Agriculteur et passionné de mécanique, Emmanuel Ingrand cultive 83 ha en agriculture biologique à Saint-Vincent-la-Châtre, dans Les Deux-Sèvres. Il a fabriqué, il y a une quinzaine d’années, un automoteur de désherbage mécanique. L’engin, unique en son genre, est constitué d’éléments provenant de plusieurs machines agricoles différentes. « J’aime bricoler et j’avais un réel besoin d’amélioration de mon binage. Les outils de guidage n’existaient pas ou étaient hors de prix. Cela m’inquiétait de travailler à l’aveugle. Par sécurité, sur tournesol j’avais un écartement de 15-20 cm entre les éléments de binage. Je voulais gagner en précision. Un jour, j’ai vu un chargeur télescopique adapté pour biner à l’avant. J’ai été inspiré. »

Moins de 1 500 €
Emmanuel s’est alors lancé dans la conception d’une première bineuse automotrice inspirée du système de poutre porte-outils. « Cette première tentative a été un échec, j’ai parcouru 10 m dans une parcelle et j’ai constaté que ce n’était pas adapté, le poste de conduite était au-dessus de la bineuse, je regardais trop le sol pour pouvoir avancer droit. »

Mais l’agriculteur n’a pas baissé les bras. Il a fallu près d’un an pour mettre au point cet automoteur avec une bineuse à l’avant et une herse étrille à l’arrière. Les éléments proviennent de différentes machines trouvées dans des casses, dans l’entourage d’Emmanuel ou dans des petites annonces. Le bloc-moteur est celui d’une vieille moissonneuse-batteuse Braud, la transmission hydrostatique et les roues sont issues d’une autre machine de la même marque. La cabine est celle d’une ensileuse Fiatagri. Le châssis de fixation de la bineuse provient en partie d’un système pour basculer les bottes sur une autochargeuse pour petits ballots, mais aussi d’une ancienne charrue pour d’autres pièces. Quant à la herse étrille, c’est l’ancienne machine de l’exploitation, qu’il a renouvelée depuis mais qu’il avait conservée. « J’ai fait avec ce que j’ai trouvé, sourit Emmanuel devant son bolide. Les seuls éléments neufs que j’ai dû acheter sont les poutres IPN qui font office de châssis, ainsi qu’un écran et une caméra que j’ai fixée à l’arrière pour voir ce que je fais. Je ne connais pas la somme précise que j’ai eu à débourser, mais c’est compris entre 1 000 et 1 500 €. J’y ai consacré beaucoup de temps en revanche, mais c’était du plaisir, j’ai fait ça avec mon père, on joignait l’utile à l’agréable. »

L’assemblage de l’hydraulique à l’électronique a été réalisé dans son intégralité sur la ferme par les deux hommes.
Au travail, une pédale pilote les vérins pour lever ou baisser la bineuse. Elle commande également la herse étrille, son affectation est modifiée avec un bouton sur le levier d’avancement.

Adaptation sur céréales
Emmanuel a dans un premier temps conçu cette machine pour les maïs et tournesols, mais il l’a adaptée pour une utilisation sur céréales. « J’ai une deuxième bineuse que je peux placer sur le relevage avant. Il faut compter une trentaine de minutes pour faire le changement d’équipement. Il faut la même durée pour remplacer les roues arrière par des roues plus fines. » Sur tournesol et maïs, l’automoteur travaille 5 rangs sur 3 mètres de large et parcourt les parcelles à une vitesse de 10-12 km/h quand les conditions sont bonnes. Dans les zones caillouteuses ou lorsque le sol est plus humide, l’avancement est ralenti. En moyenne, le débit de chantier est légèrement supérieur à 2 ha/h.

L’agriculteur ne regrette pas le temps consacré à la conception et à la réalisation. « Je fais un travail plus précis et plus propre que lorsque j’avais une bineuse arrière classique. Aujourd’hui, vu les technologies qui existent, l’intérêt serait peut-être moindre », reconnaît-il. L’autre gros avantage, c’est qu’il peut réparer lui-même les éventuelles pannes. « Mais c’est rarissime, précise Emmanuel. Je m’en sers près d’une centaine d’heures par an depuis plus de quinze ans, et je n’ai jamais eu de gros soucis. »

Gildas Baron