« Aujourd’hui, nous faisons 7 000 euros de chiffre d’affaires par semaine. Au début, c’était ce que nous faisions par mois », explique Christophe Hervy. Trente ans après son installation à Ansac-sur-Vienne, en Charente, cet exploitant de 52 ans s’est lancé dans la transformation et la livraison de yaourts bio. C’était en juin 2017 : « Jusqu’ici, j’avais toujours travaillé seul sur l’exploitation. Depuis, j’emploie cinq salariés sur 45 hectares et nous produisons environ 20 000 pots par semaine. »
Première étape : la rupture
Le tournant survient à la suite d’un premier constat : alors qu’il a fait le choix du pâturage dynamique en 2001, celui du bio en 2009 et des jersiaises la même année, Christophe peine à valoriser son lait. Sa coopérative ne propose pas de politique spécifique pour le bio. « Avec quelques éleveurs du coin, nous sommes allés voir ses dirigeants et leur demander ce qu’ils pouvaient faire pour nous, mais elle ne nous a rien proposé. » Après trente ans de collaboration, il décide de ne pas renouveler son contrat.
Christophe Hervy a progressivement remplacé ses holsteins par des jersiaises. © R. Aries/GFA
Deuxième étape : un autre collectif
En parallèle, Christophe a fait la rencontre de Jean-Michel Péard, le créateur du réseau « Invitation à la ferme », qui lui propose de fabriquer ses propres yaourts. Le principe du collectif est simple : entre la vingtaine d’exploitants qui le composent, toute la logistique est mise en commun (les pots, les emballages, le site internet, la matière première…). Chaque producteur reçoit par ailleurs l’appui d’un ingénieur pour la fabrication et l’installation du laboratoire de transformation. Si tous sont indépendants, les recettes sont communes, et les livraisons ne doivent pas excéder un rayon de 80 km.
Même formule, même recette pour tous les adhérents du réseau « Invitation à la ferme », qui bénéficient aussi d’un packaging personnalisé avec leur photo. © R. Aries/GFA
Troisième étape : un nouvel emprunt
Avec ses 40 jersiaises et ses sept (dernières) prim’holsteins, Christophe produit 170 000 litres de lait. En s’appuyant sur une étude de marché réalisée avec le réseau, il observe que s’il emprunte 300 000 euros et transforme 100 000 litres de lait, il peut payer des salariés, voire se verser un salaire. Au final, il emprunte 370 000 euros. « Ça n’est pas évident à 52 ans de repasser devant la banque, faire la batterie de tests pour la santé, d’emprunter… Bref, de se réengager. Mais une fois la décision prise, il faut y aller. » Surtout, Christophe n’est pas homme à croire en la providence, « son avenir a toujours été celui qu’il décidait », précise sa femme Esther.
Chritophe Hervy : « Ça n’est pas évident à 52 ans de repasser devant la banque. » © R. Aries/GFA
Quatrième étape : l’embauche décisive
Et les premiers mois lui donnent raison, puisque sa nouvelle activité connaît un décollage très rapide. L’accroissement de son chiffre d’affaires lui permet même de faire face au paiement des salaires. Pourtant, deux autres éleveurs du collectif – qui ont débuté en même temps que Christophe – n’enregistrent pas la même envolée. « C’est tout simplement lié au fait d’avoir tout de suite embauché un commercial. Là où j’aurai pu hésiter, et attendre quelques mois, je ne l’ai pas fait : j’ai engagé Pierrick tout de suite. » D’autant que dans un rayon de 80 km autour de la ferme, il existe une cinquantaine de possibilités de livraisons, et le chef d’entreprise les explore toutes : les grandes surfaces, les écoles, les hôpitaux, les associations… rappelle l’éleveur. « Aujourd’hui, on est devenu un peu le Danone du coin. Si ça marche, c’est aussi parce que les produits sont bons. »
Cinquième étape : fidéliser
Christophe emploie désormais cinq salariés à la production, la transformation, la commercialisation et la livraison. Auprès d’eux, il défend l’entreprise libérée : « Je ne veux pas me tenir derrière chaque employé. Je fais confiance. Ce qui m’importe est qu’il se sente bien. » Et le Charentais a aussi sa méthode pour les accueillir sur la ferme : ils ont été engagés quelques mois en CDD par le groupement d’employeurs de son département, avant d’être pris en CDI sur l’exploitation. Sa priorité est de les accueillir et de les former, sans s’imposer, dans le même temps, de charge administrative supplémentaire. Le poste « salariés » représente aujourd’hui un tiers de son chiffre d’affaires global. Et s’il continue à se développer ? « J’augmenterai les salaires. » Aucune nouvelle embauche n’est prévue pour l’heure.