Après un mois de janvier doux et pluvieux, une vague de froid s’est abattue sur la France. Si la décrue est amorcée sur tout le territoire, avec toutefois des débordements localisés, elle devrait être lente. Tour d’horizon des dégâts agricoles.

Des semis pénalisés

En Champagne-Ardenne. Alexandre Thieblemont, agriculteur à Sainte-Maure, au nord de Troyes (Aube), dans la vallée de la Seine et du Melda, témoigne : « 35 hectares de mes 165 hectares de SAU sont inondés, dont 16 de prairies, 10 d’escourgeon et 9 prévus en orge de printemps. Même si je n’ai pas d’élevage, ces surfaces sont en herbe car elles sont régulièrement inondées. » C’est l’ouverture du Melda pour délester la Seine qui a inondé cette vallée.

Mathias Benoist est agriculteur à Bagneux, dans le sud-ouest de la Marne, dans la vallée de l’Aube. Sur ses 145 ha de SAU, 17 ha emblavés en blé, escourgeon, colza et pois d’hiver sont sous l’eau, ainsi que 40 ha destinés au semis de printemps. « Le colza, le pois et l’escourgeon ne s’en sortiront pas, prédit-il. Le blé est plus résistant. Mais comme les remontées de nappes phréatiques s’ajoutent à la pluviométrie, la culture restera trop longtemps sous l’eau. Et il faudra du temps pour que les terres sèchent et soient à nouveau cultivables. Je devrais remplacer l’orge de printemps par du maïs. Autrement dit, acheter des semences de maïs, plutôt que d’utiliser mes semences fermières d’orge. L’assurance devrait indemniser les frais de ressemis. » Les deux agriculteurs s’inquiètent de la gestion des deux lacs réservoirs dits « Aube et Seine ». Ceux-ci sont saturés et l’eau sera relarguée dans l’Aube et la Seine. « Combien de temps nos terres vont-elles encore être inondées ? s’inquiète Alexandre Thieblemont. Si cela dure des semaines, les semis de printemps vont être pénalisés. La qualité du foin peut aussi être altérée. »

« Dans les bassins de la Marne, de l’Yonne, de l’Aube, il y a d’importantes surfaces à présent sous l’eau et qui ne sont pas ouvertes par un Papi (programme d’action de prévention des inondations), estime Joël Hospital, président de la FDSEA de l’Aube. Rien que dans l’Aube, 10 000 à 15 000 ha sont concernés sur 350 000 ha. Si la protection en amont des villes est légitime, il faut que les terres volontairement inondées fassent l’objet d’une indemnisation pour services rendus. En commission mixte inondation, le rôle préventif de l’agriculture est reconnu, mais dès qu’on parle d’argent, tout le monde regarde ailleurs ! »

Protéger la métropole locale

En Normandie. Ce sont certainement plusieurs milliers d’hectares qui ont été détruits par les crues de la Seine et de l’Epte. Les grandes marées de fin janvier et début février, de même que l’affluence du débit très élevé de l’Oise dans la Seine, ont accentué le phénomène de crue parfois au-delà du niveau du printemps de 2016. Les territoires les plus sévèrement touchés du point de vue agricole sont ceux situés sur l’axe de la Seine entre Mantes-la-Jolie et Rouen, dans l’Eure et la Seine-Maritime. Ce sont surtout des cultures de maraîchage et des grandes cultures qui sont affectées et encore sous les eaux.

La décrue sera lente et pourrait durer jusqu’à fin février. « Je suis étonné de la durée pendant laquelle la Seine a montré des niveaux aussi élevés », commente Pascal Crevel. Cet agriculteur de bordure de Seine, en aval de Rouen, a eu peu de dégâts grâce à un système de drainage efficace et une double butte de protection. D’autres n’ont pas eu cette chance, notamment en amont de Rouen où les ouvrages hydrauliques sont prévus pour protéger la métropole locale.

Répétition des dégâts

Les organisations syndicales rapportent des cas d’exploitations ayant à déplorer la destruction de plus de 100 ha de cultures d’hiver. Ce sont souvent les mêmes qui ont subi les crues de printemps de 2016. La FDSEA de l’Eure étudie les moyens pour permettre la meilleure compensation possible. Une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est sur les rails.

Arnold Puech d’Alissac, président de la FDSEA de Seine-Maritime, déplore qu’il n’existe pas de dispositif efficace pour indemniser les agriculteurs à la juste mesure de leur préjudice : « Nous rendons un service bon marché à la société et nous le ferons de plus en plus souvent avec le dérèglement climatique. Les pouvoirs publics doivent le reconnaître. » Il demande aussi la clémence en faveur des agriculteurs dont les champs ont été « mités » de mares et pour lesquels il serait trop coûteux de ressemer comme l’exige pourtant la conditionnalité de la Pac.

En Rhône-Alpes. Le 23 janvier, pour protéger la grande agglomération de Lyon, une partie de la plaine du Bouchage, en Isère, a été inondée volontairement au niveau de la vanne de Brangues. « Les arbres fruitiers se sont retrouvés à certains endroits avec plus de 1,50 m d’eau, explique Philippe Fiard, arboriculteur au Bouchage. En période de repos végétatif, les vergers n’ont pas été endommagés. En revanche, les parcelles de grandes cultures, restées sous l’eau pendant trois ou quatre jours, risquent d’être impactées. » Aucune convention, ni indemnisation ne sont prévues pour remédier à ce genre d’événement. Mais l’arboriculteur ne souhaite pas être alarmiste : « Avec la digue mise en place en 1985, nous sommes protégés des petites inondations annuelles. En contrepartie, nous savons que nous sommes le déversoir de Lyon en cas de grande crue. » Dans ce secteur, la vigilance reste de mise, car il a beaucoup neigé en montagne.

Sur les inondations, lire aussi les conseils techniques, p. 27.