Peut-on considérer le robot comme un nouveau collègue dans l’équipe d’une exploitation agricole ?
C’est une approche nouvelle et pratique de la robotisation. Depuis plusieurs années, les robots ont fait leur apparition dans le paysage agricole. Passée la fascination qu’exerce cette nouvelle technologie, on peut regarder comment les robots ont été intégrés à l’usage dans les entreprises pionnières. Imaginer le robot comme un nouveau collègue permet de penser la robotisation en termes de management, même si la comparaison atteint rapidement ses limites évidentes.
Comment se passe « l’embauche » du robot ?
Cette question revient à aborder la prise de décision de l’achat d’un robot. Celle-ci revient bien évidemment au patron, d’autant plus qu’elle représente un coût non-négligeable. Mais on est surpris parfois par sa mauvaise perception à l’usage.
L’écueil courant, typiquement humain, consiste à penser à la place de l’autre : le patron imagine que l’employé sera heureux parce que le robot va réaliser les tâches les moins agréables, alors que le salarié pense que le robot est là pour lui voler son travail.
À l’inverse, le salarié pensant satisfaire son employeur va suivre une formation à l’utilisation du robot alors qu’il n’en a pas pleinement envie.
Comment éviter cette incompréhension à l’arrivée d’un robot ?
La décision se prépare en amont. Il ne faut pas hésiter à solliciter le retour d’expérience des autres agriculteurs. Le décideur peut associer les salariés à des visites d’autres fermes pionnières. Il doit être prêt à entendre que le projet initial soit retravaillé à la suite de ces explorations.
Par ailleurs, le chef d’entreprise doit s’assurer qu’il est lui-même bien clair sur ses motivations d’achat. Il n’y a pas qu’une dimension financière dans un tel projet : agronomique (réduire le tassement, passer au bio, diminuer l’usage de phytosanitaire…), organisationnelle (gagner du temps), sociétale (image de l’exploitation), personnelle (appétence pour les nouvelles technologies), etc. Il faut toutes les mettre sur la table pour prévenir tout malentendu.
Le robot est une révolution managériale
Quelles sont les appréhensions des équipes à l’arrivée d’un robot ?
On ne choisit pas, ou rarement, ses collègues : le robot ne fait pas exception ! Aussi les salariés ou les managers doivent se mettre dans le même état d’esprit à l’arrivée d’un robot : il faut faire avec. Mais ce nouveau collègue peut être l’occasion d’introduire une nouvelle culture managériale.
Si le robot est une révolution technologique, il est aussi une révolution des relations au travail. Le décideur peut se servir de ce projet pour créer un « collectif de travail » : qui veut embarquer sur ce projet ? Vous qui faites cette tâche habituellement, qu’en pensez-vous ? On va choisir le robot en équipe !
Comment se préparer à accueillir un robot ?
Avant l’entrée d’un robot dans l’équipe, tous les membres de l’entreprise doivent répondre à plusieurs questions essentielles : quel est l’objectif ? À quoi le robot servira-t-il ? Qui travaillera avec lui ? Quand allons-nous l’accueillir ? Quels sont les besoins en infrastructure ? Avons-nous besoin de formation ? L’espace de travail est-il suffisant ?
Si l’équipe ne le fait pas, elle en paiera le prix plus tard en termes d’accident du travail, de mal-être ou de départ des compétences. Les caisses locales de MSA peuvent accompagner de tels projets avec son service santé et sécurité du travail ou des ergonomes et des psychologues du travail. Le bon robot sera celui adapté au collectif de travail : ce sont des humains qui vont l’accueillir, or ces derniers voient la réalité au travers du prisme de leurs croyances.
Les préjugés que chacun peut avoir sont-ils néfastes à l’intégration d’un robot ?
Tout le monde a des préjugés. C’est normal. L’important, c’est de les dire au collectif pour qu’ils puissent être analysés. Ainsi, ces préjugés ne traînent pas des années dans l’espace du non-dit. Souvent, ils sont la cause d’un mal-être au travail : « J’ai peur que le robot me prenne mon travail » ou « j’ai peur de ne pas savoir le piloter ». Il faut le dire — et le laisser dire — parce que l’agriculteur ne s’en rend pas forcément compte.
D’un autre côté, on peut être aveuglé par des préjugés trop enthousiastes : « Le robot saura tout faire » ou « le robot va remplacer tous les salariés, la main-d’œuvre que je n’arrive pas à trouver ». Aucune de ces représentations n’est vraie. Plus on se focalise sur une idée, plus elle va s’ancrer. D’où l’utilité d’évacuer les préjugés rapidement dans l’avancée du projet.
En réalité, les robots, même bien élaborés, nécessitent une adaptation à une organisation déjà en place qui est différente d’un site à un autre. Ils doivent être traduits, non pas en amortissement comptable simple, mais avec un budget spécifique de recherche et développement, ce qui autorisera les tâtonnements pour apprivoiser le robot au sein de l’équipe. C’est la meilleure façon de travailler avec les start-ups qui proposent ces robots en agriculture : la souplesse et l’ouverture aux innovations.
En quoi le robot perturbe-t-il l’organisation du travail ?
J’ai l’habitude de dire qu’un robot est autant un changement culturel, en organisation du travail, qu’un changement cultural, en agronomie. On ne peut pas mettre cet aspect de côté. Par exemple, un robot supprime des risques liés aux gestes répétitifs, mais il fait apparaître des nouveaux risques, comme le risque d’écrasement dû à la co-activité humain-robot dans un même espace de travail, l’organisation des déplacements du robot d’une parcelle à l’autre, les risques psychosociaux liés à la relation avec le robot… Ces risques doivent être inscrits dans la mise à jour du DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels).
> À lire aussi : Le DUERP, un instrument de sécurisation (05/12/2019)
Il fait aussi apparaître de nouvelles compétences
Tout à fait ! L’avantage des nouvelles compétences, c’est qu’on peut les acquérir. On va de plus en plus vers des machines autonomes qui vont interagir tous les jours avec des humains : soit par des capteurs, des caméras ou une interface (smartphone ou tablette).
La formation, en plus de l’aspect technique, intégrera aussi les compétences de communication avec le robot : est-ce que l’opérateur est à l’aise avec le langage de programmation sur son smartphone ? Est-ce qu’il sait interpréter les messages d’alerte du robot ? Est-ce que l’opérateur n’est pas effrayé par le contrôle du temps qu’exerce la machine, ou être régulièrement dans le champ de vision de sa caméra ?
L’opérateur va évoluer dans un milieu où les robots peuvent également communiquer entre eux : le cobot (= robot collaboratif) de chai communique avec le robot de lavage de barriques. Cette communication est nécessaire à la réalisation de la tâche, et l’opérateur doit y trouver sa place s’il ne veut pas se sentir « de trop ».
Les émotions donnent le sens de la relation entre les salariés et le robot
Finalement, le robot relève beaucoup de domaines non-technologiques ?
Le robot provoque des émotions liées soit à la tâche qu’on exécute, soit à l’environnement de travail. Ce sont ces émotions qui donnent du sens à l’interaction que le salarié a avec le robot. Un opérateur me disait devant un robot de désherbage des vignes : « Il est beau. » C’est cette émotion qui le rendait fier de travailler avec ce robot.
Les émotions ne doivent pas être freinées parce qu’elles donnent une énergie au travail et à la transformation de l’entreprise. En revanche, si les émotions sont dissimulées, avec un écart entre le ressenti et l’attendu, il y a perte de sens et l’opérateur rentre dans une dissonance émotionnelle. L’employeur doit vérifier s’il a bien prévu un cadre pour que ces émotions s’expriment.
Comment s’assurer que le robot est bien accueilli ?
Après un certain temps avec le robot sur le site, les travailleurs, qu’ils soient salariés ou patrons, expriment leur plaisir au travail et la satisfaction d’être désormais concentrés sur les tâches valorisantes. C’est la clé d’un tel projet. L’arrivée du robot réorganise les tâches. C’est perturbant dans un premier temps. Ensuite, on se rend compte qu’il dégage de la charge mentale et qu’il permet de libérer le potentiel des travailleurs sur les tâches où ils sont les meilleurs.
Il y a des tâches pour lesquelles le robot ne fera jamais mieux que l’homme. On constate cette évolution quel que soit le type de robot : pour la traite, le désherbage, etc. C’est inattendu mais on peut dire que le robot crée un contexte qui permet à l’humain d’exprimer pleinement son potentiel.