«Sur la réduction des émissions d’ammoniac, on ne va pas inventer l’eau chaude, les leviers d’action sont connus », affirme Sophie Agasse, responsable des dossiers impacts environnementaux à l’APCA. L’ensemble du cycle de l’azote est concerné. En élevage, ce sont principalement les bâtiments et l’épandage des effluents qui peuvent faire l’objet d’amélioration. En ce qui concerne les productions végétales, le nerf de la guerre est la fertilisation minérale.
Un des moyens de limiter la volatilisation ammoniacale est le choix de la forme de l’engrais azoté. En effet, celles-ci ne sont pas toutes soumises à la volatilisation dans les mêmes proportions. Ainsi, 20 % de l’urée est potentiellement perdue par volatilisation, contre 3 % pour l’ammonitrate. Ce taux est de 10 % pour la solution azotée, qui se présente sous forme d’un mélange d’urée, d’ammonium et de nitrate (source : chambres d’agriculture).
La formulation de l’engrais peut également jouer un rôle important. « Sur nos essais en sol calcaire, l’ajout d’un inhibiteur d’uréase à un engrais uréique a permis de réduire la volatilisation ammoniacale de 86 % », indique Grégory Vericel, d’Arvalis. « En sols non calcaires, les pertes sont plus faibles mais l’efficacité des inhibiteurs est tout de même similaire. » Les études qui ont été menées par l’institut sur blé et maïs ont montré l’intérêt des inhibiteurs d’uréase, tant au niveau de la diminution de la volatilisation que des gains de rendement, ou de la rentabilité économique (lire La France agricole n° 3733, p. 30). Ce levier est de plus en plus mobilisé : « Il y a une très forte augmentation des ventes d’engrais azotés sous forme uréique additionnés d’inhibiteurs d’uréase », indique Sophie Agasse.
L’enfouissement rapide de l’urée ou le positionnement de l’apport juste avant une pluie (15 mm) permet également de limiter la volatilisation. Autre levier : l’introduction de légumineuses dans la rotation, qui réduisent les besoins des cultures en azote minéral.
Moins 13 % des émissions d’ici à 2030
La volonté de diminuer les émissions d’ammoniac prend de l’importance auprès des pouvoirs publics. Les pics de pollution aux particules fines observés ces dernières années sur la période février-avril n’y sont probablement pas étrangers (lire l’encadré ci-contre). Le 10 mai 2017, la France a lancé son Plan de réduction des polluants atmosphériques (Prépa), déclinaison française de la directive européenne sur la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (2008/50/CE). Le Prépa fixe des objectifs chiffrés de diminution des émissions de cinq polluants (SO2, NOx, COVNM, NH3 et PM2,5) concernant tous les secteurs. Ainsi, celles de NH3 devront être réduites de 4 % d’ici la période 2020-2025 par rapport au niveau de 2005, et de 13 % à partir de 2030 (voir l’infographie p. 46).
Au vu de sa participation aux émissions, l’agriculture est directement concernée par ces objectifs, notamment vis-à-vis des pratiques culturales. La mesure « réduire la volatilisation de l’ammoniac lié à l’épandage de matières fertilisantes » est clairement énoncée dans la partie concernant le secteur agricole.
Un code de bonnespratiques en rédaction
Pour mener à bien cette ambition, le Prépa prévoyait de mener une étude sur la taxation ou la modulation de la fiscalité des engrais azotés en fonction du potentiel de volatilisation. « Elle n’a pas encore été lancée, car elle découlera du code de bonnes pratiques en cours de rédaction », indique Sophie Agasse. La publication de ce dernier était également citée dans les modalités du Prépa.
« Le Ministère en charge de l’environnement a mandaté l’Ademe pour sa rédaction. Celui-ci devrait être présenté au printemps prochain à la Commission européenne, et être utilisable à la mi-2019 », signale-t-elle. Les travaux de rédaction ont commencé cet été. Ils sont actuellement en phase de relecture auprès des différents acteurs impliqués, dont l’APCA, qui fait partie du comité de pilotage.
« L’objectif pour l’APCA est d’obtenir un outil fonctionnel et pragmatique, à destination des conseillers et des agriculteurs », explique Sophie Agasse. L’organisme insiste sur la nécessité de faire apparaître dans ce code les enjeux économiques de la mise en place de leviers d’actions par le monde agricole pour améliorer la qualité de l’air. « Il est également nécessaire d’avoir une vision transversale des diverses attentes environnementales : enjeux eau, air, énergie… », estime-t-elle. Améliorer la qualité de l’air en optimisant la fertilisation azotée permet également de lutter contre le réchauffement climatique en diminuant les émissions de N2O. Ce dioxyde d’azote est un gaz à effet de serre 298 fois plus puissant que le CO2. Mais les effets peuvent aussi être antagonistes : l’enfouissement des engrais nécessite le passage supplémentaire de matériels, impliquant l’utilisation de carburant.
Attente surLes inhibiteurs d’uréase
L’Anses a été saisie par les Ministères chargés de l’agriculture et de l’environnement, et doit rendre un avis sur la question des inhibiteurs d’uréase. « C’est un vrai sujet en suspens », estime Sophie Agasse. Alors qu’ils ont été rendus obligatoires en Allemagne et qu’ils figurent dans le code des bonnes pratiques néerlandais, ils ne figurent actuellement pas dans celui de la France. Vis-à-vis de cette question, l’Acta est très en attente : « Il en va du devenir des pratiques et des produits », estime Sophie Agasse.
Au-delà des évolutions à l’échelle nationale, des initiatives plus locales voient le jour. « Il y a des moyens d’agir pour améliorer la qualité de l’air, mais ils sont encore peu abordés auprès des agriculteurs », déclare Laëtitia Prévost, chargée d’étude qualité de l’air et climat à la chambre régionale d’agriculture du Grand-Est (Crage). Sur la période janvier 2017- juin 2018, la Crage a mené un programme de sensibilisation des agriculteurs, futurs agriculteurs et conseillers sur le sujet de la qualité de l’air, plus particulièrement centré sur le volet particules fines et ammoniac. Le programme Prosp’air a regroupé divers partenaires : Crage, chambre départementale d’agriculture de Meurthe-et-Moselle, Atmo Grand-Est, le syndicat mixte du Schéma de cohérence territorial du sud de la Meurthe-et-Moselle (Scot sud 54) et l’Inra.
Des leviersdéjà mis en œuvre
Des enquêtes ont également été réalisées pour évaluer les pratiques déjà mises en œuvre par les agriculteurs. « Sur le territoire du Scot sud 54, le bilan était plutôt positif. Par exemple, l’azote est principalement apporté sous forme de solution azotée, et l’incorporation de légumineuses dans la rotation est également répandue », illustre Laëtitia Prévost. Les principaux freins à la mise en place de leviers d’action sont économiques et relatifs au temps de travail. « Les agriculteurs se sentent concernés par la thématique et sont en demande d’informations sur le sujet », poursuit-elle.
Le projet Prosp’air a mené à la création d’un simulateur. Encore en phase de développement, il permettra, à terme, d’évaluer les différents pôles d’émission azotée d’une exploitation (culture et élevage), et d’aider à identifier les marges de manœuvre. « Toujours avec une considération économique », précise Laëtitia Prévost. L’outil a été paramétré sur les types d’exploitations présentes sur le territoire test. reste à l’adapter à d’autres. Le projet est bien reçu : « des agriculteurs sont déjà intéressés pour la phase de test de l’outil sur leur ferme. »