La santé des végétaux peut paraître secondaire. Mais à bien y regarder, s’y atteler est de la plus grande importance. Ainsi, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) rappelle que les organismes nuisibles et les maladies des végétaux entraînent, chaque année, la destruction de 40 % des cultures vivrières et des pertes commerciales agricoles supérieures à 220 milliards de dollars.Sur le plan économique, les maladies des plantes coûtent environ 220 Mds$ par an à l’économie mondiale et les insectes nuisibles à peu près 70 Mds$.

Le nématode du pin, l’agrile du frêne, la mineuse de la tomate, Drosophyla suzukii, la bactérie Xylella fastidiosa… sont quelques exemples de minuscules organismes qui ont provoqué des dégâts considérables. « Les ravageurs arrivent soit comme contaminants de plantes, dont le commerce a explosé au cours de ces dernières décennies, soit comme passagers clandestins dans des containers qui n’ont pas de valeur biologique pour eux », soulignait Alain Roques, directeur de recherche à l’Inra, en 2018 sur France Inter à la suite d’une conférence internationale sur le thème, intitulée « Impact du changement global sur l’émergence des maladies et des ravageurs des plantes en Europe » (1). Selon lui, leur établissement s’est accéléré durant les quarante dernières années : depuis les années quatre-vingt-dix, une quinzaine d’espèces s’installent, en moyenne, chaque année en Europe.

Année internationalede la santé des végétaux

Il est donc apparu plus que légitime, en décembre 2018, que l’assemblée générale de l’ONU (Organisation des Nations unies) proclame 2020 « Année internationale de la santé des végétaux ». Le but : sensibiliser l’opinion publique à la manière dont la protection de la santé des plantes contribue à éliminer la faim, à réduire la pauvreté, à préserver l’environnement et à doper la croissance économique. Rappelons d’ailleurs qu’à cette occasion, la santé des végétaux a été définie comme « la discipline où l’on a recours à différentes mesures pour lutter contre des organismes nuisibles, des mauvaises herbes et des organismes pathogènes, et prévenir leur dissémination dans de nouvelles zones, en particulier par le biais d’interactions humaines comme le commerce international ».

« Comme pour la santé humaine, la protection des végétaux contre les parasites et maladies est beaucoup plus rentable que de faire face à des urgences sanitaires graves, souligne la FAO. Une fois installés, les bioagresseurs sont souvent impossibles à éradiquer. » Or, en général, quand de nouveaux ennemis sont introduits dans nos pays, ils se retrouvent confrontés à des plantes qui n’ont pas évolué avec eux et n’ont donc pas développé de système de défense. Ces nouvelles espèces émergentes ne sont pas non plus soumises à une régulation naturelle. Il faut garder à l’esprit que, la plupart du temps, ces dernières ne provoquent pas de dégâts dans leur pays d’origine. Cela complique d’autant plus la prévention de leur introduction mais aussi la lutte dans nos états.

Intensificationdes échanges

Un des principaux facteurs expliquant cette « explosion » est l’intensification des échanges mondiaux. « La circulation des végétaux, quel que soit le mode de transport, à des fins commerciales ou non, favorise celle des agents pathogènes », insiste l’Anses.

La valeur annuelle des échanges de denrées agricoles a quasiment triplé au cours des dix dernières années. « Sous l’effet de la croissance démographique et de l’évolution des régimes alimentaires et des revenus, la demande de produits alimentaires devrait augmenter de 70 % d’ici 2050 », a indiqué Jingyuan Xia, secrétaire de la Convention internationale pour la protection des végétaux, en 2018 lors du colloque consacré à ce sujet. Il a également informé que le nombre de personnes vivant en dehors de leur pays de naissance est plus important que jamais dans l’Histoire, avec des migrants internationaux qui représenteraient le cinquième pays le plus peuplé du monde si tous vivaient au même endroit. Lorsque les gens se déplacent, ils apportent souvent un produit local qui peut déjà être infesté par un phytoravageur. Tous ces facteurs induisent la propagation des organismes nuisibles dans de nouvelles régions.

Haussedes températures

à cela s’ajoute le réchauffement climatique actuel, sur lequel le scepticisme n’est plus de mise. Selon le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), « le réchauffement pourrait atteindre 1,5 °C entre 2030 et 2052 s’il se poursuit à son rythme actuel ». La hausse des températures modifie de plus les relations entre ravageurs, plantes et agents pathogènes. Avec des hivers moins rigoureux, par exemple, la persistance d’un plus grand nombre d’espèces de ravageurs provenant de climats plus chauds est possible.

La France, carrefour géographique, est ainsi confrontée à l’installation de ravageurs et de pathologies des plantes venant de pays voisins mais aussi d’outre-mer. Ces organismes nuisibles trouvent sur le territoire métropolitain les conditions climatiques idéales à un développement rapide. Le même phénomène s’observe à l’échelle de l’Europe où l’on voit apparaître, par exemple en Méditerranée, des pathologies d’origine tropicale.

Concernant les bioagresseurs déjà présents, on remarque que les modifications de climat multiplie les générations et étendent leur zone d’action. Leur aire de répartition potentielle augmente petit à petit dans des latitudes et des altitudes plus élevées. La sésamie, inféodée au sud-ouest de la France, est observée tous les ans dans le Val de Loire. Elle est considérée comme un indicateur biologique révélateur du réchauffement climatique.

Enfin, la modification des systèmes de production agricole représente un dernier facteur de risque. « En Europe, l’évolution des politiques publiques tend à favoriser une approche agro-écologique des pratiques parallèlement à une réduction des intrants chimiques dans les zones agricoles comme non agricoles, a rappelé Roger Genet, directeur de l’Anses. Or, cela peut avoir un impact sur l’émergence des maladies et des insectes ravageurs au même titre que celui lié aux systèmes de production agricole artificielle et intensive. »

(1) Organisée par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnementet du travail), l’Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) et l’OEPP (Organisation européenneet méditerranéenne pour la protection des plantes).

Céline Fricotté et Vincent Thècle