Au départ, il y a deux voisins. Pas deux amis mais presque. Le Maroc a toujours été un partenaire un peu particulier pour l’Union européenne (UE). Le pays a officiellement demandé son adhésion à la Communauté économique européenne (CEE) en 1984. Cela lui a été refusé en 1987, mais tout de même. Régulièrement, les deux parties signent des accords commerciaux et d’association. Le dernier a été conclu en 2012. Un accord assez banal libérant les échanges et supprimant les droits de douane sur les produits agricoles.
Tout semblait rouler lorsque, surprise, le tribunal européen est saisi par le front Polisario qui revendique l’indépendance du Sahara occidental, déclamant l’occupation marocaine, la violation du droit international, etc. Tous les arguments sont rejetés. Tous sauf un. Pour le requérant, « les exploitations agricoles seraient contrôlées par des personnes étrangères non indigènes, seraient exclusivement orientées vers l’exportation et reposeraient sur l’extraction d’eau issue de bassins non renouvelables situés en profondeur ». Le tribunal relève que le Conseil (les États de l’UE) ne dément pas ces informations et ne s’est « pas penché sur la question de savoir si l’exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental se faisait au profit de la population du territoire ». Le tribunal européen considère que le Conseil a manqué à son obligation d’analyse et annule l’application de l’accord.
La décision du juge est prise en décembre 2015. Le Maroc, furieux, suspend aussitôt ses contacts avec l’UE. En février 2016, le Conseil, gêné, fait appel du jugement. Un appel qui montre les premières fissures au sein de l’UE car l’Espagne et l’Italie, jusque-là silencieuses mais inquiètes de la concurrence sans limite des tomates marocaines, demandent d’activer la clause de sauvegarde qui permet de limiter les volumes importés sans droits de douane.
L’accord agricole se transforme en fiasco diplomatique. En mars, la Haute représentante de l’UE chargée des relations extérieures se rend à Rabat pour recoller les morceaux. La tomate est un prétexte. Derrière, il y a la haute politique avec les intérêts d’État. Le Maroc est un pays clé pour la question migratoire et la lutte contre le terrorisme islamique. Pour Rabat, l’UE a été généreuse. 500 millions d’aide sont en jeu, distribués tous azimuts, dont 5 millions pour l’amélioration du système carcéral marocain !
La décision du juge européen arrive comme un chien dans un jeu de quilles et fait beaucoup de casse. Et ce n’est pas fini. La presse française ne s’est intéressée qu’à l’aspect diplomatique. Mais les questions agricoles ont été mentionnées. Le juge a aussi sanctionné le fait que les accords bénéficiaient aux exploitations « exclusivement orientées vers l’exportation » et utilisant des ressources en eau issues des nappes phréatiques. Si la décision du juge était confirmée, cela ouvrirait un boulevard à d’autres contentieux.