Cinquante mères en bovins, cent-vingt en ovins. Sur les 350 hectares de son exploitation girondine, Serge Chiappa ne chôme pas. Il emploie un seul salarié, le même depuis vingt-cinq ans, mais il accueille aussi régulièrement des apprentis, venus du CFA de La Réole.

Depuis l’année dernière, c’est Kekouta, un Malien de 17 ans, qui prépare son CAP Métiers de l’agriculture et productions animales. Et si le jeune homme a encore des difficultés sur les matières générales au CFA, il s’avère déjà professionnel sur le terrain.

Pour Serge, au-delà de l’histoire difficile de Kekouta, c’est avant tout son goût du travail, et son sens de l’observation, qui ont fait de lui le bon candidat.

Clé n° 1 : Connaître les besoins de son exploitation

« Il faut commencer par le boulot qu’il y a à faire. Sur une exploitation d’élevage, par exemple, la priorité c’est l’alimentation des animaux », rappelle Serge. Lors du recrutement des apprentis, il analyse donc les candidatures en fonction de ce besoin.

L’élevage c’est du travail, mais c’est aussi de l’observation

« Moi ce qu’il me faut, c’est quelqu’un qui sache observer le troupeau. L’apprenti doit remarquer lorsque l’animal est en retrait, comprendre pourquoi il est couché », poursuit Serge.

Kekouta dans l’étable après avoir nourri les animaux. © I.L./GFA

Cette capacité d’observation est précisément ce qui a conduit l’exploitant à proposer un contrat d’apprentissage à Kekouta. Berger au Mali, Kekouta ne possédait pas les techniques françaises, mais était à l’aise avec les bêtes. « Il voit les choses », se félicite Serge.

Clé n° 2 : Baser la relation sur la transparence

Quand il reçoit un nouvel apprenti, Serge fait systématiquement avec lui un tour détaillé de son exploitation. Pas question d’enjoliver : l’honnêteté passe avant tout. « Je montre les bons points comme les mauvais. Mon exploitation n’est pas parfaite, et je n’hésite pas à le dire », lance Serge.

En prévenant par avance ses apprentis des dysfonctionnements, il évite non seulement les problèmes, mais également les déconvenues. « Un apprenti, il faut lui donner l’envie d’aller plus loin », estime Serge. Et ce n’est qu’avec de la franchise, que l’étudiant se sentira assez confiant pour poser ses questions, et progresser.

Clé n° 3 : Se protéger, et ne pas s’acharner

« En général au début, je propose un stage, une semaine ou quinze jours, pour voir si ça nous convient, et si ça convient au jeune aussi », raconte Serge. Impossible pour lui d’accueillir un jeune, s’il ne se sent pas capable de nouer une relation de confiance. Et si le contrat est déjà signé lorsqu’il s’aperçoit d’une erreur de casting, Serge dispose comme tous les maîtres d’apprentissage d’une période de deux mois pour le rompre.

Car plutôt que de s’acharner, mieux vaut identifier rapidement un apprenti qui ne correspond pas à ce que l’on attend. « Parfois, la mayonnaise ne prend pas », reconnaît Serge. Dans ces cas-là, pas question, bien sûr, de se débarrasser de l’apprenti du jour au lendemain. Serge fait alors appel à d’autres collègues éleveurs ou viticulteurs, afin de trouver une nouvelle place à l’apprenti.

Clé n° 4 : Ne pas oublier les parents

Le contrat d’apprentissage est signé par le maître d’apprentissage, l’étudiant, mais également par les représentants légaux de ce dernier. Eux aussi participent donc à la réussite, ou à l’échec de l’apprentissage.

« Certains parents veulent influencer les décisions ou le futur de leurs enfants, et ils en oublient de les écouter. Un jour, j’ai découvert que l’un de mes apprentis était plus intéressé par la mécanique que par l’agriculture, et je l’ai donc orienté vers des amis mécaniciens », se rappelle Serge. Lorsque le maître d’apprentissage comprend qu’un étudiant n’est pas vraiment attiré par le secteur agricole, il est donc préférable de l’expliquer aux parents.

Un apprentissage réussi, c’est avant tout un jeune qui s’intéresse à son métier

À la signature du contrat, Cristelle Catherineau, coresponsable du CFA de La Réole, prend quant à elle, toujours le temps d’expliquer aux parents le fonctionnement de l’alternance. Car au-delà de la vocation, certaines contraintes du monde professionnel, comme les congés limités ou les horaires fixes, peuvent aussi être des sources de tensions parentales.

Clé n° 5 : Accompagner progressivement vers l’autonomie

« Je ne mets jamais l’apprenti tout de suite sur un tracteur ou un engin. D’abord, je teste ses capacités, sa manière de voir les choses. Les responsabilités se donnent progressivement », reprend Serge. En confiant trop de tâches et trop vite à un apprenti, plutôt que de se délester d’un travail encombrant, l’exploitant risque effectivement de se mettre lui-même en difficulté.

C’est encore une fois au moment de l’accueil que les choses se jouent, comme le confirme Cristelle Catherineau. « Au départ, le patron doit prendre du temps. Expliquer les consignes, et surtout, ne pas hésiter à les répéter. »

Selon la formatrice, les effets bénéfiques d’un peu de pédagogie et de patience durant les premières semaines se ressentent même tout au long de l’apprentissage. « On gagne vraiment du temps pour la suite. Ce n’est qu’une fois que l’apprenti a compris précisément ce qu’il doit faire que le maître d’apprentissage peut lui laisser plus d’autonomie. »

Clé n° 6 : Échanger régulièrement avec tous les acteurs concernés

Chez Serge, c’est à midi, autour du déjeuner, que l’on discute du travail en cours. « Lorsqu’on mange ensemble, Kekouta me raconte ce qu’il a fait le matin, et me confie les problèmes qu’il a rencontrés. » Un moyen de suivre les tâches au quotidien, de distribuer le travail et de trouver ensemble une solution aux difficultés.

L’expérience du CFA de La Réole le prouve : après l’intérêt pour le métier, la communication est le second facteur de réussite d’un apprentissage. Et pas question d’oublier l’une des parties prenantes. Le jeune, ses parents, le maître d’apprentissage et le CFA doivent tous échanger le plus régulièrement possible.

Kekouta Dembélé devant son livret d’apprentissage. © I.L./GFA

Fourni par le CFA, un cahier de liaison permet d’assurer cette communication fluide. Loin d’être superflu, ce document permet de suivre les progrès du jeune sur le terrain comme dans les enseignements théoriques. « Et c’est aussi un outil pour la famille », précise Cristelle Catherineau. À condition, bien sûr, de le remplir avec soin.

Ivan Logvenoff