sein de son élevage de vingt-cinq mères limousines et cinquante brebis, Frédéric applique les mêmes préceptes, en s’accordant deux fois une semaine de vacances et quelques week-ends par an grâce au service de remplacement.
Une gestion maîtrisée
Sans emprunt bancaire, l’éleveur ne cherche pas à augmenter le volume de production. Il emploie la méthode André Pochon pour la gestion de l’herbe (lire l’encadré), avec un pâturage tournant. Pour lui, le fourrage n’est pas un problème : « Je ne me pose pas la question du stock de foin. Je fauche ce que les vaches n’arrivent pas à pâturer. Si je n’ai pas assez de foin, c’est que j’ai trop d’animaux ! C’est pour cela qu’à l’entrée de l’hiver 2019, j’ai vendu cinq vaches sur trente. Si l’on réinvestit après, ce n’est pas un stress de décapitaliser. » Et lorsqu’en 2020, il n’y avait plus de paille, le foin a servi de litière dans la stabulation. Grâce à son séchoir en grange de 120 tonnes et à sa fabrique d’aliments, Frédéric n’achète pas de céréales, il est autonome en alimentation animale. En hiver, il distribue du méteil et du maïs aux plus jeunes bovins et ceux à l’engraissement.
Pour suivre attentivement la trajectoire de son exploitation, l’éleveur a passé un certificat spécialisé « Agent comptable » (droit, fiscalité et comptabilité) pendant six mois en formation adulte à Périgueux, après son BTS production animale. Depuis, il échange régulièrement avec d’autres collègues lors de diagnostics d’exploitation, organisés par Adeari (1). Il essaie d’en réaliser un tous les cinq ans. « Que ce soit entre collègues ou avec les touristes, les échanges sont toujours enrichissants. Recevoir les autres, c’est une façon de voyager », conclut Frédéric.
Aude Richard
(1) Association départementale pour le développement de l’emploi agricole et rural de l’Indre.