En 2013, quand Isabel Soares a créé Fruta Feia, on l’a prise pour une folle. Pourtant, aujourd’hui, la jeune femme et ses trois collègues n’ont pas vraiment le temps de se reposer. Fruta Feia a un objectif simple : remettre dans le circuit de consommation les fruits et légumes invendus, car hors calibre ou tordus. Trois fois par semaine, l’équipe de la coopérative parcourt 200 km dans la région de tradition maraîchère au nord de Lisbonne. Les produits, qui seront proposés en paniers dans la journée même à quelques-uns des huit cents consommateurs adhérents, sont commandés directement auprès des producteurs.
« On ramasse tout »
Miguel Pinto est propriétaire de 50 hectares de pommiers et poiriers dans la commune de Usseira : « Les fruits que je destine à Fruta Feia auraient pu partir chez l’industriel pour la confection des jus. Je les aurais vendus 7 centimes le kilo, contre 25 centimes payés par Fruta Feia. Une différence appréciable. » Mais l’objectif de la coopérative est surtout de récupérer les fruits et légumes invendus, recalés par les industriels car ne correspondant pas aux critères de forme ou d’apparence.
L’agriculteur João Luis Ramos cultive des navets, des poivrons, des tomates et de la patate douce, sous serre et en plein champ. Son adhésion au système FF est totale. « Dans la région, le vent, parfois violent, perturbe les cultures. Pour moi, c’est une erreur de mettre en avant l’esthétique dans l’esprit des consommateurs, alors que ces ''moches'' sont tout aussi bons que ceux en vente au supermarché. Ce sont les mêmes ! »
Les recalés peuvent représenter jusqu’à 6 % d’une production, comme c’est le cas pour les tomates des frères Duarte Dias, Ricardo et Paulo, sur la commune d’ Encarnação. « Maintenant on ramasse tout, même ce qui restait d’habitude sur la plante. C’est un peu de travail en plus, mais c’est compensé par le fait que c’est FF qui vient chercher les légumes chez nous ».
37 centimes le kilo
Isabel Soares a négocié avec les maraîchers pour fixer un prix juste : en moyenne 37 centimes le kilo. La coopérative paie en liquide et sur facture, contre des délais d’un à trois mois dans le circuit de la grande distribution. Tout ceci plaît à Filipa Silva, jeune agricultrice qui a construit ses serres hydroponiques de feuillus grâce à l’aide de l’Europe (160 000 euros de subventions). « Je ne suis pas sur le circuit de ramassage de Fruta Feia, alors je laisse mes salades hors normes à la coopérative quand je vais livrer à l’entreprise de pré-emballage. « Les moches ont un coût de production : semence, eau, main-d’œuvre. Mais ce n’est pas seulement la compensation financière, c’est aussi un changement de consommation qui nous plaît, à nous jeunes agriculteurs », explique Filipa.
La coopérative Fruta Feia a su convaincre cinquante et un producteurs. Elle va pouvoir étoffer la distribution au Portugal grâce au programme Life de l’Union européenne. Aujourd’hui, l’équipe d’Isabel évite le gaspillage de quelque 4 tonnes de fruits et légumes par semaine. Et trois mille sept cents consommateurs sont sur la liste d’attente !