« Nous ne savons pas ce que nous allons devenir. » À Sault (Vaucluse) où il cultive 200 ha de lavande et de lavandin, Jérôme Boenle a vécu une situation catastrophique cet été. À quinze jours de la récolte, la chenille noctuelle a dévoré près de 50 % de sa production de fleur bleue, majoritaire sur son exploitation de 240 ha. Avec une production quasi divisée de moitié, il s’attend à une baisse équivalente de son chiffre d’affaires.

« C’est le plateau d’Albion qui a subi le plus de dégâts, précise Alain Aubanel, président du comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (CIHEF), et lui-même lavandiculteur à Chamaloc (Drôme). Nous estimons à 50 % la perte de récolte sur ce secteur. En cinq jours à peine, les chenilles ont dévoré les plantes. Il était trop tard pour traiter. Nous avons essayé de sauver ce qui pouvait l’être en ramassant jour et nuit. »

Pour venir en aide aux producteurs de lavande, une enveloppe de dix millions d’euros a été annoncée cet été par le ministère de l’Agriculture. Sur ce montant, 9 millions doivent compenser les pertes économiques subies par les producteurs en 2022. Mais, pour des critères comptables, toutes ne rentrent pas dans les clous. L’interprofession tente de régler le problème avec les services de l’État en Région.

Zone de production historique

Situé sur trois départements, le Vaucluse, la Drôme et les Alpes-de-Haute-Provence, le plateau d'Albion correspond, avec celui de Valensole, à la zone de production historique de la lavande. « Nous sommes en zone sèche sans accès à l’eau, observe Jérôme Boenle. Ici, la lavande pousse naturellement. » Avec la sécheresse qui rogne les rendements, la noctuelle, c’est l'incident de trop pour ces lavandiculteurs. Les cours de lavande ont en effet été divisés par trois au cours des trois dernières années.

À 13-15 €/kg, le prix de la grosso, la principale variété de lavandin du coin, a chuté largement en dessous des coûts de production. « Jusque-là, il s’agissait d’une culture rémunératrice, souligne Alain Aubanel. Les producteurs alpins ont donc développé les plantations. » Mais, ils n’ont pas été les seuls. D’Aix-en-Provence à Montélimar, les champs sont devenus bleus et ces secteurs ont des rendements bien supérieurs.

La fleur a également essaimé dans le Val de Loire et dans la Beauce. Les plantations ont aussi explosé en Bulgarie, en Espagne, en Grèce… L’offre a augmenté, mais pas la demande. « Avec l’inflation, le marché de l’aromathérapie s’est effondré, relate Alain Aubanel. Quant au principal débouché du lavandin, l’industrie des lessives et détergents, il est lui aussi en baisse. » Malgré le peu de production cette année, les clients seront livrés car il y a des stocks des récoltes précédentes dans les distilleries.