« Quand on fait rentrer une telle machine, c’est le moment où deux mondes se rencontrent : le nôtre, l’agriculture, et celui de l’industrie, résume Damien Renard, exploitant à la ferme de Tremonvillers (Oise). Il faut donc apprendre à se connaître. »
Des nouvelles compétences
Damien vient de rentrer une trieuse optique sur sa ferme, spécialisée dans la pomme de terre et les betteraves rouges pour l’industrie. Une telle machine, ce n’est pas comme la prise en main d’un tracteur.
Son installation sur place prend plusieurs jours pour intégrer à l’exploitation de nouvelles compétences industrielles. Comment se passe ce transfert de compétences ? Le déroulé en trois étapes essentielles.
Première étape : définir son besoin
La première période de ce transfert de compétences est consacrée à la définition du besoin. Issus de l’industrie, les interlocuteurs de Damien Renard sont dans l’attente d’une expression sans faille de ce besoin. Ils la traduiront dans un cahier des charges extrêmement précis.
Avant ce moment, l’exploitant agricole a mis plusieurs mois pour faire mûrir son projet. Pour les trois mois de sa saison du triage, il avait l’habitude de travailler avec une équipe de cinq saisonniers, embauchés par une entreprise de travailleurs détachés. Mais, scruter des pommes de terre pendant huit heures par jour devient vite difficile pour l’œil humain.
« Je me suis rendu compte que c’est un poste difficile à tenir sur une durée aussi longue. Ce sont des travailleurs très compétents et très courageux, mais ils fatiguent comme tout le monde. Après un mois à ce rythme, la pénibilité devient trop grande. Je voulais trouver une solution », raconte Damien Renard.
S’ajoutent à cette crainte, les interruptions de chantier lorsque la pluie tombe et, malgré tout, le maintien du personnel durant ces intermittences. Damien Renard devait donc trouver une solution qui combine l’économie de main-d’œuvre, l’exigence qualitative de ses clients industriels, la rentabilité de l’investissement et l’intégration dans sa ligne de triage. Il fait un examen de ce qui existe déjà autour de lui et arrête son choix sur une trieuse optique 3A construite par un leader du marché, l’irlandais Tomra.
À ce stade, l’expression du besoin n’est pas encore compréhensible par le constructeur. Le technico-commercial de Tomra en France, Grégoire Volpoet, est chargé de recueillir la demande de l’agriculteur. Il se charge de la traduire aux techniciens et au chef de produit.
En interne, le chantier commence vraiment avec une réunion de lancement et la nomination d’un chef de projet qui déterminera les plans, suivra la construction de la machine et prévoira la mise en place. « Il faut être très précis dans sa demande parce que ce qui n’est pas demandé ne sera pas livré. Ça change de nos habitudes du monde agricole », se souvient Damien Renard.
Deuxième étape : se former par l’usage
« La machine a été livrée exactement aux dates prévues et est parfaitement conforme au cahier des charges. Elle était sous bâche dans le bâtiment. Je voulais la démarrer tout de suite pour voir », se souvient Damien Renard.
Non ! Il a dû faire preuve de patience parce qu’il faut d’abord acquérir un niveau de compétences d’usager. C’est la phase où les deux mondes, la conception industrielle et l’usage agricole, se rencontrent vraiment pendant plusieurs jours.
Dans un premier temps, un technicien vient faire les branchements de l’alimentation et des sorties hydrauliques. Il reste sur place pour former les utilisateurs : d’abord, il conduit la machine pour déterminer les paramètres d’utilisation ; et ensuite, il supervise la prise en main par l’usager.
Tomra préfère mener ce transfert de connaissances pendant la période de production parce qu’elle permet d’affiner les réglages de la trieuse optique aux conditions réelles de l’usager. C’est comme ça que la machine a pu intégrer le triage des betteraves rouges alors que c’est une demande assez rare et assez difficile à paramétrer.
« En réalité, il s’est déjà produit une phase d’adaptation en amont de l’installation. À Tomra, nous avons créé une plateforme informatique commune à toutes nos machines. Mais le menu que voit l’utilisateur est spécifique à sa demande particulière. On s’efforce de rendre cette interface assez intuitive pour être rapidement prise en main », explique Grégoire Volpoet.
La méthode pédagogique est entre les mains des techniciens sur place. « Ils sont tous formés au siège international. Ils ont une certaine expérience de la transmission des connaissances. Sans avoir l’attitude de professeurs, ils ont une méthode d’apprentissage progressive : d’abord les fondamentaux, ensuite la manipulation et, dans un troisième temps, ils vérifient que l’usager a compris la mécanique du triage, qui est leur cœur de métier », relate Grégoire Volpoet. C’est en arrivant à maîtriser ce dernier point que l’agriculteur sera à même de passer à la troisième étape du transfert de compétences : la capacité à améliorer sa pratique.
Troisième étape : dominer la technique
Même si le couple d’exploitants a suivi la formation technique sur place, c’est surtout Nathalie Renard, la femme de Damien, qui utilise la trieuse optique. Elle forme à son tour les deux salariés permanents de la ferme. « Le menu sur la machine permet de créer trois niveaux d’interface selon l’expertise de l’usager : l’opérateur, le cadre et le technicien », ajoute Grégoire Volpoet.
La machine est livrée avec son mode d’emploi en papier mais, en service, c’est plutôt la hotline technique qui a la faveur des usagers. « En France, je suis en contact avec deux interlocuteurs que je peux appeler pour du service après-vente ou si je veux ajouter un nouvel usage, raconte Damien Renard. Ce sont eux qui estiment s’ils peuvent régler ça sur place ou s’il faut qu’ils appellent le siège irlandais. »
« La machine est équipée d’une carte SIM par laquelle un technicien en Irlande peut prendre la main directement et changer un élément du menu, poursuit-il. La simplicité de l’environnement informatique est un paramètre important pour retirer du stress à un usager et lui permettre de monter en compétences. » Au final, Damien Renard estime qu’il lui a fallu une quinzaine de jours pour appréhender totalement la machine.