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« Avant moi, mon beau-père faisait déjà lui-même ses payes. C’était quand même une autre époque : il mettait le brut et le net, et c’était terminé, s’amuse Martine Lefoulon. Il appliquait juste un pourcentage. » À 63 ans, la Normande assure, à son tour, la gestion des payes sur l’exploitation familiale : « Quand je suis arrivée en 1991 sur la ferme, je lui ai expliqué que ça n’était pas possible, qu’il devait notamment tenir compte des charges à ajouter. »

« À l’époque, se rappelle son époux, Philippe Lefoulon, vous embauchiez un gars en lui disant : “Tu vas toucher tant en net, et tu seras nourri et logé.” Ça marchait comme ça. » Le brut était défini ensuite.

Philippe, Guillaume et Martine Lefoulon travaillent ensemble sur l’exploitation familiale d’Evrecy. © R. Aries/GFA

Toujours au moins un salarié

« À mes débuts sur la ferme, en 1991, j’ai donc commencé par revoir toutes les feuilles de paye, reprend Martine. J’arrivais au même montant net que mon beau-père, mais avec pas mal de lignes en plus. »

Les époux Lefoulon gèrent deux EARL situées sur la commune d’Évrecy, dans le Calvados. À la tête de 580 animaux dont 170 vaches allaitantes, ils disposent de 250 ha de terres dont 121 en herbe. En trente ans, ils ont de manière régulière travaillé avec au moins un salarié sur la ferme dont le dernier en date n’est autre que Guillaume, leur fils âgé de 29 ans qui prévoit de s’installer à terme. Au sein du trio, Martine se charge donc de tout l’administratif, dont la paie. Mais « pas de la Pac ! », souligne Philippe, qui assure cette partie en appui avec son comptable.

Avant de devenir exploitante agricole, Martine a travaillé pendant quinze ans en dehors de la ferme, « la plupart du temps au service de paye des entreprises. J’ai notamment été engagée par une société d’une trentaine de salariés pour faire les payes. J’ai commencé le travail à 16 ans. Avec un CAP d’employée de bureau, j’ai appris sur le tas à faire beaucoup de choses, dont des fiches de paye. » C’est donc naturellement, aux côtés de son époux, qu’elle a continué à assumer la tâche. « J’aime ça. Et c’est quand même plus d’autonomie pour l’exploitant que de maîtriser cette partie. »

Pour Martine Lefoulon, faire sa paye en interne permet un gain de temps. © DR

Du papier au logiciel

Au départ, Martine assure la gestion des payes sur papier. « Je recevais par courrier les différents taux à appliquer, ou je les trouvais dans la presse spécialisée. Donc je m’en servais. Et je m’appuyais aussi sur mon cabinet comptable, la Cogep, en cas de doute. Ça se passait très bien. » Le passage à l’informatique lui a donné quelques sueurs froides, se souvient-elle encore. « C’est devenu plus compliqué pour moi, mais je me suis accrochée, soutenue par ma comptable. Elle m’a dit : “Vous maîtrisez cette partie, allez-y.” Elle avait raison, ça me permettait de garder la main. » Idem pour la comptabilité de l’exploitation : « Au début, je prenais mes factures sous le bras et tous les trois ou quatre mois, je les apportais à mon cabinet, et c’est ma comptable qui les passait. Et à nouveau, ma comptable m’a dit : “Vous êtes capable de passer vos écritures comptables.” Je me suis donc lancée sur deux logiciels, Isacompta et Isapaye en 2007. »

Les deux époux sont complémentaires : Philippe privilégie davantage le carnet à l’ordinateur. © DR

Une formation face aux réformes de l’État

Martine estime avoir bien supporté le passage à l’informatique. « J’étais aussi très épaulée », explique-t-elle. Ce qui lui paraît en revanche beaucoup plus difficile à gérer, « ce sont toutes ces nouvelles choses qu’on nous a mises sur le dos ces derniers mois, comme la DSN puis le prélèvement à la source. C’est devenu plus compliqué. Pas le logiciel, mais toutes ces réformes dont il nous faut tenir compte et qui pèsent sur nous. J’ai d’ailleurs voulu renoncer à faire la paye en 2016. J’ai eu peur de mal faire et d’être contrôlée. Mais mon éditeur m’a proposé une formation de six heures. J’ai alors mieux compris et je suis repartie. » Martine incite son fils à prendre progressivement le relais aujourd’hui. « Je n’y connais rien, concède Guillaume. Alors j’hésite à garder cette partie-là quand mes parents seront partis. Maman a la base, elle se tient au courant. Je ne suis pas sûr d’en avoir la patience. »

Une façon de « garder la main »

Pour Martine, l’accompagnement de l’éditeur compense le déficit de connaissances. Faire sa paye en interne représente par ailleurs un gain de temps, selon elle, en termes de gestion des salariés (congés, absences…) et pour la vérification des erreurs. « Guillaume fera cependant comme il veut, poursuit-elle. Car c’est aussi du temps en moins pour tout ce qu’il reste à faire sur l’exploitation. Ça dépendra de la manière dont il s’installera. Mais faire sa paye, c’est une façon de garder la main sur son exploitation. J’assume la partie concernant le roupeau, la comptabilité et la paye. Ça me donne le sentiment d’être autonome, et de maîtriser toute la boucle. Ça me rassure dans mes décisions. »

Rosanne Aries