«Vous montez un col, traversez une forêt, longez une rivière… Au fond de la vallée, au milieu de nulle part… les ruines d’un hameau. » Ce hameau des Hautes-Alpes, niché à 1 400 m d’altitude, situé à 19 km de Gap, c’est Chaudun. Le journaliste Luc Bronner, passionné de montagne et de randonnées alpestres, et directeur des rédactions du journal Le Monde jusqu’à récemment, nous le fait revivre dans un beau récit (1), fruit d’une enquête fouillée, à partir de l’exploration d’une masse impressionnante d’archives en tous genres.

En août 1895, la centaine d’habitants de ce hameau, choisissant parfois l’exil vers l’Ouest américain ou l’Algérie alors française et plus souvent les montagnes voisines, décide de la vente du village et de ses 2 026 ha à l’État. Plus précisément à l’administration des Eaux et Forêts, dans le cadre du programme de Restauration des terrains en montagne. S’ensuit un travail colossal : des millions d’arbres seront replantés, au rythme de 10 000 plants/ha. Cette vente fera la une de L’Illustration, le grand périodique de l’époque, qui légende la photo de couverture : « Voilà un fait qui sort de l’ordinaire.  »

Dans le récit de Luc Bronner, la mort est omniprésente (celle des enfants en bas âge et des mamans, en particulier), tout comme la misère. L’âpreté du climat, avec la neige huit mois par an, un sol rebelle et épuisé, du fait des déboisements, du surpâturage (trop de bétail lors de la transhumance des troupeaux provençaux) et de l’érosion, des ressources chétives qui suffisent à peine à nourrir les familles. Ce qui a fait la fortune de Chaudun, lieu occupé par les hommes depuis le XVIe siècle, a provoqué son malheur, écrit l’auteur, constatant que « l’homme, ce passager temporaire de la planète Terre, s’est perdu face à la nature ». Après plus d’un siècle d’absence humaine, la nature a repris ses droits. Le loup est de retour. On recense une centaine d’espèces d’oiseaux, et la flore fait la jouissance des botanistes. « Chaudun, note en conclusion Luc Bronner, raconte notre passé, et notre futur probablement. »

(1) Chaudun, la montagne blessée, aux éditions Seuil.