« S’associer plutôt que prendre un salarié, cela semble plus facile à première vue, notamment en termes d’organisation, commence Pierre Besançon, éleveur laitier à Saint-Berthevin, en Mayenne. Des tours de rôle se mettent en place, on travaille un week-end sur deux. Les responsabilités sont partagées. On n’a pas ce phénomène de contraintes réglementaires que l’on peut retrouver avec un salarié pour ses horaires par exemple. » Mais Pierre s’interroge pour la première fois quand, en 2014, l’un de ses associés quitte la ferme pour d’autres projets. « À l’origine, nous étions trois, avec mon épouse Audrey. Quand le troisième est parti, nous avons tout de suite été confrontés à un problème de main-d’œuvre. »

Un salarié plutôt qu’un associé

L’exploitation produit du lait avec une référence de 690 000 litres par an, de la volaille (3 000 m² de bâtiment) et dispose, en plus, d’une unité de méthanisation depuis 2012, qui s’apprête à passer de 150 à 210 kW. Avec une surface utile agricole de 130 hectares (dont 45 ha d’orge, 45 ha de maïs et le reste en herbe), « travailler sur la ferme à deux, ça n’était pas envisageable », poursuit Pierre. Seulement les époux Besançon ont déjà vu partir un associé par le passé. « Cela nécessite à chaque fois de repartir à zéro… Nous avions par ailleurs déjà fait pas mal de travaux sur l’exploitation : entre la construction des bâtiments de volailles et la méthanisation, nous nous sommes dits : “La personne va arriver dans un système qui est quand même déjà un peu plus complexe.” Ça n’était pas certain que l’on trouve. Et c’est à ce moment-là que nous nous avons pensé procéder de manière différente, en recrutant un salarié susceptible de s’associer. »

Du jeune à former au moins jeune expérimenté

Les époux Besançon recherchent « quelqu’un de polyvalent qui puisse aller dans tous les domaines ». Ils recrutent tout d’abord une jeune femme, ayant réalisé son BTS en alternance sur la ferme. Mais après avoir été formée par Pierre et Audrey, elle finit par partir s’installer avec son compagnon. Un autre jeune est recruté, et le phénomène se reproduit. « 2016 a été une année très dure. Nous sommes restés pendant un an tout seul. » Mais ils ne capitulent pas. Avec leur centre de gestion, ils réalisent une fiche de poste, déposent une offre… jusqu’à ce qu’ils répondent à une annonce. Un homme recherche un poste de salarié agricole, c’est un ancien éleveur laitier qui fait face à des difficultés et veut vendre sa ferme avant qu’il ne soit trop tard. « On n’était pas parti du tout dans l’idée de ce type de profil. On cherchait plutôt un jeune à former. Mais dans le même temps, nous avions compris que les bons ont d’autres objectifs. Nous décidons donc de le voir. »

Si nous n’avions pas procédé par étapes, il se serait senti noyé et il serait parti.

Frédéric a le même âge que Pierre, « il a des responsabilités familiales, c’est quelqu’un de stable, nous en avions besoin pour voir à long terme, on a un bon feeling ». Ils l’embauchent en avril 2017.

Un atelier à la fois

Pour son arrivée sur l’exploitation, Pierre et Audrey ont l’avantage d’avoir déjà rédigé une fiche de poste. « Nous avons pu, dès les premiers échanges, fixer avec lui ce qu’il aurait à faire. » C’est en revanche Frédéric qui émet quelques doutes face à la diversité des productions dont, certaines, qu’il ne connaît pas du tout : « Nous l’avons accompagné, nous avons essayé de le rassurer dès le départ, on ne lui a pas tout montré d’un seul coup, ça ne sert à rien, estime Pierre. Et, en plus, ça lui faisait peur. Il ne connaissait pas du tout la gestion du robot de traite, nous avons commencé par ça. Ensuite, nous l’avons accompagné sur la volaille, nous poursuivons aujourd’hui avec la méthanisation. Si nous n’avions pas procédé par étapes, il se serait senti noyé et il serait parti. »

Se vouvoyer pour commencer

Face au profil de leur nouveau salarié – son âge comme son expérience passée –, le couple ne s’est pas adressé à lui comme à ses deux précédents jeunes. « Nous avons décidé par exemple une chose toute bête : nous avons commencé par le vouvoiement. Ça nous permettait de garder un peu de distance, puis au fur et à mesure, on s’est rapproché. »

Un an et demi après l’embauche, la relation entre les trois associés a déjà beaucoup évolué. « Aujourd’hui, c’est facile. Nous avons un discours assez libre. Et nous nous tutoyons. Nous faisons des points réguliers, sur son ressenti, ses conditions de travail, etc. Nous échangeons beaucoup. Au départ, il nous demandait régulièrement si, ce qu’il faisait, convenait, et si nous en étions satisfaits. »

Pierre constate rapidement que le vécu d’exploitant de Frédéric est une réelle aubaine. Il connaît le métier et les responsabilités. « Par exemple, pendant les moissons, quand je lui dis à 19 heures : “Tu n’as qu’à y aller.” Il me répond : “Non, la moisson n’est pas finie, je reste.” Idem pour l’ensilage. »

Un week-end d’astreinte par mois

Pour Frédéric aussi, la situation présente des avantages auxquels il n’avait pas pensé : « Ça lui a fait tout drôle, et beaucoup de bien, d’avoir des week-ends, cinq semaines de congé, des horaires… » Il est rémunéré sur une base de 36 heures par semaine, et il réalise en général des heures supplémentaires. Il a perçu un intéressement dès la première année.

Frédéric effectue par ailleurs un week-end par mois d’astreinte, avec des journées de récupération dans la semaine. « Nous faisons appel au service de remplacement pour qu’il ne soit jamais seul, quand aucun de nous deux n’est présent sur l’exploitation. Lorsque les alertes et les soucis s’enchaînent sur l’exploitation, et que l’on est seul à tout gérer, on peut vite s’écœurer. En notre absence, il endosse les responsabilités du responsable d’exploitation. »

Dans la perspective d’un deuxième salarié

Un an et demi après le recrutement de Frédéric, Pierre et Audrey se réjouissent toujours de leur choix. De trouver un troisième associé n’est plus au cœur de leurs préoccupations. « Aujourd’hui, nous nous posons la question d’un deuxième salarié d’ici à deux ans pour accorder plus de souplesse à tout le monde, pour les congés et les week-ends. L’on sait d’avance que l’on cherchera quelqu’un avec des compétences plus spécifiques encore. » Face à la recrudescence de l’automatisation sur la ferme, le couple vise un électromécanicien, qu’ils devront, selon eux, probablement aller chercher en dehors de la sphère agricole.

Rosanne Aries