Qu’appelez-vous la posture de l’employeur ?

Définir la posture de l’employeur, c’est s’interroger sur l’image de patron que l’on va envoyer et sur la façon dont celle-ci va être reçue. Pour cela, il est utile de se mettre à la place du salarié. C’est une attitude qui, à la fois, fixe le cadre du travail, mais se met aussi à l’écoute des employés. Désormais, beaucoup de salariés de la production agricole ont déjà eu une expérience en dehors du monde agricole et ils ont déjà connu les relations sociales dans l’entreprise. Ils s’attendent à retrouver ces pratiques quand ils viennent en agriculture.

En quoi est-ce utile de faire les efforts de devenir employeur ?

On peut voir trois bénéfices à s’efforcer d’être un employeur performant. En premier, on évite de gaspiller de l’argent en évitant les conflits ou le départ trop rapide des salariés, qui constitue toujours un coût. On peut aussi gagner de l’argent puisqu’un salarié qui se sent bien peut renforcer son investissement au travail. Par ailleurs, fidéliser les salariés est une solution pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre qu’on connaît en agriculture. Enfin, c’est aussi un moyen de diminuer les pertes de temps quand on est assuré de la bonne exécution des consignes.

Avant même l’emploi, comment aborder le recrutement ?

Le recrutement est la première brique de la construction de la politique des ressources humaines de l’entreprise. Je vois trois leviers pour faciliter le recrutement : rendre l’entreprise attrayante, bien définir son besoin et intégrer le nouvel entrant. Pour rendre l’entreprise attrayante, il n’existe pas de recette miracle. Cette question relève autant du secteur agricole que de l’exploitant. Mais il faut déjà faire savoir qu’il y a du travail en agriculture et que l’on recherche quelqu’un en se rapprochant des acteurs traditionnels du recrutement, comme Pôle Emploi, l’Apecita, l’Anefa…

Prendre le temps pour bien définir son besoin est la meilleure clé pour chercher la bonne personne. Pour cela, l’outil indispensable est la rédaction d’une fiche de poste claire et réaliste. Je vois passer des offres qui peuvent faire peur. J’entends souvent dire qu’on cherche un « polyvalent ». Non, on cherche des compétences prioritaires et, ensuite, le salarié va acquérir de la polyvalence. Enfin, l’intégration du salarié dans l’exploitation fait partie du recrutement puisque son poste réel doit correspondre à la fiche de poste annoncée, même si ses fonctions peuvent évoluer par la suite.

Que faire face à la lourdeur administrative liée à l’emploi ?

Les agriculteurs voient souvent le droit du travail comme un facteur de risque. Ça l’est en partie seulement. Tant qu’il n’y a pas de conflit, il n’y a pas de risque. C’est un autre avantage d’une bonne politique de ressources humaines. L’instrument de la médiation externe entre un salarié et un exploitant permet de limiter le risque de conflit en évitant les tribunaux.

Comment structurer son management ?

En premier, il faut prendre conscience que le management représente un long temps de travail de l’exploitant employeur. Or, manager, c’est compliqué au quotidien. On travaille avec de l’humain. C’est une science inexacte. Je peux donner quelques priorités. L’accueil et l’intégration du salarié ne sont pas à prendre à la légère parce que cette période détermine l’image de l’exploitation. Il faut être assez sûr de soi dans l’organisation du travail et les plannings même s’ils changent du fait de la météo. Enfin, la posture de l’employeur consiste aussi à privilégier le dialogue au jour le jour. Le rôle de l’employeur, c’est de donner du sens au travail et son principal outil, c’est la parole.

Comment faire avec sa personnalité ?

En premier, il est nécessaire de connaître sa personnalité grâce à des outils spécialisés comme le MBTI par exemple. À partir de là, on peut se fixer des règles de comportement pour éviter de se mettre dans une colère incompréhensible ou, au contraire, de s’enfermer dans un silence qui peut être mal interprété. Les silences peuvent traduire des conflits enkystés. C’est à l’exploitant de faire émerger la parole. Il peut recevoir de l’aide d’un médiateur ou se faire accompagner. Être employeur, c’est aussi apprendre à demander de l’aide.

Par où commencer pour devenir un manageur ?

Je conseille toujours de se former le plus tôt possible parce qu’un exploitant peut devenir employeur plus rapidement qu’il ne l’imagine. Devenir manageur, c’est d’abord fixer les priorités et les règles, sans y être trop attachés au pied de la lettre. Et c’est aussi privilégier le dialogue grâce à des outils comme les entretiens annuels ou les réunions régulières pour parler de l’organisation du travail.

Quelle est la part du chemin qui revient au salarié ?

On ne peut pas demander au salarié de faire le travail qui incombe à l’employeur. C’est de la responsabilité de ce dernier que le management et le dialogue se fassent. C’est lui le garant de ce collectif pour que les compétences de chaque salarié s’expriment le mieux possible. D’un autre côté, il ne peut pas tout accepter. Pour fixer les limites, il y a des règles qui sont édictées clairement dans la fiche de poste, dans le règlement intérieur, dans tous les actes de la politique de ressources humaines. Le contrat de travail, c’est bien une contractualisation des rapports humains.

Y a-t-il une posture, au singulier, ou des postures, au pluriel ?

Il y a des postures dans le sens où l’exploitation évolue au fil du temps et que les rapports humains reflètent cette transformation. Mais il y a une posture dans le sens où le chef d’exploitation mène ces changements à partir de ses valeurs qui, elles, sont stables. On pourrait dire que l’exploitant apprend à réagir différemment tout en gardant sa personnalité.

Toutefois, cet objectif nécessite un vrai travail d’analyse de soi. L’exploitant peut commencer par repérer les situations problématiques, s’en demander les raisons puis apprendre à changer pour devenir un bon employeur. C’est un ajustement personnel au quotidien pour préserver le dialogue et le bien-être au travail.

Propos recueillis par Éric Young