« Je me suis fait avoir et je culpabilise d’avoir entraîné d’autres copains dans cette affaire. J’en dors mal la nuit. Heureusement, ma famille me soutient, car c’est difficile à vivre, tant d’un point de vue économique que psychologique. » Michel, 54 ans (1), agriculteur dans le Cher, a vendu 90 % de sa récolte de 2015 au négociant Van Hulle. Or, depuis le 19 juillet, l’organisme stockeur de la Seine-Maritime est placé en redressement judiciaire.
L’hiver dernier, les cours des céréales sont au plus bas. Quand un commercial propose des prix de 20 à 30 €/t supérieurs à ceux pratiqués par la coopérative du secteur, Michel saute sur l’occasion. « Avec des amis, j’ai vérifié à la Banque de France et sur internet que l’entreprise allait bien. » Les premiers acomptes sont payés en janvier et février, la marchandise est retirée en temps et en heure. Mais en mai, le chèque du solde revient sans provision. Michel venait de signer la vente de 300 tonnes de colza. Aujourd’hui, Van Hulle lui doit 150 000 €.
Créance de transport
Michel n’est pas le seul à avoir perdu une partie de sa récolte. Quelque 250 agriculteurs de l’Indre, du Cher, de l’Oise, de la Somme et de la Seine-Maritime ont déclaré une créance à Van Hulle, sous la forme d’une action collective menée par la FNSEA. Le montant total dépasse les 4,7 millions d’euros. Toute la filière est touchée : des fournisseurs, des négociants et des transporteurs.
Philippe (1) faisait ainsi, tous les jours, les allers et retours entre l’Indre et Rouen. « Je venais d’embaucher un chauffeur. Van Hulle me doit 27 000 €. J’ai dû vendre du matériel et emprunter à des amis pour pouvoir vivre. » En tant que transporteur, Philippe a des chances d’être payé. En effet, la loi Gayssot autorise les routiers à se retourner contre les agriculteurs si le donneur d’ordre n’est pas solvable.
Une créance prévisionnelle de 200 000 €
La facture pourrait donc s’alourdir pour les producteurs, comme l’explique Éric de Laguerenne, juriste à la FDSEA du Cher. « Nous avons déclaré des créances prévisionnelles pour près de 200 000 € dans le département. Mais un transporteur a déjà réclamé 30 000 € à un agriculteur. Avec la FNSEA, nous faisons tout pour que la loi Gayssot ne s’applique pas. »
Daniel Van Hulle, cogérant du négoce avec son fils, a répondu brièvement à nos questions. « Sur les 4 M€ que l’on nous devait, nous avons récupéré un million. Nous nous battons chaque jour pour sauver notre activité et pouvoir payer nos créances. » Une audience du tribunal de commerce de Dieppe doit avoir lieu le 25 novembre. Le juge décidera : soit de proroger l’activité, soit d’accepter le plan de redressement proposé par Van Hulle, soit de liquider l’entreprise.
(1) les prénoms ont été changés.