Qu’appelle-t-on la charge mentale ?

C’est une expression qui a vu le jour en 1998 lorsque la dépression en milieu professionnel a été reconnue par la médecine du travail.

De façon très schématique, la charge mentale pourrait être résumée à l’ensemble des sollicitations du cerveau pendant l’exécution du travail. Elle résulte d’une interaction complexe de facteurs individuels, techniques, organisationnels et sociaux. Par exemple, devoir emmener son enfant à l’école alors qu’il faut appeler le vétérinaire pour une bête malade. S’inquiéter dans le même temps d’une machine qui risque de lâcher et trouver du temps pour mettre à jour la comptabilité parce qu’on est en fin de mois.

C’est donc une contrainte de travail qui est fonction des exigences liées à la tâche à effectuer (en termes de temps, de complexité, d’attention) mais aussi de la capacité de traitement de la personne qui exécute cette tâche (qui n’est pas égale selon les individus).

Comment se rendre compte qu’on pense à plusieurs choses en même temps ?

La problématique pour les agriculteurs est qu’ils ont un métier multitâche qui les oblige à penser à tout. Ils sont exploitants mais aussi négociants, financiers, gestionnaires de paye… Toute la difficulté pour eux est de se rendre compte des risques liés à la charge mentale, pour ne pas se mettre en danger.

Une étude menée en 2010 par Harvard révèle que nous consacrons 46,9 % d’heures en éveil à penser à autre chose que ce que nous sommes en train de faire, ce qui rend malheureux.

Et l’on sait que le nombre de tâches que l’on peut faire simultanément est limité.

Il faut donc se focaliser sur la tâche à effectuer et traiter les tâches les unes après les autres sans anticiper les suivantes. Un travail bâclé engendre une charge mentale équivalente à celle due à un excès de travail. Et l’on sait que les agriculteurs cumulent souvent les deux.

Comment savoir qu’on dépasse nos limites

On sait que l’on dépasse nos limites lorsque nos qualités professionnelles deviennent des attitudes néfastes. Prendre conscience de ces comportements cachés, c’est aussi se libérer de nos exigences qui peuvent s’ajouter aux pressions extérieures.

On peut prendre l’exemple de l’héroïsme. Les personnes qui, dans le milieu professionnel, rendent service à tout le monde, au risque de se désorganiser dans leur travail ou de se mettre en retard. Aider oui, mais dans le respect de ses propres priorités. Il faut apprendre à dire non également surtout si l’on sait que ça va nous mettre dans de graves difficultés.

On doit repérer rapidement ces attitudes néfastes parce que ce sont elles qui font la charge mentale. Avec des conséquences pour la santé physique, psychologique, mais aussi sur l’équilibre social, familial et professionnel.

Un exemple concret : un agriculteur qui penserait à la liste des tâches à effectuer le lendemain, même lors d’une fête de famille ou d’une soirée entre amis. Dans ce cas précis, cet agriculteur doit se rendre compte qu’il dépasse les limites et qu’il s’expose à des risques liés à la charge mentale.

Comment se protéger de la charge mentale ?

Multi-sollicitations, surinvestissement… Face aux risques liés à une forte charge mentale, il faut trouver des techniques permettant de se protéger, de réguler les situations devenues à risque :

  • Sortir du déni : apprendre à reconnaître les symptômes de surchauffe. Si l’on ressent de la colère, de la lassitude, de l’irritabilité, de l’impatience, c’est qu’on entre en zone rouge ;
  • Repérer ses comportements inhabituels : vigilance sur les comportements d’excès qui visent à nous aider à « tenir le coup : aller boire un verre, fumer, etc. » ;
  • Connaître ses limites et se fixer des objectifs accessibles : il est nécessaire de réfléchir aux moyens de fonctionner autrement, d’apprendre à déléguer, à demander de l’aide, mutualiser certaines tâches entre exploitants, avoir une exploitation à taille humaine ;
  • Communiquer : avec ses collaborateurs ou des pairs, être factuel, rendre la charge visible ;
  • Préserver sa vie privée : apprendre à dégager du temps pour soi mais aussi pour sa famille et ses amis, en fonction de la saisonnalité de l’activité.

Que peut mettre en œuvre un agriculteur pour ne pas se laisser déborder ?

Je dirais en tout premier lieu d’apprendre à demander de l’aide face à cette charge mentale qui est plus qu’importante chez les agriculteurs. C’est déjà partager ses difficultés, ne pas vouloir jouer au superhéros.

Et c’est surtout prendre soin de soi lorsque cela est possible :

  • Récupérer des ressources : sports, activités familiales et sociales, temps de repas ;
  • Santé : si on est malade : on se soigne et on se repose, ne jamais nier la fatigue ou la maladie ;
  • Expérimenter la méditation : il existe des applications sur smartphone très pratiques (exemple : Petit BamBou) ;
  • Veiller à une bonne qualité de sommeil ou faire une sieste de rattrapage ;
  • Avoir une alimentation équilibrée : les antioxydants stimulent les fonctions cérébrales ;
  • Réduire sa consommation de café ;
  • Arrêter de fumer.

Peut-il en parler à ses salariés ou doit-il le garder pour lui ?

Dans tous les cas de figure, il est nécessaire de partager :

  • Avec des pairs : les autres agriculteurs comprennent aisément les difficultés liées au métier et l’on peut se sentir moins seul moralement de les partager. Un système d’entraide peut même se développer ;
  • Avec ses collaborateurs, en fonction du relationnel qui a pu se développer. Dans ce cas, cela permet d’appeler à l’aide en cas de surcharge d’activité. Responsabiliser ses salariés en les formant permet de les rendre autonomes et de dégager du temps pour les autres tâches à effectuer. C’est une première étape pour alléger la charge mentale ;
  • Avec sa famille : elle reste une sphère au sein de laquelle on peut tout partager pour alléger la charge mentale ;
  • Avec son médecin traitant : c’est un interlocuteur privilégié et indispensable qui n’aura pas de jugement professionnel et pourra orienter l’agriculteur vers un spécialiste en fonction des difficultés identifiées. L’objectif est de se préserver pour ne pas risquer le burn-out ou tout autre problème de santé lié à la charge mentale.
Recueilli par Éric Young