Plus de 80 % de la production mondiale de soja (363 millions de tonnes en 2018-2019) est trustée par trois pays : les États-Unis et le Brésil, suivis de loin par l’Argentine. Mais, le Brésil pourrait ravir, en 2019-2020, la première place aux États-Unis, dont la récolte ne dépasserait pas 104 millions de tonnes (Mt) en 2019-2020, contre 123,6 Mt l’an dernier, du fait de mauvaises conditions météo.
Selon les prévisions de l’USDA (1), le mastodonte sud-américain engrangerait en 2019-2020 pas moins de 123 Mt, un niveau proche du précédent record de 122 Mt en 2017-2018 (117 Mt en 2018-2019). En vingt ans, le pays du président Bolsonaro a plus que triplé sa production de soja et, en dix ans, il l’a même doublé ! Pourquoi ? Les rendements ont progressé (3,5 t/ha en 2017) du fait de l’amélioration des pratiques, de la génétique et des intrants, des nouvelles technologies… Mais surtout, les surfaces ont explosé, notamment dans l’État du Mato Grosso qui n’était auparavant que friches et forêts. La sole de soja brésilienne est passée de 14 millions d’hectares (Mha) en 2000 à 37 Mha cette année. Elle a notamment progressé au moment où les prix ont flambé en 2007-2008. Les opérateurs se sont rendu compte que cultiver cet oléagineux était très rentable, sur des terres « gratuites » de surcroît. Des mécanismes publics de subventions ont aussi favorisé la progression des surfaces dans les grandes exploitations d’agro-business (les fazendas). « Ces exploitations sont tellement grosses qu’elles influencent le marché », note Gautier Maupu, d’Agritel.
Potentiel énorme
L’agriculture, et notamment le soja, tient une place centrale au Brésil (lire encadré ci-contre) et le président en poste depuis le 1er janvier 2019, Jair Bolsonaro, considéré comme le champion de l’agro-négoce, ne semble pas prendre le contre-pied de cette politique. Au contraire. Il entend même ouvrir la forêt amazonienne (dont 60 % des surfaces se trouvent au Brésil) à l’exploitation industrielle. Selon l’INPE (institut national de recherches spatiales), le grignotage du « poumon vert » de la planète par l’expansion agricole se serait intensifié depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. Ce dont il se défend.
Les terres utilisées pour l’agriculture ne représentent que 7 % de la superficie du pays. « Le Brésil a un potentiel énorme en surfaces », insiste Thierry Pouch, économiste à l’APCA. La forêt amazonienne est vue comme une réserve foncière phénoménale. Mais, cela interroge en matière de préservation de la biodiversité et de l’environnement. Les ONG locales montent régulièrement au créneau pour fustiger la déforestation.
Satisfaire la Chine
La hausse des surfaces de soja permet à Brasilia de satisfaire les besoins des pays tiers, Chine en tête. Le géant d’Amérique du Sud est devenu le premier exportateur mondial de l’oléagineux en 2015, supplantant les États-Unis, déjà. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les 151 Mt de graines de soja exportées dans le monde, près de 50 % le sont par le Brésil. L’Union européenne (UE) en importe 5 Mt. « Depuis un an, on voit que le conflit sino-américain a des répercussions importantes sur le marché du soja », explique Thierry Pouch. Les droits de douane sur les exportations de graines de soja des États-Unis à destination de la Chine sont, en effet, passés de 1,5 % à 25 % en juillet 2018. Les cours de l’oléagineux sont en chute libre depuis des mois.
Dans ce contexte, le Brésil a ravi la première place aux États-Unis comme fournisseur de la Chine, dont les importations de graines de soja sont colossales (60 % des ventes mondiales de l’oléagineux). L’empire du Milieu devait ainsi acheter 85 Mt cette année, mais ce chiffre serait toutefois revu à la baisse du fait de la peste porcine. « Tant que le conflit commercial entre Pékin et Washington perdurera, la part du Brésil augmentera », juge Thierry Pouch.
Logistique : défi majeur
Reste que le pays doit encore faire face à de lourds problèmes logistiques. Le Brésil a beaucoup investi dans son agriculture, mais « le manque d’infrastructures portuaires et routières représente encore un frein important », estime Thierry Pouch. Le pays a, en effet, dû faire face à une récession violente de son économie entre 2015 et 2017 (recul de 3,4 % de la croissance en 2016, contre une hausse de 7,5 % en 2010). L’envolée des cours dans les années 2000 avait attiré les capitaux étrangers, mais quand le prix du soja a régressé, les capitaux sont partis. La situation est un peu meilleure actuellement, sans pour autant retrouver les niveaux observés entre 2003 et 2010. Les investissements dans les infrastructures portuaires et routières en ont donc pris un coup.
« La logistique est un défi majeur pour le Brésil, qui exporte surtout des graines qui sont volumineuses, insiste Gautier Maupu. En Argentine, cela est aussi un gros challenge, mais le pays est moins grand et les régions de production sont plus proches des ports. » Il existe peu de routes dans le Mato Grosso pour aller vers les ports très éloignés (Paranagua, Santos…). « 9 Mt de soja brésilien sont exportées par mois, et il y a seulement trois routes pour acheminer les graines », illustre Gautier Maupu. Depuis deux ans, des efforts importants sont consentis. De nouveaux ports s’implantent dans l’arc nord du Brésil, du fait de la hausse de la production de soja sur les terres de la forêt amazonienne. Avec, pour objectif, de désengorger la logistique dans le sud. Une nécessité pour être plus compétitif sur les marchés et exporter les graines de soja vers la Chine. Cette dernière a apporté d’ailleurs des capitaux pour créer, dans le cadre des Routes de la soie, un corridor ferroviaire partant du port de Santos vers celui d’Ilo, au Pérou, sur la façade Pacifique de l’Amérique du Sud. Objectif : désenclaver le Brésil. La manne financière de la Chine est ainsi une opportunité pour Brasilia de développer son pays.
(1) Département américain à l’Agriculture.