Déléguer des tâches ou des responsabilités à son salarié, n’est-ce pas perdre un peu la main sur son exploitation ?
Un employeur peut en effet craindre de perdre une partie de ses responsabilités dans la délégation. Mais il est très important de se rappeler qu’en tant qu’agriculteur, il est avant tout le pilote de son exploitation, c’est-à-dire le dirigeant, ainsi que le manager en plus du réalisateur. Quand il délègue, il ne parle pas en tant qu’agriculteur qui travaille la terre, s’occupe de ses animaux, etc., il parle en tant que manager. Quand il confie une des tâches qu’il avait l’habitude de faire auparavant, il ne perd pas son pouvoir de manager, encore moins celui de décideur. Nous réalisons 80 % de nos tâches, en 20 % de notre temps. S’il vérifie que l’autre a les compétences et le goût pour ce qu’il s’apprête à lui déléguer, en réalité, il gagne du temps, pour s’attacher à ses priorités. La délégation ne lui fait pas perdre son pouvoir, elle lui fait gagner du temps.
Il y a un autre risque dans la délégation, c’est celui de la dépendance à la compétence d’un salarié… S’il part ?
Et alors ? Même sous contrat à durée indéterminée, un salarié peut partir à tout moment. L’agriculteur le sait. S’il en a marre, ce n’est pas grave, l’employeur en trouvera un autre, qu’il formera, ou enverra se former. Il peut aussi décider de faire appel à une entreprise agricole ou à un autre système. C’est une occasion donnée de repenser son organisation. Le départ d’un salarié n’est toutefois évidemment pas à souhaiter, mais s’il advient, ce n’est pas irrémédiable. Et si les départs sont répétés, cela révèle sans doute un problème à régler par ailleurs. Mais ce qu’il faut comprendre c’est qu’une bonne délégation aide en général à fidéliser son salarié.
Comment rester le pilote sans devenir le contrôleur des travaux finis ?
Le corollaire à la délégation, c’est en effet l’évaluation. Mais il faut sortir de la notion de flicage, et plutôt partir avec ces quelques questions face à son salarié : « Comment ça s’est passé pour toi ? », « As-tu rencontré des difficultés ? ». Ou encore « OK, ça, c’est super, c’est très bien maîtrisé, mais je préférerais que tu arrives à ce résultat-là ». Et s’il ne voit pas comment faire, c’est à l’employeur de partager avec lui les leviers possibles. L’agriculteur dit ce qui ne lui convient pas et montre les marges de manœuvre à son salarié. L’évaluation va également lui permettre d’anticiper les problèmes, et d’échanger avec son équipe. Quand on délègue, on a le sentiment de se débarrasser d’un peu de tout, mais vraiment ça n’est pas cela ou plutôt ça ne doit pas être cela. L’agriculteur garde le pilotage même dans la délégation qui donne au contraire l’occasion de mieux travailler ensemble.
Et quand le problème survient, qu’un salarié commet une erreur, comment rectifier la situation ?
En cas d’erreur, l’agriculteur intervient et voit comment faire pour que ça ne se reproduise pas. Il dit clairement au salarié ce qui ne va pas. Évidemment, lui dire qu’il est nul, ça ne sert à rien. L’objectif est de lui donner la marge de manœuvre, dire clairement ce qu’il veut. Si le salarié n’a pas les capacités pour le faire, il peut aussi le guider, et, au fil du temps, ainsi le faire monter en compétence comme en autonomie. Et cela, c’est toujours bon pour les résultats de l’exploitation.
Mais si le salarié ne fait pas comme son employeur le souhaite : jusqu’où ce dernier peut-il lâcher ?
L’employeur est-il dans une délégation de résultat ou dans une délégation de moyen ? C’est à lui de trancher la question. Mais cela va dépendre aussi du profil de son salarié. Par exemple, pour un jeune salarié qui vient d’arriver, ça ne sert à rien de répéter qu’il ne prend aucune initiative et qu’il ne sait rien faire. Pour un premier poste, c’est peut-être trop d’autonomie et le jeune ignore probablement comment se positionner. La délégation doit s’ajuster en fonction du salarié et de soi. Cela peut prendre un peu de temps au départ, mais encore une fois, c’est pour en gagner par la suite.